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03/01/2010

Le panneau à Florent

 

 

SarcophageZola.jpg

 

 

Un panneau de sarcophage romain datant du 3e siècle après Jésus-Christ et ayant appartenu notamment à l'écrivain français Emile Zola a été vendu aux enchères jeudi à New York, a annoncé mardi le marchand d'art Sotheby's. Estimé entre 150 et 200.000 $, ce panneau de 2 mètres sur 63 cm a été adjugé pour 1,5 million $, apprend-on. Florent Heintz, vice-président des enchères d'art de l'antiquité romaine et égyptienne assure que la vente aura été particulièrement vive : les acquéreurs potentiels se sont battus pour obtenir cette pièce, particulièrement convoitée.

La pièce  était restée durant près de 300 ans à Rome dans la collection de la famille Borghèse. Zola en aurait fait l'acquisition en 1903 selon des documents que Florent Heintz a retrouvés dans la base de données du Musée du Louvre.

Ce panneau avant de deux mètres de long sur 63 cm de haut, "représentant quatre scènes dionysiaques dans un décor architectural sophistiqué, entouré de satyres et bacchantes, est une pièce rare, il n'en existe que quatre ou cinq au monde", a expliqué à l'AFP Florent Heintz, vice-président des enchères d'art de l'antiquité romaine et égyptienne chez Sotheby's. La découverte de l'acquisition de ce marbre par Emile Zola remonte à quelques jours à peine: le panneau est resté près de 300 ans à Rome dans la célèbre collection de la famille Borghese, puis est apparu successivement chez l'actrice française Cécile Sorel, qui en avait fait un élément de sa baignoire dans son hôtel particulier parisien, et chez Paul Reynaud, ministre sous la IIIe République en France et brièvement président du Conseil avant l'accession au pouvoir du maréchal Pétain. L'histoire de ce panneau avait une zone d'ombre d'une cinquantaine d'années, et en fouillant la base de données du Musée du Louvre, Florent Heintz a découvert qu'il faisait partie d'une "succession Emile Zola" ouverte en 1903, un an après la mort de l'auteur de "Thérèse Raquin" et de la fresque des "Rougon-Maquart".

"Dans son journal intime, Zola raconte comment, lors de son voyage à Rome, un ami diplomate, Edouard Lefebvre de Béhaine, l'avait emmené chez les Borghese, qui, ruinés, soldaient leurs marbres. Le couple Zola en avait acheté une dizaine, dont celui ci", assure Florent Heintz. Les marbres furent livrés en janvier 1895 au domicile parisien de l'écrivain, dont il reste une lettre aux douanes se plaignant du montant des taxes à l'importation qu'il avait dû payer.

 

29/08/2008

Cinéma

531cinema_leccia.jpgC'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés de créatures misérables, ahuries par leur besogne et leurs soucis. C'est, savamment empoisonnée, la nourriture d'une multitude que les Puissances de Moloch ont jugée, condamnée et qu'elles achèvent d'avilir.

Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n'allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'être un jour " star " à Los Angeles.

Le dynamisme même du cinéma nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait s'arrêter. Les plaisirs sont offerts au public sans qu'il ait besoin d'y participer autrement que par une molle et vague adhésion. Ces plaisirs se succèdent avec une rapidité fébrile, si fébrile même que le public n'a presque jamais le temps de comprendre ce qu'on lui glisse sous le nez. Tout est disposé pour que l'homme n'ait pas lieu de s'ennuyer, surtout ! Pas lieu de faire acte d'intelligence, pas lieu de discuter, de réagir, de participer d'une manière quelconque. Et cette machine terrible, compliquée d'éblouissements, de luxe, de musique, de voix humaines, cette machine d'abêtissement et de dissolution compte aujourd'hui parmi les plus étonnantes forces du monde.

