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Entretien d’Emmanuel Faye avec Philippe Lacoue-Labarthe, Pascal Ory, Jean-Edouard André et Bruno Tackels
Entretien d’Emmanuel Faye avec Philippe Lacoue-Labarthe, Pascal Ory, Jean-Édouard André, Bruno Tackels dans « Tout arrive », émission de Marc Voinchet, le 9 mai 2005 à France Culture :
La guerre juste, essais contre le retour d’une idée
Livre de 160 pages
Format : 13,5 x 20 cm. Novembre 2007 15 euros
isbn :978-2-9154-5341-6
5 essais inédits en français de Carl Schmitt. Traduction et préface de Céline Jouin.
Prendre / Partager / Pâturer, 1953 Le nomos, la prise, le nom, 1959 L’ordre du monde après la seconde guerre mondiale, 1962 Clausewitz, penseur politique, 1967 Discussion sur le partisan, 1969 La révolution légale à l’échelle du monde, 1978
Depuis 1938, Carl Schmitt prédit le retour d’une idée qu’il trouve funeste : l’idée de guerre juste. Cette prédiction n’a rien d’une prophétie. Elle est déduite en toute rigueur, pour ainsi dire more geometrico, à partir du système de droit international qui s’est mis en place depuis le Traité de Versailles, dont Schmitt est un des premiers à comprendre les implications profondes. Telles que les choses se dessinent, les dirigeants de l’avenir auront à faire appel à l’idée de guerre juste, à l’idée de « guerre contre la guerre », qui seule sera en mesure de légitimer les guerres futures. Ces essais du « vieux » Schmitt, ses derniers textes d’importance, font le portrait d’un ordre mondial en gestation, où la guerre entre États devient marginale. Le vieux système westphalien des États-Nations souverains s’est effondré. Sa figure moderne privilégiée, le peuple en arme, est supplantée par d’autres : celle du partisan ou terroriste, celle du procureur de tribunal international faisant la leçon au responsable politique, ou celle du révolutionnaire professionnel, instigateur d’une « guerre civile mondiale ». L’âge de la désintégration du nationalisme n’est pas, loin de là, la fin de l’histoire. Reste à savoir par où l’histoire continue. Carl Schmitt donne des pistes pour penser le néo-absolutisme des institutions internationales. Sa critique vise moins les droits de l’homme que le discours des droits de l’homme, la rhétorique de l’universalisme qui ignore les distinctions du proche et du lointain et bascule vite dans l’hypocrisie. Si l’« État de droit mondial », selon Schmitt, n’est qu’un rêve, c’est qu’il repose sur un oubli du droit. Le droit est nomos avant d’être lex, arbitrage « au bon endroit », avant d’être application univoque de la loi.
Citer cet article : Dominique Weber, « Hobbes, les pirates et les corsaires. Le « Léviathan échoué » selon Carl Schmitt », Astérion, Numéro 2, juillet 2004, http://asterion.revues.org/document94.html
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Hobbes, les pirates et les corsaires. Le « Léviathan échoué » selon Carl Schmitt
Dominique Weber
Résumé
Parmi les nombreux problèmes que pose l’ouvrage de Carl Schmitt Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, il en est un, majeur, qui concerne l’utilisation de la « mythologie politique » pour expliquer la réalité ou les doctrines politiques. Il y a là, à n’en pas douter, l’expression de l’un des versants de l’irrationalisme de Schmitt. La thèse de l’auteur est très claire : parce que Hobbes ne possédait aucun « sens mythologique », il s’est trompé de monstre biblique, appelant Leviathan son traité consacré au pouvoir d’État, alors qu’il aurait dû l’appeler plus adéquatement Behemoth, manquant du coup la Meeresbild caractérisant l’Angleterre de son temps. La thèse peut paraître séduisante, elle s’appuie néanmoins sur un présupposé fort contestable, car Hobbes ne vise nullement à créer des mythes. Il s’agit donc d’interroger la théorisation hobbesienne de la piraterie, d’une part, et de la dissidence religieuse « sauvage », d’autre part, afin de montrer que le choix par Hobbes des monstres du Livre de Job est un choix rationnellement assumé.
Texte intégral
« Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols », « Sens et échec d’un symbole politique ». Tel est le sous-titre que donne Carl Schmitt, en 1938, à son ouvrage Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes1. De quel échec s’agit-il au juste ? Quel en est le sens, mais aussi la portée ? Quelle en est l’explication proposée ? Le Léviathan de Hobbes, tel que Schmitt le lit et l’interprète en 1938, aurait ceci de propre qu’il se caractériserait fondamentalement par des dualités de tendances et donc d’effets, lesquelles dualités feraient que la puissance théorique de Hobbes, comme le note Étienne Balibar dans sa préface à la traduction française de l’ouvrage de Schmitt, voisinerait du coup, immédiatement, avec une forme insurmontable d’impuissance2. Comme on sait, dans l’essai de 1938, Schmitt entend montrer que la grande fonction historique du Léviathan aurait été de couper court à la guerre civile confessionnelle, en brisant toute résistance au-dedans par le biais d’une souveraineté étatique et d’un décisionnisme absolus, pour ne laisser subsister que la guerre externe, devenue, quant à elle, purement interétatique. Mais Schmitt insiste du coup sur les conséquences qu’aurait entraînées la « mécanisation » des rapports politiques telle que celle-ci fut pensée par Hobbes3 : jointe à la tradition individualiste, une telle « mécanisation » aboutirait, en fait, à une véritable « neutralisation » technique du politique, à une profonde autonomisation de la sphère des intérêts privés par rapport à la puissance publique, et, finalement, à un progressif triomphe du positivisme juridique dont le cœur est constitué, aux yeux de Schmitt, par le primat de la « légalité » sur la « légitimité »4. Une autorité à la fois absolue et neutre, une orientation à la fois décisionniste et libérale : telles sont aux yeux de Schmitt les difficultés et les contradictions traversant la pensée politique de Hobbes. Ajoutons encore que c’est précisément parce que Schmitt attribue à Hobbes ce rôle essentiel dans la progressive neutralisation du politique (laquelle culmine avec la technicisation de toute vérité), qu’il est certainement aussi pour lui, du coup, de la plus haute importance que Hobbes demeure attaché à la foi chrétienne5.
Le mauvais monstre
Mais ce n’est pas tout. L’échec de ce symbole politique que Hobbes a tenté d’élaborer à travers la figure du Léviathan, le monstre biblique effrayant du Livre de Job, ne s’arrête pas là. Au chapitre VII de son ouvrage, Schmitt écrit ainsi :
Une vieille prophétie anglaise du XIIe siècle souvent citée dit : « Les petits du lion seront transformés en poissons de la mer »6. Mais le Léviathan de Hobbes a suivi le chemin inverse : un grand poisson a été érigé en symbole du processus typiquement continental de la formation étatique des puissances terrestres européennes. L’île Angleterre et sa flotte partie à la conquête du monde n’ont eu besoin ni de la monarchie absolue, ni d’une armée de terre permanente, ni d’une bureaucratie étatique, ni du système juridique d’un État de droit, comme ce sera le cas pour les États continentaux. Le peuple anglais s’est soustrait à ce type de clôture étatique et est resté « ouvert », grâce à l’instinct politique du pouvoir maritime et commercial d’un empire dont la domination mondiale reposait sur une flotte puissante7.
À suivre les commentaires de Wolfgang Palaver, cette thèse, selon laquelle le Léviathan de Hobbes, en tant que symbole maritime, se serait échoué sur le continent – marqué quant à lui, en son fond, par l’élément « terre » –, constituerait le cœur du livre de 1938, et cela aux yeux de Schmitt lui-même8. Que signifie cette thèse ? L’État tel qu’il fut pensé par Hobbes, souligne avec force Schmitt, ne s’est pas réalisé en Angleterre9. On pourrait dire : « Nul n’est prophète en son propre pays. » L’explication – on en conviendra aisément – serait un peu courte, et ce n’est certainement pas celle de Schmitt. En réalité, entend montrer le professeur de droit public, l’État souverain hobbesien ne pouvait en aucun cas se réaliser en Angleterre. Pourquoi ? Parce que la Grande-Bretagne, aux XVIe et XVIIe siècles (de 1550, environ, à 171310), a fait le choix de la liberté des mers ou, plus exactement encore, ainsi que Schmitt l’écrit dans l’article de 1941 intitulé « La Mer contre la Terre », parce que la Grande-Bretagne a alors fait le choix d’« un passage “ élémentaire ” de la terre à la mer », ce qui l’a rendue étrangère à l’État, qui est « une réalité du continent européen »11. Dans ses Six Livres de la République (1576), Jean Bodin (1529-1596) notait pourtant, dans le chapitre consacré au « Prince tributaire ou feudataire, et s’il est souverain », que « Nous trouvons que les Rois d’Angleterre ont rendu la foy & hommage lige aux Rois de France, pour tous les pays qu’ils tenoyent par deçà la mer, horsmis des Comtés d’Oye & de Guvnes. Et neantmoins ils tenoyent les royaumes d’Angleterre & d’Hybernie “ en souveraineté ”, sans recongnoistre Prince quelconque »12. Le tournant géopolique de l’Angleterre vers le large – tournant « fondamental », « spécifique » et « unique au monde »13 –, Hobbes (pas plus que Bodin) ne l’a pas vraiment vu ; cet « élan grandiose d’une existence terrienne à une existence maritime »14 accompli par l’Angleterre élisabéthaine, Hobbes n’a peut-être pas su, ou peut-être n’a-t-il pas voulu le penser dans toutes ses conséquences. En d’autres termes, selon Schmitt, la pensée politique de Hobbes est demeurée prisonnière d’une Erdbild et est restée étrangère à toute Meeresbild15. Du coup, Hobbes s’est trompé de symbole. En 1941, approfondissant les analyses conduites en 1938, Schmitt affirme ainsi :
Le livre célèbre de Thomas Hobbes, qui parut en 1651 sous le titre de Léviathan, emploie d’une façon incorrecte et trompeuse l’image du grand poisson pour figurer une construction étatique qui ne s’est pas réalisée en Angleterre, mais sur le continent européen. L’« État » est devenu un ordre de la terre et de l’espace territorial, pendant que la mer, précisément, est restée « libre », c’est-à-dire libre de l’État. Ce livre aurait dû, par conséquent, si Hobbes avait véritablement pris au sérieux les images mythologiques des animaux géants comme symboles des éléments, prendre non point le nom de Léviathan, qui était un monstre marin, mais celui de Béhémoth, le monstre terrestre. De Béhémoth, Hobbes a essayé de faire le symbole de la révolution, à l’opposé de Léviathan qui symbolise l’ordre de l’État. Ce qui, mythologiquement parlant, est tout à fait impossible. Mais Hobbes est tellement « rationaliste » que le sens mythologique lui fait complètement défaut16.
