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08/01/2006

Leo Strauss. L'esprit de son intervention philosophique

Par Olivier Berichon-Seyden

Qui est Leo Strauss ? Poser cette question n'est pas seulement légitime pour ceux d'entre nous qui ne connaissent pas cet écrivain ; ceux qui le connaissent se la posent aussi et sont contraints de le faire. Car Leo Strauss, et c'est l'impression que je souhaiterais pouvoir transmettre ce soir, est quelqu'un d'étrange, sa pensée résiste à toute préhension réductrice et elle exige une implication et une participation qui font que ce qui est le plus important est plus de l'ordre de l'expérience que l'on y fait que des opinions qui y sont exprimées ; car derrière les difficultés Strauss est aussi quelqu'un d'extraordinaire et de merveilleux. Je vais commencer par un détour dans le passé, qui est, à bien des égards, le lieu de naissance de la pensée....

Lien vers la suite du texte:

http://constitutiolibertatis.hautetfort.com/files/strauss...

07/01/2006

La bioéthique dans la perspective de la philosophie du droit

Francesco D'Agostino, La bioéthique dans la perspective de la philosophie du droit, PU Laval, 2005

Née pour répondre à un malaise, ressenti de manière croissante par tous ceux qui se rendent compte du caractère fortement invasif de la biomédecine et de la biotechnologie modernes, la bioéthique est rapidement devenue à son tour le signe d'un malaise qui est à la source d'âpres controverses tant pratiques que théoriques. Un malaise qui ne fait que croître à mesure qu'augmentent les questions casuistiques dont s'occupent les bioéthiciens, au point de rendre quasi nécessaire et décisive l'intervention des juristes et des politiques dans leurs débats.

La bioéthique a sa logique et elle a besoin d'un raisonnement logiquement cohérent, mais elle possède avant tout un cœur qui est l'idée que la vie soit à la fois l'horizon de notre expérience et l'horizon de notre perception du bien. C'est uniquement à partir de cette idée (dans laquelle ontologie et axiologie s'entremêlent et s'intègrent) qu'il est possible d'écrire des mots de bioéthique qui s'ouvrent à l'espérance et à ce qui a du sens.

Francesco D'Agostino (Rome, 1946) est l'actuel président du Comité national de bioéthique d'Italie.Il est professeur de philosophie du droit à la Faculté de droit de l'Université de Rome " Tor Vergata " et professeur de Philosophia et Theologia Juris à l'Institutum Utriusque Juris de l'Université pontificale du Latran.

Membre de l'Académie pontificale pour la vie et membre du Conseil scientifique de l'Institut de l'encyclopédie italienne.

Il est codirecteur de la collection de philosophie du droit " Recta Ratio " (Giappichelli, Turin) et codirecteur de la revue Rivista Internazionale di Filosofia del Diritto (Giuffrè, Milan).

06/01/2006

Réflexions sur la philosophie du droit

De Bjarne Melkevik, P.U. Laval, 2000.

Comment penser aujourd'hui le projet juridique moderne dans un monde déboussolé et qui tend à capituler devant le cynisme, la déraison et les réalités matérielles éphémères ?

À travers des réflexions sur la solidarité, l'identité, la métaphysique, l'idéologie, la culture et le positivisme, se dessine un ensemble d'arguments et de raisons pour nourrir, soutenir et approfondir nos idées sur le projet juridique moderne.

C'est par le dialogue et la réflexion que nous pourrons aujourd'hui aboutir à l'élaboration de ce droit que nous devons réciproquement faire le nôtre. En revivifiant la modernité juridique par la critique, la communication et l'actualisation continuelle, nous pourrons alors vraiment prétendre à devenir les auteurs démocratiques de nos droits, de nos normes et de nos institutions.

Ce livre invite à la réflexion et au ressourcement dans l'esprit d'une publicité démocratique de la philosophie du droit.

Bjarne Melkevik est professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval, à Québec. Docteur ès droit (Paris II). Auteur de nombreux articles en philosophie du droit et de plusieurs ouvrages, il a publié Horizons de la philosophie du droit (PUL & L'Harmattan, 1998).

05/01/2006

Théorie et ontologie du droit chez Dworkin

Un texte de Ricardo Guastini.

guastini-dworkin.pdf

13:40 Publié dans Dworkin | Lien permanent | Commentaires (0)

04/01/2006

La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction

Carlos Miguel Herrera, La philosophie du droit de Hans Kelsen, P.U. Laval.

Une théorie qui veut établir les principes d’une science du droit, mais dont les fondements épistémologiques remontent aux premières années du XXe siècle, peut-elle garder sa validité de nos jours ? Une analyse qui entend séparer la connaissance du droit de la sociologie est-elle encore possible ? Une conception juridique qui pense que la justice et les droits de l’homme n’ont aucune pertinence pour la compréhension du droit est-elle toujours actuelle ?

L’œuvre de Kelsen est toujours là, ouverte à plusieurs questionnements, prête encore à donner des réponses; ce livre s’interroge sur les raisons pour lesquelles l’œuvre de Kelsen continue d’être lue en ce nouveau siècle.

Membre de l’Institut universitaire de France, Carlos Miguel Herrera est professeur à l’Université de Cergy-Pontoise où il dirige le Centre de philosophie juridique et politique. Il a publié plusieurs études sur l’œuvre de Hans Kelsen, dont Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen (Kimé, 1997) et a assuré la direction de Actualité de Kelsen en France (LGKJ, 2001).


08:45 Publié dans Kelsen | Lien permanent | Commentaires (0)

03/01/2006

Droit politique selon Michel Villey

Stéphane Bauzon, Le métier de juriste. Du droit politique selon Michel Villey, P.U. Laval.