J'affirme qu'un peuple soumis pendant un demi-siècle au régime actuel des cinémas américains s'achemine vers la pire décadence. J'affirme qu'un peuple hébété par des plaisirs fugitifs, épidermiques, obtenus sans le moindre effort intellectuel, j'affirme qu'un tel peuple se trouvera, quelque jour, incapable de mener à bien une œuvre de longue haleine et de s'élever, si peu que ce soit, par l'énergie de la pensée. J'entends bien que l'on m'objectera les grandes entreprises de l'Amérique, les gros bateaux, les grands buildings. Non !Un building s'élève de deux ou trois étages par semaine. Il a fallu vingt ans à Wagner pour construire la Tétralogie, une vie à Littré pour édifier son dictionnaire.

Jamais invention ne rencontra, dès son aurore, intérêt plus général et plus ardent. Le cinéma est encore dans son enfance, je le sais. Mais le monde entier lui a fait crédit. Le cinématographe a, dès son début, enflammé les imaginations, rassemblé des capitaux énormes, conquis la collaboration des savants et des foules, fait naître, employé, usé des talents innombrables, variés, surprenants. Il a déjà son martyrologe. Il consomme une effarante quantité d'énergie, de courage et d'invention. Tout cela pour un résultat dérisoire. Je donne toute la bibliothèque cinématographique du monde, y compris ce que les gens de métier appellent pompeusement leurs " classiques ", pour une pièce de Molière, pour un tableau de Rembrandt, pour une fugue de Bach…

Toutes les œuvres qui ont tenu quelque place dans ma vie, toutes les œuvres d'art dont la connaissance a fait de moi un homme, représentaient, d'abord, une conquête. J'ai dû les aborder de haute lutte et les mériter après une fervente passion. Il n'y a pas lieu, jusqu'à nouvel ordre, de conquérir l'œuvre cinématographique. Elle ne soumet notre esprit et notre cœur à nulle épreuve. Elle nous dit tout de suite tout ce qu'elle sait. Elle est sans mystère, sans détours, sans tréfonds, sans réserves. Elle s’évertue pour nous combler et nous procure toujours une pénible sensation d'inassouvissement. Par nature, elle est mouvement ; mais elle nous laisse immobiles, appesantis et comme paralytiques.

Beethoven, Wagner, Baudelaire, Mallarmé, Giorgione, Vinci – je cite pêle-mêle, j’en appelle six, il y en a cent, voilà vraiment l'art. Pour comprendre l'œuvre de ces grands hommes, pour en exprimer, en humer le suc, j'ai fait, je fais toujours des efforts qui m'élèvent au-dessus de moi-même et qui comptent parmi les plus joyeuses victoires de ma vie. Le cinéma parfois m'a diverti, parfois même ému ; jamais il ne m'a demandé de me surpasser. Ce n’est pas un art, ce n'est pas l'art.

Georges Duhamel, Scènes de la vie future, 1931.

05/09/2007

La fin des haricots

Entretien intégral

Richard Millet : la littérature a-t-elle fait son temps ?

31/08/2007 - Propos recueillis par Jacques-Pierre Amette - © Le Point

Un écrivain s’insurge contre le déclin de la littérature. Richard Millet, 54 ans, dénonce en soixante pages véhémentes le servile langage démocratique des médias, le déclin de la syntaxe, la perte du prestige de l’écrivain, la déhiérarchisation des valeurs, la foire commerciale, l’invasion d’un roman formaté à l’américaine.

La condamnation est terrible. « Le français est aujourd’hui tombé dans la fange. » « France moribonde », « nous flottons dans une langue du Bas Empire ». Voici donc un nouveau Savonarole qui allume un bûcher en pleine rentrée littéraire en même temps qu’il nous propose, au Mercure de France, un carnet de voyage au Liban, L’Orient désert, qui est un formidable document sur un écrivain en crise, et sans doute un des textes les plus excitants de cette rentrée. On pourrait hausser les épaules. Mais Richard Millet n’est pas n’importe qui. Il travaille dans le saint des saints de la littérature, puisqu’il est membre du prestigieux comité de lecture des éditions Gallimard. Il a guidé Jonathan Littell et retravaillé sur le manuscrit des Bienveillantes, prix Goncourt 2006. Enfin et surtout, c’est un authentique écrivain qui a publié une trentaine de volumes. Nous sommes allés le voir dans son bureau, chez Gallimard.