La littérature savante actuelle nous apprend que, monstre exclusivement marin, pour l’un, et monstre exclusivement terrestre, pour l’autre, Léviathan et Béhémoth ne l’ont pas toujours été de façon tranchée. C’est dans la littérature apocalyptique juive, au seuil de l’ère chrétienne, à partir surtout du Livre d’Hénoch (60, 7-9), que Béhémoth acquiert des qualités distinctes de celles de Léviathan : alors que ce dernier conserve les caractéristiques de monstre aquatique qu’il avait déjà17, Béhémoth prend alors celles, qu’il n’avait pas à l’origine, d’un monstre terrestre18. Schmitt ne mentionne pas explicitement ces textes, mais se réfère aux interprétations kabbalistiques médiévales de Léviathan et Béhémoth19. On se doute de l’usage que Schmitt fait, en 1938, de ces interprétations20. Il reste que Hobbes aurait dû choisir Béhémoth, l’animal terrestre géant, comme symbole de son État, car l’État est un ordre lié à la terre et à la territorialité. Il aurait ainsi fait le bon choix entre la terre et la mer21. Cette thèse, Schmitt la fera toujours sienne et il ne cessera plus de la défendre. En 1950, après la Deuxième Guerre mondiale, il la reprendra ainsi à nouveau, dans Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europaeum, en précisant et nuançant le sens du « passage de l’Angleterre à une existence maritime », ce qui le conduit à nouveau à une confrontation avec la pensée de Hobbes :
De même que l’Angleterre ne s’est définitivement décidée contre l’absolutisme royal et pour une large tolérance confessionnelle que vers la fin du XVIIe siècle, de même, au sujet des grands antagonismes entre visions terrienne et maritime du monde, elle n’a penché du côté maritime que lentement et sans plan préconçu […]. Le décisionnisme de type juridique, qui est si conforme à l’esprit des légistes français et à la pensée spécifiquement étatique22, fait ici totalement défaut. Que le plus grand des penseurs décisionnistes, Thomas Hobbes, soit issu de l’île n’y a rien changé23.
En un sens, la thèse générale de Schmitt s’accorde, dans ses grandes lignes, avec de nombreux travaux d’historiens. Ainsi, par exemple, Fernand Braudel, se demandant – non sans humour – « comment l’Angleterre devint une île » dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme, montrait-il dans la troisième partie de son enquête (« Le temps du monde ») que le grand commerce maritime – anglais en particulier, anglais surtout, mais pas seulement – fut bien l’impulsion fondamentale du capitalisme. Montrant comment la géographie est véritablement inséparable de l’histoire, Braudel soulignait cependant aussi, ce que Schmitt ne fait pas24, à quel point le « devenir-île » de l’Angleterre n’avait pas eu que des effets internationaux. Il avait aussi renforcé le marché intérieur :
Entre 1453 et 1558, entre la fin de la guerre de Cent Ans et l’année de la reprise de Calais par François de Guise, l’Angleterre, sans en avoir eu conscience sur le moment, est devenue une île (que l’on me pardonne l’expression), entendez un espace autonome, distinct du continent. Jusqu’à cette période décisive, malgré la Manche, malgré la mer du Nord, malgré le Pas de Calais, l’Angleterre se liait corporellement à la France, aux Pays-Bas, à l’Europe […].
Au début des Temps modernes, le fait d’être en somme repoussés chez eux a valorisé, pour les Anglais, les tâches intérieures, la mise en valeur du sol, des forêts, des landes, des marécages. Dès lors, ils ont été plus attentifs aux frontières dangereuses de l’Écosse, à la proximité inquiétante de l’Irlande, aux préoccupations inspirées par le pays de Galles qui avait recouvré une indépendance temporaire au début du XVe siècle […]. Enfin l’Angleterre a gagné à sa pseudo-défaite [i.e. celle liée à la fin de la guerre de Cent Ans] d’être ramenée à des proportions modestes qui, par la suite, devaient être beaucoup plus favorables à la formation rapide d’un marché national25.
La fin de la guerre de Cent Ans, à suivre Braudel, a donc bien sans conteste renforcé l’éloignement de l’Angleterre d’avec le continent. En outre, l’universalité médiévale s’est effondrée littéralement lors de la réforme religieuse qui, indique l’historien, a aggravé encore « la “ distanciation ” de l’espace anglais »26. Or, cette position excentrique devint un atout, après les « Grandes Découvertes » : elle permit à la fois le renforcement du marché intérieur et l’entreprise coloniale ; elle engendra à la fois un « isolement » – parfois qualifié de « splendide » – et une ouverture à des mondes nouveaux (l’indépendance, la libre entreprise, la capacité créatrice : au choix ou tout à la fois).
Nomos océanique
Un tel rapprochement ne doit cependant pas égarer, tant la perspective de « thalassopolitique » développée par Schmitt est fort différente dans ses principes de la perspective de Braudel. À partir de 1937, d’abord pour des raisons historiques très précises27, Schmitt s’est tourné vers la mer et l’Angleterre28. Et c’est sans doute l’hostilité allemande à l’encontre de la puissance maritime anglo-saxonne, ainsi que la question posée par la succession de l’Empire britannique, qui déterminèrent alors, en grande partie, l’intérêt que Schmitt porta, entre 1937 et 1942, à l’opposition de la terre et de la mer, en tant qu’allégorie – empruntée au Britannique Halford John Mackinder (1861-1947)29 – de l’antagonisme entre l’Allemagne et l’Angleterre puis l’Amérique. Mais on se tromperait gravement en ne voyant dans les analyses de Schmitt que des analyses circonstancielles, liées au second conflit mondial. Les thèses de Schmitt30 visent à décrire et à penser l’avènement, à partir du XVIe siècle, d’un véritable nomos océanique et global de la Terre, l’avènement, donc, d’une véritable « révolution planétaire de l’espace »31.
Rappelons quelques-unes des grandes lignes des analyses de Schmitt, développées notamment dans Land und Meer et Der Nomos der Erde. Aux XVIe et XVIIe siècles, les « écumeurs des mers » (les baleiniers, les voiliers, les pirates huguenots, les « gueux de mer » néerlandais, les flibustiers et les boucaniers de la Jamaïque et des Caraïbes, les corsaires britanniques) constituèrent « l’avant-garde » de l’élan des peuples européens vers les océans, au moment de la découverte puis de la conquête du Nouveau Monde32. Leur « épopée », qui fut aussi bien maritime que technique (c’est l’époque où est apparu le grand voilier pourvu de vergues et armé de canons, ce qui inaugura un nouvel âge de la navigation et du combat naval33), a été d’une extraordinaire ampleur. Dans une période de transition du droit de la belligérance, où la guerre n’était pas encore considérée comme l’affaire exclusive de l’État, les privateers, ayant tous un ennemi commun – l’Espagne catholique – participèrent à un grand front de l’histoire universelle, celui du protestantisme mondial contre le catholicisme mondial, qui marqua l’émergence de l’élément marin dans l’histoire mondiale.
Dans ce contexte, comment la Grande-Bretagne devint-elle maîtresse des océans ? C’est dans la seconde moitié du XVIe siècle que les Anglais, bien après les Portugais, les Espagnols, les Français ou les Hollandais, se hissèrent au niveau de leurs concurrents. C’est la reine Élisabeth Ire (1533-1603) qui fut l’instigatrice de l’expansion maritime anglaise : c’est elle qui engagea la lutte contre l’Espagne, qui encouragea la course et qui accorda les privilèges à la Compagnie des Indes. Ce ne sont pourtant pas les souverains anglais des XVIe et XVIIe siècles – qui ne furent guère conscients de ce tournant historique vers la mer –, mais les privateers, et eux seuls, qui parvinrent à la décision en faveur de l’élément marin et qui, après avoir contribué à la défaite de Madrid, permirent à l’Angleterre de surclasser tous ses rivaux, Français ou Néerlandais, dans le combat pour la maîtrise des océans34.
Certes, le Portugal, l’Espagne, la France ou les Pays-Bas conservèrent ou acquirent de vastes empires coloniaux, mais ils perdirent le contrôle des mers et des lignes de communications maritimes, détenu par Londres. Et si l’Angleterre l’a alors emporté, c’est parce que, à un moment où il fallait choisir entre la terre et la mer, elle « a véritablement transposé toute son existence collective de la terre à la mer »35. La Hollande, elle, dut renoncer à l’expansion maritime pour se défendre sur terre contre Louis XIV (1638-1715). Quant à la France, elle ne suivit pas le grand élan maritime des huguenots : elle resta un pays romain et, en prenant parti pour le catholicisme et l’État souverain, elle choisit par là même la terre contre la mer, choix confirmé lorsque le roi congédia Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), puis lors des longues luttes coloniales du XVIIIe siècle contre l’Angleterre à l’issue desquelles la France, menacée sur le continent, perdit les Indes et le Canada36.