« Le temps vient de secouer l'ascendant des philosophies extrinsèques : de repenser la méthode du droit en la puisant à l'expérience particulière des juristes ». Par ces mots, Michel Villey (1914-1988) nous donne le code (comme aurait dit Jasper) de compréhension de sa philosophie du droit. Ce livre analyse l'œuvre du plus célèbre philosophe du droit français de manière à mettre en lumière cette préoccupation première de Michel Villey : le métier de juriste.

Le livre de Stéphane Bauzon, Le métier de juriste. Du droit politique selon Michel Villey ne laisse pas indifférent. L'auteur qui en est l'objet, Michel Villey, a été diversement apprécié de ses collègues. Il a été par eux plus combattu que compris.

L'expression « droit politique » ne renvoie pas du tout au droit constitutionnel, aux libertés politiques ou au droit social, mais à un ensemble intellectuel proche, dans une perspective pratique, du jus civile des jurisconsultes romains. Il s'agit « de dire ce qu'est le droit pour le praticien, à l'intérieur de son métier ».

À la fois simple et profond, ce livre est d'une grande utilité aux juristes confirmés et aux étudiants en droit. Les uns pourront réfléchir sur les perspectives ouvertes par Stéphane Bauzon dans le métier de juriste et les autres pourront être très agréablement initiés aux problèmes fondamentaux de la philosophie du droit.

Stéphane Bauzon est chargé de recherche en philosophie du droit à la Faculté de droit de l'Université de Rome II « Tor Vergata ». Docteur en droit de l'Université de Paris II « Panthéon-Assas » et diplômé de l'Institut d'études politique de Strasbourg, il a rédigé plusieurs articles de philosophie du droit et de bioéthique publiés dans des revues françaises et italiennes.

08:50 Publié dans Villey | Lien permanent | Commentaires (0)

Deux chapitres sur la doctrine de Carl Schmitt

Norbert Campagna, Le droit, le politique et la guerre. Deux chapitres sur la doctrine de Carl Schmitt, P.U. Laval.

Contrairement à la lecture superficielle qui est souvent faite de l'œuvre de Schmitt, ce livre veut reconstruire la pensée schmittienne dans sa complexité et sa richesse. Un des problèmes qui a préoccupé Schmitt et auquel il a tenté de trouver une solution est celui de l'ordre. Ce dernier est condition de possibilité de tout système juridique efficace et doit être instauré ou sauvegardé par la décision politique. Pas d'ordre juridique sans décision politique, mais pas de décision politique légitime sans une visée juridique. Si le politique est la condition de possibilité juridique, la visée juridique est la condition de légitimité du politique.

Cet ouvrage explore la thématique de l'ordre dans les sphères nationale et internationale. À l'intérieur, il incombe au souverain politique de maintenir les conditions de possibilité du droit en écartant tout ce qui pourrait donner lieu à la guerre civile. Au niveau international, il importe de maintenir la notion d'égalité entre les puissances souveraines pour éviter que les guerres entre États ne deviennent totales.

Norbert Campagna a étudié la philosophie aux universités de Heidelberg, Cambridge et Trêves. Titulaire d'un doctorat en philosophie, il enseigne au Luxembourg. Spécialiste de philosophie politique et de philosophie du droit, il a publié une dizaine d'ouvrages, dont Le Droit, la nature et la volonté (Paris, 2004), Carl Schmitt ? Eine Einführung (Berlin, 2004), Michel Villey. Le droit ou les droits ? (Paris, 2004), Benjamin Constant ? Eine Einführung (Berlin, 2003) et Machiavelli ? Eine Einführung (Berlin, 2003).




02/01/2006

Rawls ou Habermas

Bjarne Melkevik, Rawls ou Habermas.Une question de philosophie du droit, P.U. Laval

 Seule la philosophie du droit de Habermas nous semble apte à respecter les enjeux modernes et intersubjectifs, et apte à nous permettre de nous confirmer réciproquement et démocratiquement comme les auteurs de nos normes, droits et institutions.

La philosophie de Rawls n'est tout simplement pas appropriée au domaine de la philosophie du droit. Elle ne représente ni plus ni moins qu'une « mise en cage  » morale de la possibilité de droit. Ainsi, elle s'érige comme un soi-disant « Vrai-droit moral  » ne pouvant que détourner le projet moderne du droit de son sens et porter violence à l'autonomie aussi bien juridique que démocratique des sujets de droit.

L'invitation que nous a lancée Habermas d'engager la philosophie du droit sur le chemin d'une conception de la politique délibérative, avec les processus démocratiques à l'arrière plan, nous semble plus prometteuse. Précisément, parce qu'elle respecte et prend en compte le rôle charnière que les sujets de droit jouent dans le projet juridique moderne.

Contre les partisans obnubilés par les mirages de tout « Vrai-droit moral  », il y a tout lieu de prendre plus au sérieux le projet juridique moderne et autolégislation démocratique.

Bjarne Melkevik est professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval. Il est auteur de Horizons de la philosophie du droit (PUL et L'Harmattan) et Réflexions sur la philosophie du droit (PUL et L'Harmattan).