Le Point : En pleine rentrée littéraire, vous publiez un pamphlet violent, qui parle de l’actuelle littérature française comme d’« une production semblable à des eaux mortes où se réfléchit le ciel vide ».  « L’obscurité vient », ajoutez-vous : qu’est-ce qui vous arrive ?

Richard Millet :
le pouvoir d’envoûtement que notre génération a accordé à la littérature n’existe plus. J’ai choisi le mot « désenchantement » un peu comme Paul Valéry a utilisé le mot , «charme » au sens  fort. Je ne crois pas que ce soit un phénomène cyclique. Je pense que, vraiment, on est peut-être à la fin de la littérature.

Vous parlez « d’effondrement » à plusieurs reprises. Mais dans les années 1830, époque d’une génération qui va de Balzac à Musset en passant par Stendhal et Hugo, le critique Désiré Nisard se tuait déjà à proclamer : « Non ce n’est pas une grande génération et ce sont les anciens qui sont toujours les meilleurs.»

Oui, mais aujourd’hui, ce à quoi nous avons affaire n’a plus de valeur, plus de sens. Je pense, pour aller très vite à l’essentiel, que l’idée qui consiste à dire que la démocratie serait nocive à la littérature actuelle est en train de se réaliser.

Expliquez-moi pourquoi le déclin de la littérature serait lié à l’idée même de démocratie?

C’ est lié aussi à l’effondrement du stalinisme, à l’effondrement de l’autorité, à l’effondrement de l’idée de père, à l’effondrement du système de transmission. On va avoir affaire à quelque chose qui s’appelle littérature, mais qui sera, à mon avis, de langue anglaise majoritairement. A quelque chose qui oscillera entre Harry Potter et les polars de l’américain Michael Connelly. En gros ce sera ça. Avec peut-être des arborescences un peu latino-américaines pour quelques décennies encore mais ce sera tout.

Vous avez pourtant été le directeur littéraire et le conseiller de Jonathan Littell , un américain qui écrit en français, avec le succès qu’on sait...
Jonathan Littell est un objet migratoire. C’est l’exception dans tous les sens du mot. C’est un objet littéraire d’une telle ampleur qu’il apparaît dans la production française normale comme exceptionnel. De plus, dans « Désenchantement de la littérature » je vous parle de ce qui se passera dans dix ans. Tous les profs de fac se plaignent de l’inculture de leurs étudiants. Les étudiants en lettres ne lisent pas. Je ne veux pas avoir l’air du vieux con qui la ramène constamment là-dessus. Mais dans une classe j’ai vu que rien ne passait plus.

Combien d’années dans l’enseignement ?
Vingt ans. Rien ne passe. La littérature n’intéresse plus personne. Nous faisons semblant la plupart du temps.

Ce n’est pas nouveau: dans son pamphlet « la littérature à l’estomac », Julien Gracq écrit, en 1949 : «On a rarement en France autant parlé de la littérature du moment, en même temps qu’on y a si peu cru. »

Mais c’est une époque quasi paradisiaque, les années 50 !. C’est fini, «Cinna» ! Corneille ! Racine ! Personne ne sait plus qui c’est. Je ne plaisante pas en disant ça.

 C’est votre expérience à la fois de professeur et de lecteur chez Gallimard qui vous permet de dire ça ?

Chez Gallimard et partout où je suis passé. Le centre de gravité de la littérature s’est déporté vers une forme de récit beaucoup plus efficace. Le vrai succès de la littérature aujourd’hui c’est le polar. Avec quelques merdes du genre pour femmes, magazines féminins étendus au niveau d’un pseudo-roman. En gros, c’est ça.

Vous imaginez bien qu’en disant « merde », « bonnes femmes », d’un seul coup tout le monde va hurler contre vous en disant «c’est l’école du mépris».

On a besoin de ça aussi, quelque chose qui s’est perdu, à savoir le sens critique. Je ne rue pas dans les brancards, je dis seulement ce que je constate.