L’Angleterre, elle, a choisi le grand large, mais cette décision n’en fut pas moins longue et hésitante. À cet égard, la question cruciale fut celle de la liberté des mers. Schmitt en donne le résumé suivant. Dans la longue controverse sur l’ouverture ou la fermeture des mers (la « guerre de livres de cent ans »37), les auteurs d’outre-Manche combattirent généralement des deux côtés : d’une part en faisant valoir à leur profit, contre les prétentions au monopole affichées par les Portugais et les Espagnols, le principe de la liberté des mers et du commerce (le liberum commercium déjà défendu par Francisco de Vitoria, 1492-1546) ; d’autre part en revendiquant, contre les Français et les Néerlandais, les mers voisines comme un dominium anglais. Grotius (1583-1645) a pu être considéré – certainement à tort – comme le père de la liberté des océans, en raison du chapitre XII, intitulé « Mare liberum », de son traité sur le droit de prise, De jure praedae, rédigé en 1605 à la demande de la Compagnie hollandaise des Indes38. L’opuscule de Grotius dut surtout sa célébrité au Mare clausum, seu De dominio maris libri duo de John Selden (1584-1654). Publié en 1635 mais rédigé en 1617-1618, certainement à la requête de Jacques Ier (1566-1625), l’ouvrage de Selden défendait l’idée que, par loi de nature et des nations, la mer n’était pas commune à tous, mais, au même titre que la terre, sujette à la propriété privée ; plus précisément encore, Selden entendait montrer que la Couronne de Grande-Bretagne, de droit indivisible et perpétuel, disposait de la souveraineté sur les océans39. Les thèses de Selden furent louées par la plupart des Anglais de l’époque, par les Stuart comme par Oliver Cromwell (1599-1658), qui s’intéressaient principalement aux narrow seas (Manche, mer du Nord, golfe de Gascogne) et qui étaient loin d’envisager l’île comme la métropole d’un empire maritime mondial. Le premier auteur qui remarqua la contradiction entre ces perspectives et l’évolution vers une « souveraineté des océans » exercée au nom de la liberté des mers fut, selon Schmitt, Sir Philip Meadows (1626-1718) : ses Observations concerning the Dominion and Sovereignty of the Seas, parues en 1689, révélèrent la nouvelle conception qui s’imposa après le traité d’Utrecht. C’est le Hollandais Cornelis van Bynkershoek (1673-1743), en 1703, qui fit prévaloir à propos de la souveraineté territoriale de l’État riverain la doctrine ubi finitur armorum vis, doctrine qui rapprochait en quelque sorte Grotius et Selden : la haute mer n’est à personne, la mer proche est à l’État côtier, la limite est celle de la portée des canons. En ce sens, il en restait à une perception de la mer déterminée par la terre, c’est-à-dire qu’au contraire des Anglais, il n’envisageait pas de fixer l’ordre du monde à partir de la mer elle-même. Enfin, l’abbé Ferdinando Galiani (1728-1787), en 1782, établit définitivement la règle des trois miles marins.
Pour Schmitt, le triomphe du principe de la liberté des mers fut, en fait, le résultat de la décision anglaise en faveur des océans, décision qui transforma la nature même de l’île d’Angleterre. L’Angleterre était, certes, déjà une île à l’époque de César, de Guillaume le Conquérant ou encore de Jeanne d’Arc, et, jusqu’aux XVIe-XVIIe siècles, la conscience « insulaire » demeurait profondément « terrienne », ainsi que le montrent par exemple les sceaux anglais du Moyen Âge, semblables à ceux des pays du continent et ne montrant aucun attribut relatif à la mer. L’île, considérée comme un territoire abrité par la mer, était alors pensée du point de vue de la terre, c’est-à-dire du sol et de la territorialité. La « révolution fondamentale de l’essence politico-historique de l’île »40 fut que, désormais, la terre fut vue et pensée depuis la mer. Une telle façon de concevoir le monde du point de vue du grand large a alors montré qu’une « virtualité géographique » s’était muée en « réalité politique »41. Et, de ce point de vue déterminé par la mer, c’est alors d’un « globe maritime » qu’il fallait désormais parler, et non plus seulement d’un « globe terrestre »42. Erdbild contre Meeresbild, telle fut donc bien l’opposition fondamentale, selon Schmitt, d’où découlèrent deux conceptions entièrement antinomiques des institutions politiques et juridiques.
À la liberté des mers s’opposa en effet la souveraineté de l’État. Or, ce fut également au XVIe siècle, à l’époque où commença la lutte pour établir un nouveau nomos du globe, qu’apparut la notion d’État, conception proprement « territoriale » du statut politique ainsi que de l’ordre public, conception liée à l’histoire européenne du XVIe au XXe siècle – le jus publicum europaeum étant un droit spécifiquement interétatique. L’État souverain fixa les nouvelles conceptions de l’ordre dans l’espace – avec la notion essentielle de « frontière linéaire »43 –, d’abord sur le continent européen – en brisant le Saint-Empire –, puis dans le monde entier – l’État se transformant de concept historique en notion générale appliquée à toutes les unités politiques et à toutes les époques. D’où, en même temps, que l’apparition de cette conception étatique de l’espace, fermée et délimitée, l’apparition de son antithèse : la haute mer, elle, demeurait libre, c’est-à-dire libre d’État, libre pour le commerce comme pour la guerre. Tandis que l’ordre continental impliqua la subdivision en territoires étatiques, la mer, ignorant divisions et appropriations, ne devait pas connaître de souveraineté et ne devait appartenir à personne. « En réalité, précise Schmitt, elle n’appart[enait] qu’à un seul pays : l’Angleterre »44.
Ajoutons encore que, grande puissance maritime, l’Angleterre fut en outre « la» grande puissance industrielle. Or, si la révolution industrielle a été impulsée outre-Manche, c’est qu’elle fut justement coordonnée aux yeux de Schmitt à une existence maritime, laquelle possède un tout autre rapport à la technique que l’existence terrestre. Le machinisme aurait donc été la conséquence de la décision anglaise de se tourner vers le grand large. L’Angleterre maritime aurait ainsi été à l’origine du passage vers la totale « délocalisation » ou « déterritorialisation » de la technique moderne, dont le plus fort présage fut, de façon incontestable selon Schmitt, l’Utopie (1516) de Thomas More (1477/1478 ?-1535) : annonçant « une conception nouvelle et fantastique de l’espace »45, préfigurant la possibilité d’une abolition pure et simple de toute « territorialité », le livre a ouvert l’espace intellectuel de l’ère industrielle « a-topique » amorcée en Angleterre au XVIIIe siècle.
Hobbes à contre-courant ?
Dans cette perspective, comment restituer et penser la « continentalité » et la « territorialité » de la pensée de Hobbes ? À ce stade de l’analyse, nous poserons deux questions. 1) Est-il vrai, est-il sûr que Hobbes soit demeuré fermé à la « révolution spatiale » des XVIe et XVIIe siècles et, plus spécifiquement, au basculement de l’Angleterre vers l’élément maritime ? 2) Est-il vrai, est-il sûr que le philosophe de Malmesbury soit demeuré aveugle à l’« esprit du monde » dont les « écumeurs des mers » furent porteurs au XVIIIe siècle ?
1) Au chapitre XXII du Léviathan, qui est consacré aux systemes subject, aux « organisations sujettes »46, Hobbes s’interroge sur le statut des sociétés coloniales (colonies) et sur celui des sociétés commerciales (corporations). S’agissant des colonies, Hobbes soutient qu’elles constituent, en un sens technique, des « provinces » (provinces), c’est-à-dire des organisations à la fois réglées47, subordonnées et de nature politique, dans lesquelles « celui dont c’est l’affaire » a délégué « une charge » (charge) ou « une responsabilité » (care of businesse) à « un autre homme pour qu’il l’administre à sa place et sous son autorité ». Hobbes donne alors l’exemple suivant :
Quand des colonies furent envoyées d’Angleterre pour s’installer en Virginie et aux Bermudes, encore que le gouvernement de ces colonies fût délégué, ici, à des assemblées siégeant à Londres, ces assemblées ne déléguèrent jamais le soin de gouverner sous leur autorité à aucune assemblée siégeant là-bas : à chaque établissement elles envoyèrent un gouverneur48.
Dans les colonies, qui sont donc des « pays où le souverain ne réside pas, mais gouverne par délégation », le représentant du souverain le plus commode est bien un homme – un « gouverneur » – plutôt qu’une assemblée, mais, d’un strict point de vue logique, souligne Hobbes, une assemblée peut aussi être envisagée49. Dans les deux cas, et c’est là l’important, le gouverneur ou l’assemblée n’ont, « en aucun lieu extérieur à cette colonie même », « ni juridiction ni autorité »50. En outre, vis-à-vis de l’État souverain, ces corps politiques que sont les provinces ou les colonies, sont, exactement comme les individus, en position de sujets, de sorte que, « d’une façon générale, dans tout corps politiques, si un membre particulier s’estime traité injustement par le corps lui-même, c’est au souverain qu’il appartient de connaître de sa cause, et à ceux que le souverain a destinés à juger de telles causes, ou destinera à juger cette cause particulière »51.
Quant à « l’organisation des échanges » (ordering of trade)52, une « société de négociants » (company of merchants) est une organisation à la fois réglée, subordonnée et de nature politique, lorsque le souverain lui concède le droit de se constituer en « compagnie » (corporation), c’est-à-dire lorsqu’il lui concède un double monopole : « celui d’être le seul acheteur et celui d’être le seul vendeur »53. À la différence des provinces ou des colonies, dans « un corps politique consacré à la bonne organisation du commerce extérieur », le représentant le plus commode du souverain est, selon Hobbes, une assemblée, dans laquelle tout « metteur de fonds » (every one that adventureth his money) peut être présent à toutes les délibérations et décisions du corps, s’il le veut54. Mais, comme pour les provinces ou les colonies, seul le souverain est, en dernière instance, juge des conflits qui peuvent survenir dans une compagnie, « puisque l’institution du corps est couverte par l’autorité de la République »55.