08:55 Publié dans Rawls | Lien permanent | Commentaires (0)

01/01/2006

Dupuy - Le sacrifice et l'envie

Jean-Pierre Dupuy, Sacrifice et l’envie – Libéralisme et justice sociale, Calman-Lévy, 1990, repris en poche chez Hachette, Pluriel, 1992

"Le sacrifice et l'envie". Comme l'explique Jean-Pierre Dupuy dans sa préface, ce titre renvoie à une question: comment, pourquoi et par quoi les sociétés modernes ont-elles remplacé la notion de sacrifice? Par sacrifice, il faut entendre ici le sacrifice de l'individu à une fin supérieure (Dieu, pour ne pas le nommer). La réponse de Dupuy est que le sens du sacrifice a été remplacé par le sentiment "d'envie"; l'envie correspondant, en termes économiques, à la notion de concurrence.

L'une des idées de départ est ici qu'une société fondée sur le principe concurrentiel menace de déboucher sur "la guerre de tous contre tous". Mais toute l'originalité de l'ouvrage est d'affirmer que les théoriciens du libéralisme eux-mêmes ont conscience de ce risque, et tentent d'en évacuer le poids dans leurs écrits.

C'est dans cette perspective que Dupuy se propose d'aborder les oeuvres d'Adam Smith, de John Rawls, de Robert Nozick et de Friedrich Hayek. Son propos se situe donc entre la philosophie et l'économie politique.

Pour faire face à cette difficulté, les libéraux recourent, sous une forme ou une autre, à la théorie de la "main invisible", assimilable à la ruse de la raison hégélienne. En agissant en vue de leurs fins particulières, les individus autonomes oeuvrent inconsciemment à la réalisation de la fin commune qu'est l'organisation de la société.

Benjamin Constant le démontre en prenant l'exemple de la loi: la loi n'est jamais créatrice d'ordre social, elle ne vient au contraire que constater et officialiser l'état actuel de la société. Elle n'est donc pas l'expression a priori d'une volonté générale, mais un constat normatif a posteriori.

Dupuy étudie à cette occasion l'influence de la monadologie de Leibniz sur les penseurs libéraux. Comme Leibniz, ils pensent que les individus sont des monades "qui n'ont ni portes ni fenêtres", qui sont indépendantes les unes des autres.

Mais, conformément à l'esprit des Lumières, les libéraux rejettent l'idée d'une référence divine commune, qui est pourtant la clef de voûte de la monadologie, puisque Dieu, la monade des monades, garantit la réalisation de l'optimum, c'est à dire du meilleur des mondes possibles. Quel est, dès lors, le principe moteur de l'organisation sociale ? Dupuy note que, bien que les penseurs du libéralisme soient partis avec l'idée d'un "point de référence endogène", qui serait produit spontanément par l'action des individus, ils "finissent par sacraliser leur point fixe endogène, lui donner un statut d'extériorité". Selon Dupuy, ce renoncement théorique n'était pas inévitable, et n'est accepté que "par peur devant les ravages possibles de l'univers concurrentiel (...) La sortie de l'organisation religieuse du monde instaure une ère de concurrence potentiellement illimitée (...) Cependant les penseurs de l'économie politique, pris de vertige devant cet univers sans borne qui s'ouvre devant eux, refusent d'en assumer toutes les conséquences".

Telle est l'analyse centrale de l'ouvrage de Dupuy: par peur des conséquences de l'envie, ces penseurs réintroduisent dans leurs modèles, de façon plus ou moins détournée, la notion de sacrifice.

Ce qui donne une importance concrète à cette évolution, c'est que l'économie, après avoir affirmé son autonomie par rapport à la philosophie ou à la morale, entend aujourd'hui ("depuis 2 décennies environ") se réapproprier les principaux thèmes du questionnement des philosophies morale et politique, mais dans une approche qui se veut plus "scientifique", "selon une démarche hypotético-déductive fortement imprégnée de logique et de formalisme mathématique".

Dupuy montre que les penseurs libéraux rejettent l'idée simplificatrice selon laquelle l'économie ne serait qu'une science de la maximisation de la richesse nationale, tandis qu'il appartiendrait à la politique d'en déterminer l'emploi. L'économie se veut désormais normative et non plus seulement positive.

Dupuy souligne à cette occasion les deux concepts qui délimitent le cadre dans lequel peut se penser le libéralisme: l'attachement à l'unanimité, exprimée dans l'optimum de Pareto, c'est à dire un état que tous reconnaissent comme le meilleur possible, l'état efficace qui maximise les utilités. Parallèlement est affirmé un refus de la comparaison de ces utilités entre elles, au nom de l'autonomie des individus, et surtout parce que la comparaison remettrait en cause l'unanimité, alors qu'elle est la source de légitimité de l'état efficace de la société.

Mais la volonté de dépasser la vision théorique de l'optimum social fondé sur l'unanimité pour prendre en compte l'aspect conflictuel de la société amène à réintroduire l'élément de comparaison, à travers la notion d'envie. Il ne s'agit pas ici de la passion humaine habituellement désignée par ce terme, mais du sentiment d'une inéquité qui heurte la Raison; c'est pourquoi Rawls affirme que l'envie, contrairement au ressentiment, n'est pas un sentiment moral".

Mais Rawls doit bien reconnaître, avec Freud, que la passion envieuse se déguise généralement sous des motifs éthiques. Or Dupuy démontre, à partir des hypothèses libérales elles-mêmes, que l'efficacité, et donc l'unanimité qu'elle suppose, n'excluent pas l'envie. Là où il y a envie, il ne peut y avoir équité: la "justice" (efficacité + équité) n'est donc pas possible.

JP Dupuy souligne les graves conséquences logiques de cette constatation: dès lors que la Nature, c'est-à-dire le hasard, détermine une inégalité de fait des capacités productives des individus, ce qui correspond manifestement à la réalité, efficacité et équité peuvent être incompatibles. "Ce sont deux principes "supra-éthiques", tirant en principe leur force de leur seule évidence logique, qui se contredisent, comme si la Raison se niait elle-même". En définitive, cette pensée libérale ne parvient pas à dépasser l'opposition liberté/égalité. C'est à partir de là que Dupuy aborde la "sympathie envieuse" d'Adam Smith.