Vous parlez de « l’esthétique du prêt-à porter romanesque, immédiatement scénarisable en anglais... »

Je ne demande qu’à être démenti. Et quand je parle de la France, je peux parler aussi de l’Angleterre, tout ce que je lis à l’étranger me tombe de mains. Ce sont des remakes des romans du XIXe siècle, des trucs de science- fiction… Pour moi l’exemple de la fausse valeur américaine, c’est Jim Harrison. C’est pour moi de l’école de Brive en américain... En gros c’est ça. Et il est encensé…

Vous écrivez : «Ecrire, faut-il le rappeler, c’est avant tout hériter d’une langue. Et le français que nous entendons aujourd’hui est tombé dans la fange, non seulement par fadeur stylistique, et flottement syntaxique, sémantique, orthographique, mais aussi parce qu’il ne nomme plus le monde, l’ayant abandonné aux médias anglo-saxons. » Plus loin vous parlez du « sabir des banlieues ». Mais Louis-Ferdinand Céline a construit une oeuvre monumentale avec le «sabir » de la banlieue Nord, non ?

Céline est mort en 1961. Depuis je n’ai pas vu une oeuvre littéraire de cette dimension inspirée par la rue.

Vous n’attendez rien des prochaines générations?
Même un roman de Balzac, je pense que c’est illisible pour les jeunes esprits d’aujourd’hui. Il y a une syntaxe, un champ référentiel, culturel, des mots qui leur échappent. Ce n’est pas possible.

Cela veut dire que l’écrit est chassé par l’image ?

Je ne vais pas tomber dans cette opposition. Je pense que la littérature n’est plus assez puissante, n’engendre plus de mythes littéraires, de mythes d’écrivains. C’est fini ! Tout ceci est fini. Le dernier mythe français littéraire, c’est peut-être ,hélas, Françoise Sagan. C’est- à-dire quelque chose de pas très intéressant. Il n’y a plus de figure, plus de mythe. C’est peut-être une chance. C’est là que je serais moins pessimiste que j’en ai l’air. Peut-être une chance au sens où la littérature va devoir se renouveler entièrement.

Dans cet « effondrement », la critique littéraire a-t-elle joué un rôle ?

La littérature française s’est effondrée à partir du moment où on a banalisé la figure de l’écrivain. Il n’y a plus de hiérarchie entre les bons et les mauvais. N’importe qui peut être écrivain, c’est la démocratie! On sait très bien comment cela se passe : n’importe qui peut apporter un sujet, mais nous–mêmes éditeurs sommes là pour retravailler le texte, en fait nous sommes de véritables auteurs. C’est ce qui se passe en Amérique, le fantasme de l’atelier d’écriture où l’on peut apprendre à écrire, alors que c’est faux, nous le savons tous. Fantasme du succès : c’est à dire que le roman- pas la littérature- est devenu un instrument de promotion sociale.Les femmes des écrivains se sont mises à écrire, les amants des femmes d’écrivains aussi, les maîtresses se sont mises à écrire. Tout le monde écrit.

Êtes vous allé vous incliner devant vos aînés et y chercher un adoubement ? La visite au grand écrivain est un rite de passage : Sollers allant chercher l’onction de Mauriac…

Je n’ai jamais cherché à rencontrer de grands écrivains. Quignard m’a fait rencontrer Lous-René Des Forêts, c’est la seule fois où j’ai accompli ce geste de payer mon tribut aux grands aînés. Je n’ai pas cherché à rencontrer de grands écrivains, mais j’avais payé mon tribut à la grandeur.

Dans « L’Orient désert », que vous publiez en même temps que votre pamphlet, vous mettez en avant votre catholicisme. Vous sentez-vous en mission ? 

L’Eglise telle qu’elle est ne m’intéresse pas, c’est une succursale d’Emmaüs ou de l’humanitaire. Je suis totalement ailleurs, constamment ailleurs. J’ai dédié ce livre aux chrétiens d’Orient parce que je suis scandalisé qu’on ne se préoccupe pas de leur sort. Tout le monde est en larmes sur le Darfour  -avec plusieurs années de retard, d’ailleurs -, mais les chrétiens, on s’en fout, parce qu’il y a toujours ce soupçon que ce sont les nababs du Proche-Orient. Je peux vous dire, moi qui ai passé mon enfance dans ces pays, que ce ne sont pas forcément des riches. Vous avez des gens qui ne parlent pas un mot de français ou d’anglais. La messe se dit en arabe, il faut le rappeler, c’est étrange.