En un sens, à côté de la légalité étatique, Hobbes semble donc admettre l’existence d’autres sources de droit. S’agissant des « corps politiques » en général (c’est-à-dire de ces associations qui ont un statut public), des sociétés coloniales et commerciales en particulier, leurs compétences et leurs pouvoirs ne sont pas uniquement fixés par la loi de la République (law of the commonwealth), mais aussi par leur statut ou charte (writ), c’est-à-dire par les lettres (letters) émanant du souverain56. Dans les limites de ces textes, le représentant du corps politique dispose, vis-à-vis de ses membres, d’un certain pouvoir juridique normatif. Toutefois, le pouvoir juridique de ces institutions n’est bien que subordonné. Si l’un de leurs décrets est contraire aux lois de l’État, tout particulier peut en contester la validité et, dans ce cas, le juge suprême qui tranche le litige ne peut être que le souverain. Ultimement, la démonstration de Hobbes consiste donc à établir que tous les corps politiques doivent admettre l’autorité du souverain en leur sein : les institutions ne disposent que d’une partie du pouvoir juridique, le pouvoir d’édicter des règlements complétant ceux de la République, mais elles ne disposent en aucun cas du pouvoir ultime de sanction.
Dans le cadre de cette typologie des « organisations sujettes », comment intégrer les associations de pirates ? Notons que Hobbes, dans le chapitre XXII du Léviathan, ne les mentionne pas explicitement. On peut toutefois conjecturer que leur place se trouve dans les organisations décrites par Hobbes comme étant à la fois réglées, subordonnées, privées et illicites, c’est-à-dire celles dont « les membres sont unis de manière à avoir une personne représentative unique, en l’absence de toute espèce d’autorisation publique », comme sont « les compagnies de mendiants, de voleurs et de bohémiens, constituées en vue d’organiser au mieux leur activité de mendicité ou de vol »57. Avec ces corps privés illicites, on atteint la limitation de fait de la souveraineté, qui constitue l’horizon permanent de violence de l’institution, c’est-à-dire la menace que représente pour elle une « masse » incontrôlable. On comprend alors le sens exact de la thèse de Hobbes sur la piraterie. Dans la seule référence – sauf erreur – à ce phénomène dans le Léviathan, Hobbes écrit :
Parmi les hommes, jusqu’à ce que de grandes Républiques [great Common-wealths] fussent constituées, il n’était pas tenu à déshonneur d’être pirate [Pyrate] ou voleur de grand chemin [High-way Theefe]58.
Cela veut dire que, dès lors qu’une souveraineté étatique est constituée, la piraterie bascule nécessairement dans l’alliance privée illicite. Du pirate, Gilles Lapouge dit d’ailleurs : « Toute cité lui est un poignard dans le cœur. »59 À cet égard, on notera que Hobbes ne dit rien, ici, des corsaires. C’est certainement qu’il sait qu’il existe une différence juridique notoire entre un pirate et un corsaire : contrairement au pirate, le corsaire détient un titre de droit, une habilitation de son gouvernement, une lettre de marque officielle de son souverain60. En ce sens, le corsaire est assujetti au souverain. En 1664, lorsqu’il revient – en passant – sur le phénomène de la piraterie dans le Dialogue entre un philosophe et un légiste des Common Laws d’Angleterre, Hobbes fait dire au « Philosophe », contre les spécifications vaines du « Légiste », que c’est en vertu de « la loi de la raison », c’est-à-dire de la loi émanant de l’autorité souveraine, que la piraterie doit être condamnée. Et le « Philosophe » conclut :
Est-ce que la piraterie est deux félonies, une pour laquelle on est pendu en vertu du droit civil, et l’autre en vertu de la Common Law ? En vérité je n’ai jamais trouvé de raisonnements plus débiles dans aucun livre de droit anglais que je n’en ai trouvé dans les Institutes de Sir Edward Coke, si excellent plaideur qu’il puisse être61.
Que retenir de ces analyses concernant les « organisations sujettes » et la piraterie ? Avons-nous les moyens de répondre à la première question que nous posions plus haut ? Hobbes n’a pas méconnu la « révolution spatiale » affectant l’Angleterre de son temps. Il est très conscient des enjeux et des problèmes nouveaux – tant politiques que juridiques – que posent les conquêtes coloniales et l’extension commerciale maritime qu’elles induisent ; il est également très conscient des dangers que font naître pour la souveraineté étatique absolue les nouveaux actes de piraterie que ces conquêtes génèrent. Risquons alors une hypothèse. Est-ce seulement par erreur que Hobbes appelle Léviathan son traité de 1651 sur l’« État continental », utilisant pour titre la figure du monstre biblique aquatique, là où l’on aurait pu ou dû attendre, selon Schmitt, une référence à la figure du monstre biblique terrestre, Béhémoth ? 1651, ainsi que Schmitt lui-même le rappelle, est l’année au cours de laquelle est mis en place, sous la République de Cromwell, le premier « Acte de navigation », dont on sait que le caractère protectionniste était alors essentiellement dirigé contre la concurrence commerciale maritime hollandaise62. La figuration de l’État absolu par le monstre marin Léviathan indique peut-être que Hobbes, précisément parce qu’il est soucieux des problèmes politiques et juridiques que posent les conquêtes maritimes, cherche justement à penser une nécessaire extension de l’empire de la souveraineté étatique jusqu’à l’élément maritime lui-même. Appeler son livre sur l’« État continental » Léviathan, c’est montrer que cet élément maritime ne peut pas et ne doit pas avoir d’autonomie politique et juridique propre vis-à-vis de la souveraineté étatique. En ce sens, l’eau hobbesienne, bien sûr, ne peut être qu’à l’opposé complet de l’eau pirate : faire de la mer un domaine de l’État, voilà ce à quoi Hobbes a peut-être pu rêver. Voilà aussi sans doute ce qu’il devait admirer dans le Mare clausum de Selden. C’est l’idée d’« eaux territoriales », qui commence précisément à être élaborée au XVIIIe siècle, qui devait intéresser Hobbes.
On ajoutera toutefois – et ce point est fondamental – que Hobbes a ceci de propre qu’il théorise l’absolu de la souveraineté dans une « nation » pensée sur un modèle universel, c’est-à-dire sans être coordonnée (du moins de façon explicite) à une géographie et à une histoire délimitées par un contexte précis et situé : pour Hobbes, l’absolu de la souveraineté doit exercer une fonction de gardienne pour l’ordre politique de toute la « terre », par-delà les frontières. On pourrait dire, par contraste, que, selon Schmitt, la souveraineté ne s’établit que sur une frontière et ne s’exerce avant tout que dans l’imposition de frontières. C’est d’ailleurs là ce qui permet de saisir le lien entre sa doctrine de la souveraineté territoriale et la détermination de la politique en termes de démarcation de l’ami et de l’ennemi (avec ses prolongements : criminalisation de l’ennemi intérieur, qui fait pendant à la justification de l’ennemi extérieur). La frontière est, par excellence, le lieu où sont suspendus les contrôles ou les garanties de l’ordre juridique « normal », le lieu où le « monopole de la violence légitime » prend la forme d’une contre-violence préventive63.
2) Venons-en à notre seconde question : est-il sûr que Hobbes n’ait rien su de la révolte pirate du XVIIe siècle et de l’« esprit du monde » dont celle-ci fut l’instrument ? Dans Terre et Mer, en 1942, Schmitt souligne à quel point, dans le protestantisme, ce fut le calvinisme, et non pas le luthéranisme, qui entra au mieux dans ce qu’il n’hésite pas à appeler une véritable « complicité géopolitique » avec le déplacement, aux XVIe et XVIIe siècles, des énergies de l’Europe de la terre vers la mer :
Le calvinisme était la nouvelle religion agonale, la foi religieuse parfaitement adaptée à ce sursaut instinctif vers l’élément marin. Il devint donc la religion des huguenots, des héros de la liberté hollandaise et des puritains anglais […]. Lorsqu’au XVIe siècle les énergies commencèrent à se tourner vers la mer, leur succès fut tel qu’elles firent bientôt irruption dans l’arène de l’histoire et de la politique mondiales. En même temps, elles durent se traduire dans la langue intellectuelle de leur temps. Plus question de rester baleinier, voilier ou flibustier ! Il fallut se trouver des alliés spirituels, les plus audacieux, les plus radicaux, ceux qui rompaient le plus nettement avec les mythes de l’époque antérieure. Or, cet allié ne pouvait être le luthéranisme allemand : celui-ci coïncidait trop avec une tendance au territorialisme, à la continentalisation. D’ailleurs, en Allemagne, le déclin de la Hanse et de la puissance allemande en mer Baltique fut contemporain de l’éclosion du luthéranisme, de même que la percée maritime de la Hollande et le choix décisif de Cromwell ponctuent l’émergence du calvinisme64.
Ce fut donc le calvinisme qui porta le glissement de l’existence historique de l’Angleterre du continent vers la mer. Et cela ne pouvait être que lui, à cause de sa structure doctrinale fondamentale :
Tout non-calviniste ne pouvait que s’effrayer de la foi calviniste, en particulier de cette idée, indéracinable, de prédestination humaine de toute éternité. Or, sur le plan profane, la doctrine de la prédestination n’est que la montée aux extrêmes d’une conscience humaine qui prétend appartenir à un monde autre qu’un monde corrompu et mortifère. Dans le langage sociologique moderne, on dirait qu’elle est le degré suprême de l’autoconscience d’une élite assurée de son rang et de son heure historiques. C’est, plus simplement, la certitude d’être sauvé, et ce salut n’est autre que le sens de toute l’histoire du monde, qui éclipse toute autre idée65.