Les exégètes de Smith opposent traditionnellement la sympathie, qui domine la majorité des actions humaines, et l'égoïsme (self-love) qui prévaut dans le domaine économique. Or, selon J-P Dupuy, "le self-love n'est pas (...) l'opposé de la sympathie, pour la bonne raison qu'il en est une modalité". La sympathie réciproque est le principe qui assure la cohésion sociale tout en respectant l'absolue autonomie des individus. Il permet aux individus de se soumettre à leur propre jugement moral. Mais Dupuy démontre des termes mêmes de l'analyse de Smith, que cette sympathie se confond avec l'envie. On comprend mieux alors comment le self-love peut ne pas être contradictoire avec la sympathie, et comment il est le fondement, à l'échelle individuelle, de l'action de la main invisible. La "modernité" de Smith tient à ce que son analyse accorde une part essentielle aux relations interpersonnelles: loin du modèle de l'homo economicus rationnel et isolé, il annonce les anticipations rationnelles de  la théorie des jeux.

Dupuy se retourne alors vers l'autre versant de sa problématique: le sacrifice, étudié à travers la lecture de John Rawls. Ce dernier est le tenant d'un libéralisme déontologique. Héritier de Kant, il écrit contre le libéralisme téléologique, c'est-à-dire essentiellement l'utilitarisme. Rawls rejette l'utilitarisme en refusant le sacrifice (essentiellement le sacrifice de l'individu ou de la minorité au bien-être de la majorité) et l'arbitraire.

Le refus du sacrifice chez Rawls
Le concept de "voile d'ignorance" lui permet de proposer les bases d'une nouvelle théorie de la justice. Celle-ci réussit à concilier la liberté individuelle et le contrat social. En effet, "sous" le voile d'ignorance, les individus acceptent rationnellement un contrat social juste pour tous ses membres:
ne sachant pas en quelle position ils vont se retrouver, ceux-ci se  garantissent les uns les autres la jouissance des "biens premiers" (les droits et les libertés, les possibilités offertes à l'individu, les revenus et la richesse et, surtout, les "bases sociales du respect de soi-même").

Les principes de la justice posés par Rawls sont des propositions de valeur décroissante. Le premier de ces principes constitue "un point fort du libéralisme politique, qui le distingue absolument de ce que l'économie a fait de lui". Quant au principe de différence, il est chargé de dire la justice économique et sociale, donc de dire quelles sont les inégalités justes et les inégalités injustes. Il est hors de question pour Rawls de sacrifier le plus mal loti au bien des autres, comme ce pouvait être le cas dans une conception utilitariste.

Mais selon Dupuy, la théorie de la justice rawlsienne ne s'oppose au côté sacrificiel de l'utilitarisme que parce qu'elle exclut a priori de son champ les situations sacrificielles. Selon lui, appliqués à une situation sacrificielle (et il faut entendre par là situation exceptionnelle à laquelle des inégalités sociales ou économiques, même persistantes, ne correspondent pas), la théorie de Rawls aboutit au même résultat que l'utilitarisme, car c'est le principe même d'unanimité qui fait perdurer dans la société la possibilité du sacrifice.

Le refus de l'arbitraire chez Rawls

Dupuy aborde alors le second volet de l'analyse rawlsienne: le refus de l'arbitraire, qui s'exprime dans la mise en oeuvre concrète de la justice sociale. Pour Rawls, la justice sociale est une "justice procédurale pure", dans la mesure où une procédure d'organisation de la société juste ne peut provoquer que de justes inégalités. D'un point de vue politique, on pourrait dire que la conception rawlsienne est très modérée, puisqu'elle veut concilier un marché efficace, sans monopoles, et un Etat justement redistributeur.

Dupuy souligne le risque que court Rawls d'être récupéré comme caution morale de n'importe quelle politique. Il s'efforce de montrer que, pas plus qu'envers le sacrifice, la théorie de Rawls n'est "stable" envers l'envie. Si l'arbitraire s'exprime dans la différence de "talents" que nous a accordé la nature, la société juste ne doit pas reproduire et amplifier cet effet arbitraire. Rawls rejette à l'occasion toute méritocratie, le mérite n'étant que le reflet d'une distribution due au hasard.

Reste à écarter l'envie, dont Rawls ne peut ignorer la présence éclairée par Freud : selon Dupuy, Rawls n'y parvient pas, n'y opposant qu'une "argumentation mal assurée, tautologique et redondante (...) proche du wishful thinking".

Pour Dupuy, les difficultés de la théorie rawlsienne viennent de ce que "la théorie de la justice et son contexte ne sont pas de même nature". Ce contexte peut être pensé en trois grands modèles:

- le "modèle conservateur". Il n'est plus présent aujourd'hui comme tel. Il conçoit le principe hiérarchique, et donc l'inégalité sociale, comme la forme même de la justice. Il s'oppose donc résolument aux conceptions modernes, dont l'égalité constitue l'imaginaire social. On peut en retrouver l'héritage dans les théories de la "nouvelle droite";


- le "modèle critique démystificateur", qui se définit de façon négative par rapport aux autres. Pour Dupuy, Bourdieu en est l'illustration parfaite;

- enfin le "modèle individualiste méritocratique", qui se situe entre les deux précédents et subit leur influence. "Sous des apparences anodines, derrières des formules qui fleurent le bon sens et même l'insignifiance, ce modèle tait une grande cruauté". Il correspond en effet, selon Dupuy, soit à une société où les mérites de chacun déterminent une bonne fois pour toutes les conditions (à l'image du concours), soit à une société de concurrence effrénée, où au contraire rien n'est jamais acquis.