 Au fond en vous lisant je me suis dit que vous étiez assez proche d’un Hugo, de son rôle de mage, je parle du Hugo de « La fin de Satan » c’est-à-dire que l’écrivain doit être un guide spirituel.

Pas du tout.

Vous aimez quand même beaucoup les ruines, la mort, la prière, les cimetières, le chagrin, le passé, comme les romantiques, non ?

Vous voulez absolument désamorcer ce que j’écris ?

Non, je ne veux pas désamorcer. Je vous pose une question. Honnêtement, c’est ce qui m’est apparu en vous lisant.

Nous entrons actuellement dans la nullité de la littérature, dans la nuit de la langue, tout ce que vous voulez. C’est à dire le contraire du phare, du mage, etc.

Dans « L’Orient désert », une phrase m’a frappé : «Je suis révolté contre moi-même .» Que voulez-vous dire ?

Je ne veux pas me laisser aller aux mauvaises pentes qui sont l’image sociale, la réussite sociale, le désir d’être reconnu à travers de fausses reconnaissances, c’est-à-dire les prix, tous ces machins-là. Parce que cela n’a l’air de rien, mais le système gangrène, vous le savez vous-même – je ne sais pas comment vous avez vécu votre Goncourt…

Plutôt dans la rigolade, franchement. Quand ça m’est arrivé, j’avais un âge canonique, ce n’était pas un tourment du tout de l’avoir. C’était plutôt une rigolade, parce que ça me sauvait financièrement. Je pouvais payer mes pensions alimentaires.Et puis j’étais heureux d’avoir ce prix avec un sujet impopulaire au possible, Bertolt Brecht.

Vous avez eu de la chance. Vous savez très bien qu’il y en a qui ont été bousillés. Pour revenir à votre remarque sur le romantisme, je pencherai plutôt vers Chateaubriand. Non pas que je me compare à lui !… Les «Mémoires d’outre-tombe », dévoilent quelqu’un qui a la conscience qu’il passe d’un monde à un autre. C’est le leitmotiv des « Mémoires » je viens de les relire. Cela m’a frappé ce passage. Je suis né dans un ancien monde, je suis dans un nouveau monde… Que puis-je faire à partir de ça ? La filiation c’est important. Mais essayez de voir quelqu’un qui a une filiation aujourd’hui.…Beigbeder qui se revendique de Scott Fitzgerald. Autre chose : je pense que le fait de vivre dans cette espèce d’Europe est mortellement ennuyeux. On est sortis de l’Histoire. Cela joue aussi sur l’état du roman, de la littérature.

On vit dans une bulle ?

On vit dans une bulle.

Vous avez écrit une vingtaine de romans, mais si je vous prends au pied de la lettre, la parole de l’écrivain tombant dans un néant, pouvez vous continuer à écrire ?

Je pensais que la littérature était immortelle, que la langue française, la France étaient immortelles. Je m’aperçois aujourd’hui que tout cela est non seulement mortel mais quasi mort. Orwell avait déjà noté que la destruction d’une syntaxe était concomitante à la destruction d’un système politique. Une ère inculte s’annonce. Débâcle syntaxique et ignorance de l’étymologie. La littérature a fait son temps, mais je vais achever ce que j’ai commencé.

Vous n’êtes pas un peu comme un enfant gâté qui casse son jouet en disant : « Les gens ne me regardent pas assez »?

Pas du tout. Vous avez lu « L’Orient désert », c’est un livre de cri absolu personnel, crise sentimentale, crise existentielle, crise littéraire. Je suis confronté à des choses dans un pays, le Liban, qui est encore un peu en guerre, je vais en Syrie, où il n’y a rien, où je me confronte au vide. Je vois des gens… des prostituées de l’Est, et un type complètement tordu… replié sur lui-même, la colonne vertébrale en anneau...