Cette hypothèse, dont Schmitt indique, en 1942, qu’elle n’a sans doute pas encore assez pénétré « la plupart des études historiques »66, reçoit une éclatante confirmation, avec la récente (environ une vingtaine d’années) réévaluation historique de la piraterie ou, ainsi qu’il convient peut-être mieux de dire, de l’« utopie pirate »67. Il faut notamment faire droit ici au travail du grand historien anglais Christopher Hill, récemment décédé68, intitulé « Radical Pirates ? »69. Dans cette étude, Hill s’interrogeait sur l’attribution au « capitaine Johnson » du livre – légendaire – General History of the Robberies and Murders of the most notorious Pyrates70. Avant Hill, la plupart des historiens anglais considéraient ce livre comme une sorte d’application – plus ou moins fidèle et cohérente – des principes philosophiques et politiques de John Locke. Hill a montré que l’arrière-plan doctrinal structurant l’ouvrage était, en réalité, d’abord et avant tout le même que celui des dissenters anglais, ces dissidents protestants radicaux (Fifth Monarchists, Levellers, Seekers, Ranters, Quakers, Diggers, etc.), qui jouèrent un rôle considérable dans la révolution anglaise des années 1640-1660. L’historien en vint, du coup, à attribuer l’History […] of the most notorious Pyrates à Daniel Defoe (1660-1731), qui fut, bien sûr, un grand auteur de romans de piraterie71, mais aussi un dissenter radical, exposé au pilori, en 1703, pour avoir écrit, en 1702, un plaidoyer d’une ironie dévastatrice en faveur de la tolérance religieuse72. L’hypothèse de Hill fait, encore aujourd’hui, autorité.
Mais, surtout – et c’est ce point qui est ici important –, l’enquête a conduit Hill à préciser les liens entre les dissenters et la piraterie. Rappelons à cet égard quelques faits, tous empruntés au travail de Hill. Dans les années 1630, la Providence Island Company arracha une île aux Espagnols pour en faire un refuge offert aux dissidents persécutés, ainsi qu’une base pour tenter de briser le monopole des catholiques dans la région. Le Ranter Joseph Salmon s’installa en 1660 à la Barbade. Robert Rich, James Nayler, Perrot, tous Quakers « hérétiques » dénoncés comme Ranters, suivirent le même chemin en 1662, bientôt rejoints par George et Richard Leader. Au Surinam, vers 1650, on trouvait George Marten et William Scott ; aux Bermudes, on trouvait Richard Norwood, John Oxenbridge ou encore Lewis Hughes ; à la Jamaïque, dans les années 1660, on trouvait le quintomonarchien William Rightson. En fait, ils semblent être des centaines, sinon des milliers, les radicaux religieux qui ont déferlé sur la Jamaïque, le Surinam, les Bermudes, Trinitad ou encore Antigua. Dans l’île d’Eleutheria, où étaient bannis les indésirables et les esclaves rebelles, naquit en 1647 The Company of Eleutherian Adventurers, qui promulgua une constitution républicaine, garantissant notamment la liberté de culte. Les fidèles de Samuel Hartlib imaginèrent, à la même époque, de fonder aux Bermudes leur communauté idéale. Du rappel de ces quelques et brèves indications, il ne s’agit certainement pas de conclure que les pirates anglais furent tous plus ou moins des dissidents religieux ou que tous les radicaux se firent pirates. Plus sûrement, on peut dire que leurs idées – du fait du brassage avec ce que les autorités anglaises décrivaient volontiers à l’époque comme la « lie » de la société : les déportés irlandais, les mendiants de Liverpool, les bandits écossais des borders, les pirates capturés dans les eaux anglaises, les militants politiques, auxquels s’ajoutèrent, à Saint-Christophe, les huguenots français – ont pu fortement influencer les rebelles des Caraïbes, donner une cohérence ainsi qu’un système de références à des revendications qui, sans cela, seraient peut-être restées parcellaires, et les prolonger en une véritable vision du monde. Ajoutons que nombre de radicaux avaient l’échine trop raide, et le verbe trop haut, pour travailler sous les ordres de qui que ce fût, quand leurs principes moraux leur interdisaient de recourir comme d’autres à l’esclavage. À tous ceux-là, il ne resta bientôt plus d’autre solution, très souvent, que de se faire pirates – et nul doute que l’égalitarisme des fidèles du Jolly Roger dut leur paraître, à tout prendre, plus proche de leurs idéaux que la discipline brutale des navires marchands, ou que la déliquescence morale des sociétés esclavagistes. Il est certes difficile de risquer un chiffre exact, mais il ne fait pas de doute que nombre de ces rebelles entêtés qui, en Angleterre, rêvèrent d’en finir avec l’oppression en mettant « le monde à l’envers » – pour reprendre une autre expression de Hill – trouvèrent à prolonger leur refus radical dans la piraterie.
Hobbes n’établit pas de lien précis entre le radicalisme religieux et la piraterie. Mais il s’y connaît en matière de puritanisme : il sait que le puritanisme radical ne vit que de rallumer sans cesse la « guerre des dieux » et constitue, par conséquent, l’un des facteurs les plus puissants de la déformation de l’ordre politique (le puritanisme, pour Hobbes, c’est l’altération complète du critère pratique de la souveraineté, lequel réside dans la réponse à la question : « qui sera juge ? », quis judicabit ?). Comme on sait, dans son Béhémoth (vers 1666-1668), le philosophe a fait de la fragmentation du protestantisme anglais en de multiples sectes dissidentes l’une des causes majeures de la guerre civile anglaise des années 1640-1660 :
Certains, parce qu’ils voulaient que toutes les assemblées de fidèles fussent libres et indépendantes les unes des autres, furent appelés Indépendants. D’autres, qui soutenaient que le baptême administré aux enfants et à ceux qui ne comprennent pas ce en quoi ils sont baptisés, était sans effet, furent pour cette raison appelés Anabaptistes. D’autres encore, qui soutenaient que le royaume du Christ devait à cette époque commencer sur la terre furent appelés les hommes de la Cinquième Monarchie ; par ailleurs, il y avait diverses autres sectes, tels que les Quakers, les Adamites, etc., dont je ne me rappelle pas bien le nom ni les doctrines particulières. Voilà quels étaient les ennemis qui se dressèrent contre le roi, au nom de l’interprétation privée de l’Écriture exposée à l’examen de tout homme dans sa langue maternelle73.
Risquons ici, à nouveau, une hypothèse. Ce que Hobbes voit – et qu’il entend comme « refouler » (si du moins ce lexique convient ici) –, c’est que le puritain, comme le pirate, le pirate comme le puritain, ne prennent pas le large comme d’autres qui ne sont pas puritains et/ou pirates. Hobbes sait que, si le puritain, comme le pirate, le pirate, comme le puritain, ont décidé de prendre congé du monde, c’est en un sens plus profond que celui d’un simple exil. Il sait que le puritain, comme le pirate, le pirate, comme le puritain, ont quitté le monde auquel l’homme a imposé sa règle, son compas, son fil à plomb, son cadastre. Il sait qu’ils entendent rejoindre un monde d’avant la géométrie, d’avant l’angle, en deçà d’Euclide, des calculateurs de Babylone et des ingénieurs des pyramides. Hobbes sait, en ce sens, que le puritain et le pirate, lorsqu’ils patrouillent sur l’Océan, ont le dessein de creuser sans cesse l’espace entre les continents, c’est-à-dire d’en maintenir et d’en accuser la béance, de donner raison à l’eau contre la terre, à la géologie contre la civilisation, à l’ordre primordial contre celui des ingénieurs. Pour le puritain comme pour le pirate, pour le pirate comme pour le puritain, quitter la terre pour l’Océan n’est pas une décision insignifiante : elle entraîne que l’on donne congé à la cité et à la société, à l’équerre et à la truelle, aux fabriques et aux champs, au code civil et aux registres. Et si Hobbes appelle Béhémoth son livre sur les causes de la guerre civile anglaise, ce n’est alors peut-être pas seulement parce qu’il fut dépourvu de tout « sens mythologique ». La figuration de cette guerre civile par le monstre biblique terrestre Béhémoth indique peut-être ce qui pour Hobbes constitue une nécessité de première importance : ramener, pour ainsi dire, les puritains à la terre, c’est-à-dire au contrôle de la souveraineté étatique absolue.
Pour conclure ces quelques remarques, on se rappellera ce que Gilles Deleuze, s’interrogeant sur les « causes et raisons des îles désertes », notait, dans une toute autre perspective que celle de Schmitt :
Reconnaissons que les éléments se détestent en général, ils ont horreur les uns des autres. Dans tout ceci, rien de rassurant […]. L’homme ne peut bien vivre, et en sécurité, qu’en supposant fini (du moins dominé) le combat vivant de la terre et de l’eau […]. Il doit à moitié se persuader qu’il n’existe pas de combat de ce genre, faire en sorte à moitié, qu’il n’y en ait plus. L’existence des îles est d’une façon ou d’une autre la négation d’un tel point de vue, d’un tel effort et d’une telle conviction. On s’étonnera toujours que l’Angleterre soit peuplée, l’homme ne peut vivre sur une île qu’en oubliant ce qu’elle représente. Les îles sont d’avant l’homme, ou pour après74.