Aucun de ces modèles n'est en réalité assez stable pour constituer le fondement d'une société moderne. Or la théorie de la justice de Rawls ne s'intègre dans aucun d'entre eux. C'est ce qui fait sa pureté, mais aussi sa relative faiblesse, en ce que l'on a du mal à la rattacher à un contexte concret. Dupuy en conclut donc que la théorie rawlsienne est l'illustration de "la justice sociale introuvable", puisqu'elle souligne l'imperfection des modèles existants sans engendrer de nouveau modèle.

Sont enfin envisagées les positions des auteurs "ultra-libéraux" que sont Nozick et Hayek. Tout en soulignant les différences considérables qui séparent ces deux auteurs, Dupuy se concentre sur ce qui les rassemble, à savoir la justice procédurale. Ici, la justice procédurale pure déjà présente chez Rawls prend une importance plus grande encore. Le voile d'ignorance devient quant à lui le "manteau opaque" qu'Hayek nomme la "complexité sociale". En réalité, Dupuy s'intéresse surtout à Hayek, dont il remarque, après avoir rendu hommage à l'importance de ses travaux, que sur "la justice sociale, [il] a cependant bien peu de choses à dire, même s'il les donne pour définitives. La justice sociale est une notion privée de sens, c'est un mirage".

Selon Dupuy, si la philosophie cognitive et sociale de Hayek est "remarquable de justesse et de profondeur", tout le problème est que "ses conclusions éthiques et politiques n'en découlent aucunement". Ces conclusions tournent autour de l'idée d'une ruse de la raison, qui s'exprime dans la génération spontanée de l'ordre social, et dans sa meilleure illustration: le marché. Cet ordre social est animé par deux principes: la concurrence et l'imitation. Agir de façon juste, c'est respecter les règles abstraites de l'ordre social dans lequel on est inséré. Cet ordre social ne peut être injuste, car il n'est pas le fruit d'une volonté. "L'intervention de l'Etat est donc par principe un mal puisqu'elle entretient l'illusion de l'intentionnalité là où il n'y a (...) que processus sans sujet".

Cette façon de s'en prendre à l'Etat coïncide, pour Dupuy, avec une réintroduction "parfaitement arbitraire" de l'idée d'intention. De plus, et c'est même le point le plus problématique, Hayek est confronté comme les autres penseurs libéraux à l'envie, et ne peut y trouver de compensation que par le recours à l'extériorité: il se retrouve ainsi à poser l'existence d'un Savoir absolu. Bref, le retour du dogme dans une pensée prétendument "libérée".

Le libéralisme se construit donc dans ce que l'on pourrait appeler un "refoulement de la foule". Le marché est censé contenir la foule et prévenir sa désagrégation. Mais si contenir veut dire réfréner, ce verbe signifie en même temps englober: ce que le libéralisme réprime, c'est ce qu'il rend possible, à savoir le déchaînement de l'envie.

Alexandre Makar et Guillaume Dupont, avril 2002

10:25 Publié dans J.P. Dupuy | Lien permanent | Commentaires (0)

31/12/2005

La théorie du droit selon Dworkin

Un texte de Michel Troper.

dworkin-troper.pdf

13:35 Publié dans Dworkin | Lien permanent | Commentaires (0)

La théorie du droit comme interprétation

Un texte de Dworkin.

dworkin-interpretation.pdf

13:30 Publié dans Dworkin | Lien permanent | Commentaires (0)

30/12/2005

La chaîne du droit

Par Ronald Dworkin.

dworkin-chaine.pdf

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Le positivisme

Par Ronald Dworkin.

dworkin01.pdf

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15/11/2005

Au nom du peuple

Au nom du peuple

Qui a le dernier mot en matière constitutionnelle ?

 

Larry Kramer

Publié dans le numéro de février-mars 2004 de la Boston Review

trad. fçse Valentine Fouache

 

[Cet article de Larry Kramer, l’un des plus grands constitutionnalistes américains actuels, doyen de la Law School de l’Université de Stanford, offre au lecteur français une véritable réflexion sur le rôle de la Cour Suprême américaine ainsi qu’une violente remise en cause de son autorité. L’auteur ne se permet une telle remise en cause qu’au terme d’une étude approfondie de la conception du rôle de la Cour-Suprême aux Etats-Unis de 1787 à nos jours, fondée à la fois sur l’histoire, le droit, la politique et la doctrine. Larry Kramer constate en effet que l’ensemble du peuple américain accepte aujourd’hui que cette juridiction possède l’autorité ultime en matière constitutionnelle, ce qui lui permet de rendre des décisions dont les conséquences sur la vie quotidienne des américains sont essentielles. Mais il s’emploie à démontrer qu’une telle conviction est tout sauf ancrée dans son histoire et qu’elle a en réalité toujours été au service de ceux qui souhaitaient, pour des motifs idéologiques, refuser au peuple l’exercice du pouvoir. Selon lui, il est étonnant que, de nos jours, elle rencontre une telle adhésion et il invite par conséquent les américains à s’interroger sur leur rôle politique, ainsi que sur leur passivité à l’égard d’une juridiction dont l’autorité ultime en matière constitutionnelle n’est pas pour lui une nécessité.]

 

Qui a le dernier mot lorsqu’il s’agit de déterminer le sens du texte constitutionnel ? Qui décide en dernier ressort si un Etat est compétent pour réglementer ou interdire l’avortement ? Ou si le Congrès peut légiférer en matière de protection des personnes âgées ou des handicapés ? Qui détermine quel est le vainqueur d’une élection présidentielle contestée ? Sur ces sujets et bien d’autres, d’une importance essentielle pour la société, la réponse, ces dernières années, a été la Cour Suprême. En effet, si l’on en croit des études récentes, telle était, selon la plupart des individus, l’intention de nos Pères fondateurs. Et la plupart des américains semblent désireux, et même satisfaits, d’en rester là. Ce que les avocats dénomment la " suprématie judiciaire ", - c’est à dire l’idée selon laquelle les juges décident en dernier ressort et pour l’ensemble de la population ce que la Constitution signifie - rencontre aujourd’hui largement les faveurs du public. Bien sûr, d’autres intervenants ont leur mot à dire. Le sens du texte constitutionnel peut faire l’objet d’opinions de la part du Président, du Congrès, des Etats et des citoyens. Mais les juges décident si ces derniers ont raison ou tort, et les arrêts des juges sont censés régler les questions pour tout le monde, ne s’inclinant que devant la procédure formelle de l’amendement, impossible en pratique.

 

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au contraire, et étonnamment, la suprématie judiciaire n’est largement acceptée que depuis peu de temps, puisqu’il s’agit d’une évolution qui ne date véritablement que du début des années soixante et qui ne parvint à maturité que dans les années quatre-vingts. Il ne fait aucun doute que les hommes et les femmes qui vécurent à l'époque de l’élaboration de la Constitution n’auraient pas accepté – et n’acceptaient pas – l’idée que la Constitution soit confiée à une élite juridique, et auraient douté si on leur avait dit (ce que l’on nous dit fréquemment aujourd’hui) que la principale raison de s’inquiéter de l’issue de l’élection présidentielle était la possibilité offerte au vainqueur de contrôler les nominations des juges. James Madison songeait en 1788 que le fait de confier à un corps de juges non-élus une telle importance et de les traiter avec tant d'égards " rend le pouvoir judiciaire suprême dans les faits ", " ce qui n’a jamais été prévu et ne pourra jamais être approprié ". La Constitution de la génération qui fut le témoin de son élaboration était une Constitution populaire : la charte du peuple, élaborée par le peuple. Et elle était, selon les propres termes de Madison, " le peuple lui-même " - œuvrant par l’intermédiaire de ses représentants au gouvernement et leur répondant - qui " seul peut énoncer le sens véritable [de la Constitution] et imposer son respect ". L’idée de transférer cette responsabilité à des juges était tout simplement inimaginable.

Texte de Kramer

14/11/2005

Qu'est-ce que le positivisme juridique?

U. Scarpelli, Qu'est-ce que le positivisme juridique ?, LGDJ/Montchrestien, 1998.

Né dans la culture juridique allemande à la fin du XIXe siècle, le positivisme juridique a subi après la Seconde Guerre mondiale l'influence de la philosophie analytique et de la théorie du langage, tout particulièrement en Italie, où il a donné naissance à une véritable école. Uberto Scarpelli en fut l'un des plus brillants représentants et ce livre constitue l'exposé le plus important et le plus systématique des idées de cette école, en même temps qu'une tentative hardie pour ouvrir le positivisme aux valeurs. L'un des thèmes dominants du positivisme juridique classique est l'idéal de pureté axiologique. La réinterprétation qui en est donnée par l'école analytique italienne est une remise en cause de cet idéal et la démarche de Scarpelli est à cet égard particulièrement éclairante. Comme l'écrit dans sa préface Letizia Gianformaggio, " le juriste positiviste est, pour Scarpelli, celui qui a choisi de se placer à l'intérieur d'un système de droit positif... en raison de son adhésion aux valeurs fondamentales du système... et de travailler sur le droit, afin d'en faire un ordre, c'est-à-dire un système complet et cohérent, de manière à pouvoir l'étudier et l'appliquer fidèlement ". Selon les propres termes de Scarpelli, ce livre est donc une véritable " interprétation politique du positivisme juridique ". Il doit contribuer à changer l'idée que s'en fait le public français.

13/11/2005

Théorie générale du droit et de l'Etat

Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l'Etat: Suivi de : la doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, LGDJ / Montchrestien, 1998

Hans Kelsen est, sans conteste, le juriste le plus important de ce siècle. Il n'y a pas une seule question de théorie juridique qu'on puisse traiter aujourd'hui sans examiner d'abord l'analyse qu'il en fait, mais son oeuvre ne concerne pas seulement le droit et la philosophie du droit ; elle touche aussi la philosophie politique, l'épistémologie, l'éthique ou la logique. Sa théorie du droit représente, à côté du réalisme, l'une des deux branches du juspositivisme moderne, connue sous le nom de normativisme et que lui-même appelait " Théorie pure du droit ". Elle se donne comme une théorie scientifique qui se borne à décrire son objet, le droit positif, et qui donc est " pure " de tout jugement de valeur. La pureté ne concerne toutefois que la méthodologie. Le droit, lui, n'est nullement pur, car il exprime des choix moraux et politiques. La doctrine kelsenienne pure apparaît ainsi doublement politique : d'une part, elle se donne pour tâche de mettre en évidence la fonction idéologique du droit ; d'autre part, dans la mesure où elle analyse les dispositifs juridiques comme des moyens au service de certaines fins, elle peut servir de fondement à une véritable technologie juridique. C'est cette technologie que Kelsen prétendait appliquer à la politique et qui fonde aussi bien son travail de constituant - il est le père de la Constitution autrichienne et de la première cour constitutionnelle - que ses écrits sur la démocratie.