Hobbes est peut-être l’un de ces hommes qui a voulu « oublier » ce qu’une île représente ; peut-être est-il l’un de ces penseurs qui, « à moitié », a voulu croire que le « combat vivant de la terre et de l’eau » pouvait être considéré comme « dominé », et comme « dominé » au profit de la terre et de la territorialité. « Celui qui s’aventurera sur les mers, écrit Hobbes à William Cavendish, en 1636, doit se résoudre à endurer tous les temps », et il ajoute : « Mais, pour ma part, j’aime rester à terre. »75 Tenant d’une Erdbild contre une Meeresbild, Hobbes le fut sans doute, mais on peut ajouter que ce fut certainement pour des raisons peut-être plus clairement assumées que ce que Schmitt suggère.
Notes
1 C. Schmitt, Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes. Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols, Hambourg-Wandsbek, Hanseatische Verlagsanstalt AG, 1938, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes.Sens et échec d’un symbole politique, trad. D. Trierweiler, Paris, Éditions du Seuil, 2002. L’image du « Léviathan échoué » figure au chapitre VII de l’ouvrage, p. 139.
2 C. Schmitt écrit cependant, en toute netteté : « Hobbes reste, même dans ses échecs [Fehlschläge], un incomparable maître politique » (Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, chap. VII, op. cit., p. 144). Voir É. Balibar, « Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes », préface à C. Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, op. cit.,
Pour une approche critique du droit constitutionnel
Par Olivier Camy
PRÉALABLE
Pour une approche critique
§1 Il est temps d’inaugurer une approche nouvelle du droit constitutionnel occidental démocratique : une approche critique capable de faire apparaître sa double dimension métaphysique et théologique toujours présupposée mais jamais thématisée. On ne saurait se contenter des approches classiques de type positiviste ou dogmatique aujourd’hui encore dominantes. Selon elles, il s’agit simplement de décrire les Constitutions positives telles qu’elles sont interprétées notamment par les tribunaux constitutionnels ou encore de s’interroger sur les règles constitutionnelles applicables à telle situation donnée à tel moment. Ces approches ont sans doute leur utilité cognitive et pratique. Mais cette utilité se réduit le plus souvent à nous donner une pédagogie de nos Constitutions et jurisprudences constitutionnelles ; d’où la prolifération actuelle de manuels, abrégés, mémentos. Un tel point de vue autorise, au mieux, le développement d’une épistémologie de la " science " du droit constitutionnel, ayant pour objet d’étudier le langage ou la logique des énoncés de cette science.
On ne peut pas plus se ranger au point de vue de la science politique dont la critique des approches positiviste ou dogmatique débouche sur une simple théorie sociale du droit qui, de plus, est incapable de prendre en compte ses propres engagements ontologiques.
La seule critique radicale est celle qui tente de mettre en lumière ce qui reste dissimulé ; soit la partie axiomatique du droit constitutionnel occidental. Cette critique passe par un questionnement qui ne saurait être seulement historique ; il doit être spéculatif.
Élisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1999.
Note de lecture par Benoît Goetz
Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité. Comment faut-il entendre ce titre ? Les animaux sont pourtant bien bruyants, criaillants et parfois même chanteurs. Oui, mais leur langage ne nous parle pas. Et notre langage ne leur parle pas, même si nous savons les habituer à obéir à nos signaux domesticateurs. Que nous dit alors l’animal dans ce silence où il se tient ? Que nous dit ce silence même ? Car il n’y a rien de plus signifiant qu’un silence pour le parlêtre (comme disait Lacan). Il nous faut nous souvenir de tout ce que nous avons fait dire à ce silence. Car nous lui avons fait dire un nombre incroyable de choses. Et pas seulement en le mettant en scène dans nos fables. En l’interprétant et en le théorisant – comme on n’a pas arrêté de le faire depuis vingt-cinq siècles.
Élisabeth de Fontenay vient de nous livrer avec ce Silence des bêtes l’achèvement provisoire d’une longue méditation sur la manière dont les animaux ont été traités par notre tradition philosophique et religieuse. Il s’agit d’un livre de philosophie sur la philosophie, sur le philosophème de l’animal, mais aussi sur l’énigme de l’animal lui-même, de l’animal en chair et en os, celui que la philosophie a tant de mal à prendre en considération, car la plupart du temps il ne lui a servi que de symbole ou d’allégorie, et surtout de repoussoir permettant par différence et opposition de définir un " propre de l’homme ". Faire parler le silence de l’animal a été nécessaire à l’homme depuis qu’il s’est mis en tête de définir son humanité, non tant par souci de connaissance que par volonté de promouvoir sa dignité. Les adversaires de l’homme triomphant et de son incorrigible vanité – et il y en a toujours eu, heureusement, quoique plus rares, bien entendu, que les " anthropomanes " (les fous du " propre de l’homme ") – n’ont pas manqué de donner aussi la parole aux silences des bêtes. Une grue prend ainsi la parole chez Platon pour annoncer qu’à son sens il y a deux sortes d’êtres : les vivants de l’espèce-grue d’une part, et tous les autres d’autre part... ! La philosophie toute entière, pour des raisons trop humaines, est ainsi une immense et variée prosopopée du silence des bêtes.
Élisabeth de Fontenay parcourt, du point de vue de l’animal, " le texte énigmatique et non encore déchiffré qu’est aux Européens d’aujourd’hui leur propre histoire " (Nietzsche). Or ce point de vue lui permet de gagner une perspective hétérodoxe sur la tradition " orthodoxe " du " propre de l’homme " : l’homme est l’animal orthogonal qui se tient debout pour contempler le ciel, c’est l’animal à mains, l’animal politique et l’animal qui parle, l’animal qui travaille et l’animal qui crée, l’animal qui pense et l’animal qui prie, celui qui sait qu’il va mourir et qui enterre ses morts, celui qui ne se contente pas de vivre mais qui existe, etc. Quand le discours philosophique est revisité du point de vue de celui qui ne parle pas mais qui est pourtant bien vivant et criaillant, il donne à entendre ce que son logos a tant de mal à comprendre : un être-là tout bête mais prodigieusement présent – un être-bête qu’on concevra difficilement comme radicalement étranger à l’homme, à moins d’exclure de l’humanité des vrais hommes ceux qui parlent bêtement, qui parlent autrement ou qui même ne parlent pas du tout.
Quel est le droit de celui qui ne parle pas – littéralement de l’infans – à être-là dans le monde, au même titre et dans le même monde que celui qui raisonne à haute voix dans la langue claire et nette de l’esprit ? Quel est le droit de celui qui ne peut s’engager à aucun devoir ? C’est à de telles questions étranges, insistantes, dérangeantes que mène la lecture du travail d’Élisabeth de Fontenay. Et comme le précise le début du livre, il était temps d’entreprendre ce travail car la présence de l’animal, pour l’occidental urbanisé, devient très problématique. Il devenait urgent d’entreprendre une remémoration de ce que l’animal a été pour nous pendant si longtemps, avant qu’il ne soit plus même possible de tenter seulement une telle anamnèse. En effet, si l’animal ne disparaît pas de notre monde (malgré la catastrophe accélérée de la disparition d’espèces toutes entières), il faut bien reconnaître qu’il s’éloigne de nous au point que jamais sans doute il n’avait été à ce point délaissé, abandonné dans une indifférence totale, relégué dans des lieux qu’on ose même plus dire d’élevage. Surtout nous savons bien que l’animal est appelé à se transformer radicalement quand il passera totalement du statut de créature qu’il avait en commun avec nous (cela on s’en souvient encore, il est encore temps de s’en souvenir, même si c’est avec peine) à celui de pur et simple produit de notre industrie. Le travail de remémoration d’Élisabeth de Fontenay peut donc être considéré comme un travail de " sauvetage " au sens de Walter Benjamin (d’où cet art de la citation commun à ces deux auteurs : " j’ai multiplié les longues citations parce qu’elles nous reconstituent ce que l’exposition des doctrines nous dérobent ", écrit Élisabeth de Fontenay). Ce que la tradition recèle n’importe pas seulement au savoir et à la mémoire, ce sont des possibilités de vie et d’existence qu’il faut ranimer pour faire échec à la barbarie du présent. Qui se souvient en son cœur de " la douceur grecque " et de la " bénignité " d’un Montaigne ? " Nous vivons et eux et nous sous même tect (toit) et humons mesme air : il y a, sauf le plus et le moins, entre nous une perpétuelle ressemblence " (cité in Le Silence des bêtes, p. 349). Il y a bien des manières d’être-au-monde oubliées. " Il y a encore bien des lunes mortes ou pâles, ou obscures, au firmament de la raison ", comme disait Marcel Mauss. Elles ne sont cependant pas perdues à jamais si, comme Élisabeth de Fontenay nous y encourage, nous entreprenons de nous éveiller, et de veiller autant que faire se peut – au sens de prendre garde – au merveilleux concert que donne " la bigarrure muette de la vie animale " (p. 610).
" Ils dorment et nous veillons ", tel est le leitmotiv de la recherche patiente d’Élisabeth de Fontenay. Cette perspective n’est pas moralisatrice, elle est politique au sens le plus élevé de ce mot. Il faut pour finir faire l’hypothèse que c’est aussi dans les rapports que nous instaurerons avec les animaux dans la grande cité mondiale, que se décidera le mode de relation des hommes entre eux. L’humanisme du " propre de l’homme " n’a guère su montrer ses capacités de résistance à l’horreur. Ce n’est pas en tentant vainement de le rétablir – après les terribles secousses qui l’ont ébranlé durant ce siècle – que le salut viendra. Élisabeth de Fontenay fait partie de ces philosophes et penseurs qui, fidèles à la tradition et aux possibilités non encore explorées qui dorment dans le passé, consacrent cependant tout leur temps et leur courage pour contravenir à la répétition fatale de l’identique. Nous avons la chance d’avoir encore de grands professeurs. Mais qu’est-ce qu’un " grand professeur " ? C’est quelqu’un qui échappe à la maladie mortelle du " dernier homme " que Nietzsche avait vu venir il y un siècle, et qui n’est autre que l’impuissance à admirer.