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12/11/2005

Positivisme juridique

Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut, Michel Troper, Le positivisme juridique, LGDJ/Montchrestien, 1998.

Parmi les grandes questions qui divisent traditionnellement la communauté juridique, il en est une qui revient périodiquement sur le devant de la scène intellectuelle, et qui est posée en forme de problème : le droit est-il une science ou un art ? Pourtant, on ne se rend pas toujours clairement compte que cette discussion constitue une des facettes de l'opposition plusieurs fois séculaire entre deux camps juridiques : celui des positivistes, et l'autre - des partisans de la doctrine du droit naturel. Les juristes choisissent l'une ou l'autre option parfois intuitivement, mais la plupart d'entre eux seraient bien embarrassés s'ils devaient fournir une justification, et une définition claire, de leur propre position. Il apparaît donc comme particulièrement opportun de présenter les courants en cause. Le choix des auteurs s'est porté sur le positivisme, car celui-ci est moins connu - en tant que doctrine - dans les milieux juridiques. L'ouvrage se propose de mettre à la disposition des étudiants, chercheurs, et enseignants du droit, des textes marquants de théoriciens célèbres, pour la plupart peu accessibles car non traduits en français. La sélection est précédée par des commentaires théoriques, regroupant et systématisant les fragments choisis. Les auteurs n'entendent pas faire une apologie, pas plus qu'une critique du positivisme juridique, appartenant eux-mêmes aux deux camps, mais ils s'efforcent d'adopter vis-à-vis de la question traitée une attitude authentiquement scientifique.

11/11/2005

La stratégie kantienne de Rawls

Il est tout à fait remarquable qu'en publiant en 1971 son livre « Théorie de la Justice », livre qui a eu, tant aux Etats-Unis qu'en Europe maintenant, le retentissement considérable que l'on sait, John Rawls se soit placé délibérément sous le signe d'un retour à Kant, plus précisément à la théorie bien connue du contrat social, telle qu'on la trouve chez Locke, Rousseau et Kant. Rien ne pouvait être plus iconoclaste dans un pays où la culture dominante, à côté du pragmatisme, était l'utilitarisme, c'est-à-dire une doctrine qui justifie rationnellement le sacrifice d'une minorité au bien-être global du reste de la société, au nom du « plus grand bonheur au plus grand nombre ». En proclamant, au contraire, que « chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée », Rawls, de manière prémonitoire, anticipait à la fois sur le type de menaces que le « repli identitaire » fait peser chaque jour davantage sur les droits des minorités, sur la nécessité de réaffirmer la priorité de la justice sur le bien-être dans une société se voulant démocratique et, donc, sur l'urgence d'un « retour à Kant » pour mettre fin aux excès de la « démocratie de marché », pour reprendre l'expression de Ronald Dworkin. Il serait à la fois vain et hors de propos de tenter de prouver que Rawls est kantien d'un point de vue doctrinal. L'important n'est pas là. L'important est bien plutôt de comprendre comment, pour lui, aussi bien son projet que sa démarche sont inspirés par Kant.
A première vue, la théorie présentée par Rawls est éloignée de Kant. Elle a pour objectif de formuler systématiquement et de fonder en raison les principes de justice distributive, en particulier, l'égalité dans la protection des droits civiques et politiques, économiques et sociaux des citoyens, que, dans nos sociétés contemporaines, tout régime démocratique constitutionnel et soucieux de justice devrait adopter. Ce n'est donc pas une théorie morale générale que l'on pourrait comparer de ce point de vue à la doctrine kantienne. Son but est plutôt, conformément à la tradition juridique américaine, la mise en place de lignes directrices destinées aux décideurs politiques et sociaux pour éviter les dérapages possibles dans les nombreuses interprétations tant des lois que de la Constitution américaine que cette tradition autorise. Son rôle est donc surtout régulateur et elle se rapprocherait plus de la « Doctrine du droit » que des « Fondements de la métaphysique des mœurs ». D'autre part, elle a un domaine différent, celui des principes régulant la « structure de base de la société », et non la seule évaluation morale d'actions et de situations individuelles.
Ces deux principes normatifs sont, pour Rawls, les suivants :
1 - « Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de bases égales pour tous, compatible avec un même système pour tous », principe qui est prioritaire lexicalement par rapport au suivant, à savoir que
2 - « les inégalités sociales et économiques doivent être telles qu'elles soient
2a. au plus grand bénéfice des plus désavantagés » (principe de différence) et que
2b. le principe d'une juste égalité des chances ait été respecté.
Il n'en demeure pas moins, malgré toutes ces différences d'ambition, de rôle et de domaine, que le projet se veut kantien. Tout d'abord, il s'agit, à la différence de l'utilitarisme, d'une théorie « déontologique » de la justice qui affirme, comme Kant, la priorité du juste sur le bien et celle de l'autonomie individuelle sur le bien-être. En effet, la caractéristique principale des utilitaristes comme Bentham et Mill, tout comme de leurs émules contemporains, les économistes de « préférences révélées » (Paul Samuelson), est d'avoir confondu l'efficacité (au sens du Pareto et la justice). Par composition des utilités individuelles, on arriverait à calculer l'utilité totale et à estimer alors si une situation est juste. Une telle doctrine ignore l'importance des aspects distributifs de la justice, à côté de ses aspects agrégatifs, parce qu'elle ignore la réalité de la personne et de ses droits. Rawls va donc montrer que le « principe d'efficacité ne peut être utilisé tout seul comme conception de la justice ». La même erreur avait été commise, selon Kant, par les moralistes de l'Antiquité, les conduisant à une doctrine idéologique, c'est-à-dire où le bonheur exerce sa tyrannie de l'extérieur de la liberté humaine, avec pour conséquence l''hétéronomie. Au contraire, pour Rawls comme pour Kant, c'est l'autonomie de toute personne vis-à-vis des impératifs du bien-être qui doit être protégée par la justice.
Mais, en faisant appel à la tradition du contrat social, à Rousseau et à Kant, Rawls va beaucoup plus loin qu'une simple application politique de l'idéal d'autonomie à la protection des droits. C'est sa méthode de justification des principes de justice, sa démarche elle-même, qui sont déterminées de l'intérieur par l'idéal d'autonomie. Les principes de justice, dit Rawls, sont « les principes mêmes que des personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts, et placées dans une position initiale d'égalité, accepteraient et qui, selon elles, définiraient les termes fondamentaux de leur association ». Une théorie contractualiste et « constructiviste » de la justice ne suppose aucun concept du juste antérieur au contrat social et à la procédure de construction des principes de justice. Elle est donc profondément inspirée par l'antiréalisme de la « révolution copernicienne » de Kant. En d'autres termes, il n'y a pas de justice « en soi » distincte de notre idée de la justice telle que la procédure de sélection et de choix des principes nous la découvre. Encore faut-il que cette procédure soit correctement construite pour que le résultat en soit équitable. Il serait trop long d'expliquer ici l'ensemble de l'argumentation de la célèbre « position originelle » de Rawls qui constitue un des aspects les plus célèbres et les plus passionnants de son livre. Le point central en est l'hypothèse du « voile d'ignorance ». Nous devons « construire » nos principes de justice dans une situation contractuelle hypothétique, la « position » originelle », sans avoir accès aux informations habituelles concernant notre situation particulière, nos talents, etc., c'est-à-dire à tout ce qui relève des contingences naturelles et sociales. C'est cette condition, essentiellement, qui garantit l'équité de notre choix. L'équité des conditions du choix se transmettant au résultat même de choix, c'est la seule démarche possible pour avoir accès à la justice si nous posons que l'existence d'une « justice en soi », extérieure et antérieure à notre choix, serait incompatible avec notre autonomie de citoyen. Nous choisissons les principes de justice en adoptant, en quelque sorte, dit Rawls, le point de vue du sujet nouménal.
Il existe, bien sûr, une lecture non-kantienne de la démarche de Rawls qui consiste à voir dans le voile d'ignorance le meilleur moyen de protéger nos intérêts au sens de notre bien-être. Si nous faisons l'hypothèse du pire (argument du « maximin »), nous préférerons des principes qui, comme le principe de différence, protègent les plus défavorisés puisque nous risquons de nous trouver dans leur cas, plutôt que le principe utilitariste qui, lui, n'exclut pas le sacrifice des plus désavantagés si les autres en profitent.
Mais il y a une lecture kantienne du voile d'ignorance que les écrits plus récents de Rawls ont confirmé. Le voile d'ignorance permet d'atteindre l'impartialité, c'est-à-dire d'exclure des principes de justice qui seraient au service d'intérêts particuliers. Et les contractants qui choisissent les principes de justice voient bien en eux des impératifs catégoriques et non de simples impératifs particuliers de la prudence, tout comme ils se considèrent eux-mêmes, grâce au voile d'ignorance, comme des personnes morales dont ils respectent l'autonomie comme la rationalité, et pas seulement comme des consommateurs à la poursuite de leur bien-être. Il existe donc un « point de vue moral » au cœur même de l'entreprise démocratique qui ne peut se contenter de définir la justice de manière moralement « neutre » par la maximisation du bien-être, même si la tâche consistant à montrer que ce point de vue n'est cependant pas celui d'une vision morale particulière est loin d'être achevée.
Le tour de force de Rawls a été de transformer le problème classique de la justice en celui des conditions du choix des principes de justice de même que celui de Kant avait consisté à transformer la question de la vérité en celle des conditions d'un jugement d'objectivité. Il est devenu très à la mode, en ce moment, parmi les critiques « communautariens » de Rawls, aux USA et ailleurs, de critiquer sa théorie de la justice comme trop « formelle » et kantienne. Mais, comme ce fut le cas pour le « retour à Kant » après Hegel, lire Rawls face à ses critiques nous permet de comprendre que
 « être kantien » veut dire sans doute avant tout mettre l'autonomie de la personne au centre d'un projet et d'une stratégie antiréalistes.

Catherine Audard, Le magazine littéraire, n° 309, avril 1993.

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10/11/2005

Le complément du sujet

Jean-Pierre Cometti, La fausse "Querelle du sujet".

A propos de l’ouvrage de Vincent Descombes, Le complément. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, Coll. " Les essais ", Gallimard, 515 p.

Les divisions qui ont opposé les "philosophes du sujet" et leurs adversaires ne se sont nullement soldées par une liquidation de la notion controversée. Vincent Descombes, qui y voit le signe d’un "embrouillement conceptuel" dont on mesure encore les effets, en particulier en philosophie morale et politique ou dans le domaine de la cognition, soumet la question à un traitement systématique dont le caractère décapant ne doit pas masquer les enjeux : clarifier la nature du seul concept de "sujet" dont nous ayons réellement besoin, celui que réclame une philosophie conséquente de l’esprit et de l’action.

La suite >>>>>>>

07/10/2005

Introduction à la théorie de la justice

http://constitutiolibertatis.hautetfort.com/files/rawls1....

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