Benoît Goetz, "Élisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1999.", Le Portique, Numéro 4 - 1999 - Eduquer : un métier impossible ? , [En ligne], mis en ligne le 11 mars 2005. URL :
Carl Schmitt (11 juillet 1888 - 7 avril 1985) était un juriste et philosophe allemand. Il fut un intellectuel catholique allemand et un théoricien du droit. Il adhère au parti nazi en 1933, dont il a été le conseiller juridique. Accusé d’avoir conservé des amitiés juives, il est inquiété après 1936 par la SS mais conserve jusqu'à la fin de la guerre son titre de conseiller d'État (il fut nommé par Göring) et de professeur à l'université de Berlin. Il avait d'ailleurs organisé en 1936 un congrès contre l'esprit juif dans la science du droit qui révèle la radicalité de son antisémitisme. Il est acquitté au procès de Nuremberg en 1946 après une année passée en prison. Ses principales œuvres sont: Théologie politique (1922), La notion du politique (1933), Le Nomos de la Terre (1950), Théorie du partisan (1963), Théorie de la Constitution et Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, (1938, trad. Paris, Seuil, 2002).
Il est l'auteur d'une de réflexion sur la nature de l'État et des constitutions. Il considérait ainsi, dans la filiation de la pensée de Bodin, que la souveraineté étatique était absolue ou n'était pas. L'autonomie étatique, selon Schmitt, repose sur la possibilité de l'État de s'auto conserver, en dehors même de la norme juridique, par une action qui prouvera cette souveraineté.
Les controverses liées à la pensée de Schmitt sont étroitement liées à cette vision absolutiste de la puissance étatique.
Biographie
Carl Schmitt est né en Allemagne, dans une famille catholique, à Plettenberg, en Westphalie, ville située dans le Sauerland, à environ 70 km à l'est de Bonn ; il était le fils d'un employé des chemins de fer.
Il part étudier la théorie de l'État et le droit aux universités de Berlin, Munich et Strasbourg et obtient ses diplômes universitaires à Strasbourg en 1915. Professeur aux universités de Bonn et de Berlin, Carl Schmitt participe de près à la vie politique des dernières années de la République de Weimar en occupant un poste de conseiller juridique auprès de la chancellerie. Il joue notamment un rôle de premier plan dans les discussions constitutionnelles qui nourrissent la crise de la république de Weimar. Il est lié dès les premiers mois au régime nazi dont il approuve certains aspects, mais avec lequel il prend ses distances par la suite, pour des raisons diverses, notamment parce qu'il était accusé par les Nazis d'être un opportuniste. Son antisémitisme relève de l'antijudaïsme religieux historique chrétien mais n'a rien de racial. Il soutient le jeune Leo Strauss pour l'obtention d'une bourse Rockefeller afin qu'il aille travailler sur Hobbes en France et en Angleterre ; ses échanges intellectuels après la Seconde Guerre mondiale avec le philosophe Jacob Taubes montrent l'ambiguïté de ses écrits où il traite de manière négative l'apport des juifs à la culture occidentale.
Après 1936, suspect aux yeux des dirigeants hitlériens, il se consacre essentiellement à son œuvre de philosophie politique. Il est emprisonné pendant 18 mois en 1945-1946 avant de recouvrer la liberté. Il n'est pas réintégré dans l'université allemande, mais ne cesse pas de publier.
L'itinéraire d'un intellectuel par temps de crise
Pour saisir un tant soit peu complètement la pensée de Carl Schmitt, il faut d'abord comprendre qu'il appartient à une génération qui a connu le militarisme allemand et l'humiliation du Traité de Versailles qui dépouille littéralement l'Allemagne après sa défaite lors de la Première Guerre mondiale. Il fait partie aussi de cette génération qui voit l'Allemagne passer de l'Empire à la République et se poser la question centrale du type de Constitution politique qu'il faut à la Nation allemande, laquelle, il faut le rappeler, est avant 1914 loin de se vivre unitairement (malgré le courant pangermaniste qui, justement, met en lumière l'éclatement politique des Allemands, soit dans les différents länder, à l'intérieur, comme la Prusse ou la Bavière, soit comme communautés vivant à l'extérieur de l'Allemagne, comme en Pologne ou dans l'Empire austro-hongrois).
Sans préjuger ici de ce qu'il faut penser de Carl Schmitt, eu égard à son engagement politique envers le national-socialisme de Adolf Hitler, il faut donc commencer par rappeler un certain nombre de conditions sans lesquelles on ne saurait pas même comprendre le faitque le national-socialisme ait pu recevoir le soutien de bon nombre d'intellectuels qu'on a du mal à voir s'associer à des entreprises aussi terribles que l'extermination des Juifs d'Europe. Parmi ces intellectuels, il y a Carl Schmitt certes, mais aussi Heidegger ou l'auteur de Sur les falaises de marbre Ernst Jünger. Un petit texte de Leo Strauss, paru récemment en français, Le Nihilisme Allemand, éclaire de manière très puissante la manière dont des grands esprits ont pu se sentir attirés par le discours et la rhétorique de la "décision", de la "situation urgente", de la "réaction vitale", de l'engagement, et ainsi de suite. En quelques mots, ce qui est commun à Schmitt et beaucoup d'autres intellectuels allemands, et qui se voit aussi dans les mouvements artistiques d'avant-garde de l'époque comme l'Expressionnisme, c'est le dégoût pour la vie bourgeoise et décadente et une tendance à attribuer la responsabilité de l'échec de 1918 à une certaine forme de libéralisme et de goût pour le confort matériel. Cette constante, que l'on trouve aussi bien dans la littérature française qui s'en prend au "bourgeois", est sans doute aussi la marque de jeunes esprits plongés dans les temps troublés d'une société assez peu au clair avec ses propres horizons idéologiques.
Dans ce creuset du militarisme allemand qui, avant 14, s'allie à une idéologie nationale pangermanique et antisémite, le Traité de Versailles va polariser les engagements politiques soit vers le gauchisme révolutionnaire et le communisme d'une part (avec les exemples de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht), soit vers la droite populiste et fasciste, autour d'une coalition social-démocrate à laquelle participent des organisations comme le Zentrum, d'obédience catholique, à laquelle Schmitt appartient.
La jeunesse
Contrairement à une idée reçue, Carl Schmitt est assez atypique, si l'on regarde le milieu d'où il vient. Il naît le 11 juillet 1888 à Plettenberg, dans le Sauerland en Westphalie, dans une famille nombreuse et modeste. Le père est employé des chemins de fer, sa mère ne travaille pas et trois de ses oncles sont prêtres. La famille est catholique dans un milieu protestant et du fait que la Westphalie est rattachée à la Prusse depuis 1815, il est par ses origines religieuses et provinciales membre d'une minorité. Le père est membre du Zentrum une organisation catholique qui s'opposa à Bismarck lors du Kulturkampf, qui doit vivre la contradiction d'un État protestant, ayant sous sa tutelle l'Église Réformée, pourtant anti-catholique. Schmitt est donc doublement minoritaire : prussien et catholique. Dès sa jeunesse, Schmitt voit le catholicisme subir une triple pression : confessionnelle (de la part du protestantisme); antireligieuse (de la part des idéologies libérales laïques et socialistes) et de la part du pangermanisme qui est antiromain. Le catholicisme de Schmitt cherchera sa voie dans un certain nationalisme, dans lequel sera recherché un temps le rapprochement entre catholicisme romain germanique et Italie fasciste. On peut dire que Carl Schmitt, intellectuel catholique pratiquant, sera un penseur de la contre révolution, anti-libéral et anti-communiste.
Les années de formation
Après une scolarité primaire dans une école catholique et après le collège, Schmitt entre à l'Université de Berlin en 1906, fait assez rare pour un enfant issu d'un milieu modeste. Son père voulait qu'il embrasse la voie sacerdotale et c'est à sa mère qu'il doit de poursuivre des études universitaires. Il s'inscrit en droit, sans véritable intérêt, puisque son goût va vers la philologie, ce que le lecteur peut noter en lisant son œuvre. Dès la première année il se prend de passion pour la jurisprudence. Après une année à Berlin, Schmitt part pour Münich et Strasbourg où il rédige sa première thèse sur la question de la faute. Schmitt est donc diplomé en Droit en 1910, summa cum laude, c'est-à-dire reçu avec excellence. En 1914, il soutient une thèse d'habilitation, Der Wert des Staates und die Bedeutung des Einzelnen (l'importance de l'État et la signification de l'individu).
Parallèlement, Schmitt fréquente à Münich comme à Strasbourg durant ses années de formation (1910-1920), les milieux artistiques d'avant-garde. Il est passionné par Gottfried Benn et l'expressionnisme. Il restera toute sa vie un collectionneur d'art. Il fréquente aussi les cercles où se rencontrent des écrivains comme Konrad Weiss, Robert Musil, et Theodor Daübler, à qui il consacrera un livre en 1916.
L'expérience de la guerre
En 1915, après avoir obtenu un sursis à son incorporation en qualité d'étudiant, Schmitt s'engage comme volontaire dans l'infanterie. Blessé aux vertèbres lors de l'instruction militaire, il est déclaré inapte au combat et est transféré à l'État-Major militaire de Münich, du fait de sa formation universitaire. En 1916 il est nommé sous-officier à l'administration de l'état de siège. C'est cette même année qu'il épouse Paula Dorotic, d'origine serbe, dont il divorcera plus tard pour se remarier, en 1929, avec Duschka Todorovitch, elle aussi d'origine serbe. Avec Duschka, Schmitt aura une fille unique, Anima. En 1918, il est officier d'intendance et reçoit la Croix de Guerre de deuxième classe, la plus haute distinction pour un officier de l'arrière. Il dirige ensuite le bureau VI du Ministère bavarois de la Guerre, bureau chargé particulièrement de la surveillance de la presse de gauche et de la censure.
La République de Weimar et la crise politique
En portant le regard sur la critique à l'égard de Schmitt au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on remarque trois tendances :
La critique allemande qui rejette Schmitt en bloc, du fait de son allégeance au national-socialisme (Schmitt, après Nuremberg et quelques mois de prison, restera interdit d'enseignement, contrairement à Martin Heidegger);
La critique anglo-saxonne qui distingue le Schmitt juriste de la république de Weimar du juriste national-socialiste;
Un troisième groupe de critiques, qui voit dans le Schmitt du IIIe Reich une trahison du juriste de Weimar.
Carl Schmitt est, sinon d'abord, du moins dans les faits historiques, le juriste de la République de Weimar. De 1920 à 1932 son travail consiste en une réflexion diverse sur le régime présidentiel et les modalités constitutionnelles autour desquelles Weimar vit son développement et sa chute. Tout particulièrement Schmitt travaille sur l'article 48 de la Contitution de Weimar. Il est nommé professeur de Droit, à partir de 1921, dans diverses villes dont Bonn et Berlin. Schmitt apparaît dans ses années comme le champion de la démocratie plébiscitaire et le penseur de la "dictature politique légitime". Sous cette locution, et sous bénéfice d'inventaire, Schmitt pense à la situation politique d'exception (dans laquelle se trouve enlisée la République de Weimar) qui pour se survivre à elle-même a besoin d'un homme fort à la tête d'un État tout aussi fort. On voit par là l'anti-libéralisme de Schmitt : c'est un juriste, penseur de l'homme providentiel soutenu par un État homogène, qui sait prendre des "décisions" approuvées directement par le peuple uni dans une nation. Schmitt n'apprécie guère la bourgeoisie, "la classe discutante", et on ne pourrait pas dire qu'en tant que penseur catholique il vît d'un bon œil l'aristotélisme des régimes libéraux, fussent-ils d'inspiration thomiste : les opinions et les actions politiques inspirées par le juste milieu ne lui inspirent que mépris. Il fait du rapport " ami-ennemi " la clef de voûte de la théorie politique, ce qui ne va pas sans poser de problème lorsqu'il s'agit de déterminer l'ennemi parmi ses propres concitoyens (et pas seulement à l'extérieur de la nation). Cela a pour conséquence le développement d'une philosophie de la décision d'urgence, de la guerre et du combat, d'où les notions de mal et d'Antéchrist ne sont pas absentes.
En situation d'urgence économique et sociale, c'est l'état exceptionnel de la dictature présidentielle qui gouverne par décret-lois, qui doit s'élever au-dessus de toute autre alternative fondamentale. Cette situation, Schmitt la voit se réaliser de 1930 à 1932, c'est-à-dire dans la période où la République de Weimar sombre de sa propre impuissance.
Pensée de Schmitt
Le lecteur voit bien que les catégories politiques opposées à une telle conception (et une telle réalité) du gouvernement démocratique s'appellent le parlementarisme et le régime des partis, deux aspects de la vie démocratique que critique sévèrement Schmitt; d'une part parce que, comme nous nous l'avons dit, le parlementarisme est le fruit du libéralisme bourgeois incapable de prendre des décisions nobles en temps de crise (du fait de la passivité de ce qu'il appelle "la bourgeoisie discutante", trop préoccupée à défendre des intérêts individuels). D'autre part parce que le régime des partis apparaît aux yeux de Schmitt comme étant le lieu où règne la ploutocratie (les intérêts liés à l'argent). La démocratie ne saurait être pour lui libérale, ou liée d'une façon quelconque aux intérêts individuels. Elle devrait être au contraire anti-libérale, reposer sur des prises de décision par plébiscite d'un peuple souverain, entraîné par l'enthousiasme et la force de la nation sûre d'elle-même. On lit ici entre les lignes une influence connue de la modernité : le Rousseau du contrat social, pour qui la vertu est d'abord et avant toute chose le civisme politique lié dans la souveraineté de la volonté générale.
Curieusement, l'anti-libéralisme de Schmitt ne puise pas à la source rousseauiste, mais chez Hobbes, duquel Schmitt tire l'idée de la "guerre de tous contre tous". Pourtant, alors que Hobbes est un penseur de l'entrée de l'homme dans la société politique, sous l'égide du Léviathan (du pouvoir absolu de l'État), justement pour fuir cette guerre de tous contre tous qui règne dans l'état de nature, Schmitt ne semble pas tenir compte que c'est par peur de la mort violente que l'individu se soumet au pouvoir souverain. Or, Schmitt, en occultant au fond une facette libérale de la philosophie de Hobbes (la fin de la mort violente est apportée par la paix, elle-même issue de la mise en place de l'État absolu), va magnifier la mort au point d'en faire le point de départ du civisme : il faut être capable de donner sa vie pour la nation.
La thèse ami/ennemi
La Théologie Politique
Œuvres de Carl Schmitt
Les dates indiquent les années de parution des éditions en français. Entre crochets, la date de parution en allemand.
La mer contre la terre, 1941, texte d'une conférence de C. S., in "Cahiers franco-allemands", t. 8, n.os 11-12, p. 343-349
Souveraineté de l'État et liberté des mers. Opposition de la terre et de la mer dans le droit international des temps moderne, 1943, in K. Epting, Quelques aspects du droit allemand, six conférences, Paris, Sorlot.
La notion du politique - Théorie du partisan, Calman-Lévy, Paris (trad. de Marie-Louise Steinhauser de : Der Begriff des Politischen [éd. de 1933] ; Theorie des Partisanens.Zwischenbemerkung zum Begriff des Politischen [1963]).
Du politique. Légalité et légitimité et autres essais, 1980, Puiseaux, éd. Pardès (avec une préface d'A. de Benoist, le livre contient, outre la trad. de Legalität und Legitimität, d'intéressantes traductions d'articles de C. S. sur le droit international et la géo-politique entre 1930 et 1960)
Terre et Mer. Un point de vue sur l'histoire du monde, 1985, Le Labyrinthe, Paris (introduction et postface de J. Freund, trad. de J. L. Pesteil)
Parlementarisme et démocratie, 1988, Seuil, Paris (trad. de Jean-Louis Schlegel de : Die geistesgeschichlitche Lage des heutigen Parlamentarismus [1923] ; Der Gegesensatz von Parlamentarismus und modernen Massendemokratie [1926] ; Der Begriff der modernen Demokratie in seinem Verhältnis zum Staatsbegriff [1924] ; Staatsethik und pluralistischer Staat [1930] ; Die Wendung zum totalen Staat [1931] ; Zu Friedrich Meineckes Idee der Staatsräson [1926]).
Théologie politique, 1988, Gallimard, Paris (trad. de Jean-Louis Schlegel de : Politische Theologie [1922] et Politische Theologie, II [1970]).
Le droit comme unité d'ordre (Ordnunng) et de localisation (Ortung), 1990, in "Droits", n. 11, Paris, PUF, p. 77 ss.
La notion positive de Constitution, 1990, "Droits", n° 12, PUF, Paris (p. 149 ss.).
La situation de la science du droit, &991, in "Droits", PUF, Paris (trad. d'Olivier Beaud : Die Lage der europäischen Rechtswissenschaft [1943-44]).
La notion du politique - Théorie du partisan, 1992, Flammarion, Paris (Cf. 1972, dont c'est un nouvelle édition avec préface de Julien Freund).
Hamlet ou Hécube, 1992, l'Arche, Paris (trad. de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil : Hamlet oder Hekube [1956]).
Théorie de la constitution, 1993, PUF, Paris (trad. et préf. d'Olivier Beaud : Verfassungslehre [1928]).
Les trois types de pensée juridique, 1995, PUF, Paris.
Du politique. Légalité et légitimité et autres essais, 1996, Pardès, Puiseaux (cf. Paris 1980).
État, mouvement, peuple - L'organisation triadique de l'unité politique, 1997, Kimé, Paris (intr. et trad. de Agnès Pilleul).
La dictature, Seuil, Paris, 2000 (trad. par Mira Köller et Dominique Séglard).
Le Nomos de la Terre, PUF, Paris, 2001 (trad. par Lilyane Deroche-Gurcel, révisée, présentée et annotée par Peter Haggenmacher)
Le Leviathan dans la doctrine de l'État de Thomas Hobbes. Sens et échec d'un symbole politique, Seuil, Paris, 2002 (trad. de Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes. Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols, Hanseatische Verlagsanstalt, Hamburg, 1938).
La valeur de l’état et la signification de l’individu (éditeur scientifique : Sandrine Baume), Droz, Genève, 2003
Commentaires, essais et critiques sur Carl Schmitt
David CUMIN, Carl Schmitt. Biographie intellectuelle et politique. Éditions du Cerf, 2005, 244 pages.
Jean-François Kervégan, Crise et pensée de la crise en droit. Weimar, sa république et ses juristes. ENS éditions, 2002. 231 pages.
Olivier Beaud, Les derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l'avénement du nazisme. Éditions Descartes & Cie, 1997.
Jean-François Kervégan, Hegel, Carl Schmitt. La politique entre spéculation et positivité. PUF, 1992. 345 pages.
Meier, Heinrich. Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique : un dialogue entre absents. Paris, Julliard, 1990. Coll. "Commentaire".
Théodore Paléologue, Sous l'œil du Grand Inquisiteur. Carl Schmitt et l'héritage de la théologie politique. Éditions du Cerf, 2004. 314 pages.
Muller, Pierre. Carl Schmitt et les intellectuels français, la réception de Schmitt en France, Editions de la FAEHC, Mulhouse, 2003.
Balakrishnan Gopal, "L'ennemi - Un portrait intellectuel de Carl Schmitt" Editions Amsterdam, Paris, 2006.