Et vous dites au fond qu’intérieurement vous vous sentez proche de cet homme…
Exactement. Je suis né dans un ancien monde, je suis dans un nouveau monde... Que puis-je faire à partir de ça ?

Je vais vous poser une question brutale. Vous dites « les romans dont j’ai une nausée croissante », « je préfère actuellement lire la vie des saints plutôt que les romans ». Or vous êtes éditeur chez Gallimard. Vous allez donner votre congé ?

Cher Jacques-Pierre Amette, quand vous êtes devant votre machine à écrire, vous êtes comme moi, vous savez très bien qu’il y a des choses qu’on doit faire parce qu’on doit manger tout simplement. Sans être une pute, on peut très bien travailler sur des manuscrits qui sont honorables. Lorsque je généralise, c’est sur une distance de vingt ans et c’est avec l’espoir qu’il y ait une exception, sinon je m’en vais.

Y a-t-il eu un événement fondateur qui vous a fait dire « bon, il est temps que je parle enfin, que je vide mon sac ?

J
e pense que c’est une accumulation. Une asphyxie lente: à partir de l’an 2000, quand j’ai publié un roman qui s’appelle « Lauve le pur », là j’ai compris. Car on comprend mieux les choses quand on écrit des romans. Il se trouve que j’ai vu mourir la civilisation rurale dans laquelle je suis né.

Le côté « je suis le témoin d’une civilisation qui disparaît», le plateau de Millevaches, les paysans du Limousin ?

Oui. J’ai compris que c’était aussi la fin de la France. Ensuite, quand j’ai saisi l’enchaînement, que c’était la fin de la dimension chrétienne de la civilisation occidentale, là j’ai commencé à me dire : il faut quand même nous demander ce que nous sommes en tant qu’écrivain. Moi je ne peux pas parler en tant que citoyen ; je ne suis pas un citoyen. Je ne me considère pas comme un citoyen français, je n’ai jamais voté, jamais inscrit. Je ne suis rien, rien du tout. Quand je dis que je ne suis pas un démocrate, cela ne veut pas dire que je suis royaliste. Je ne suis rien. Donc je tente de me redéfinir. Le seul lieu à partir duquel je puisse me redéfinir, c’est la littérature, c’est ce que je connais le mieux.

Eet la réception de vos romans ? De « l’angelus » à « la Gloire des Pythre », « dévorations », « le gout des femmes laides » vous avez eu quand même des regards très attentifs, une grande reconnaissance dans la critique littéraire...

Bien sûr, je ne me plains pas. Je ne suis pas dans l’aigreur. On me traite tout à fait correctement même si j’ai beaucoup d’ennemis. Mais c’est surtout sur les blogs que cela se déchaîne.Les blogs sur le Net développent tout ce qu’il y a de mauvais. On remue la boue. Plus besoin de faire dans la Gestapo, on va sur le Net.

Pourquoi êtes-vous retourné au Liban ? A cause de vos années d’enfance, passées là-bas ?

Oui, c’est complètement lié à mon enfance. D’un seul coup, je pouvais toucher mon enfance. Ça m’intéresse beaucoup, ce sentiment : que devient l’individu quand il a l’impression que tout l’abandonne? En gros le seul endroit où je pouvais aller, c’était effectivement dans un endroit où il y avait pile la guerre. Quand vous sentez l’odeur des cadavres qui sont depuis une semaine sous les décombres, quand vous voyez les jets israéliens qui lâchent une bombe - vous ne voyez d’ailleurspas, vous entendez -, et après vous entendez un bruit très étrange. Voyez ce genre de chose, les hurlements, les sirènes. Peu à peu vous vous posez des questions sur ce que c’est que la souffrance personnelle, la souffrance anonyme, la souffrance d’autrui, le sens de l’Histoire.

Il y a quand même une grande ombre sur votre séjour au Liban : le silence de Rimbaud le brûlé dans son Harar. Avec ses fusils, ses livres de géographie, ses plaques photographiques et son oeil mauvais, mais surtout son mépris absolu de la littérature. Vous y avez forcement pensé dans votre expérience au Liban ?

Je vous assure que non. La seule question que je me posais : « Vais-je continuer à vivre et comment ?  Ou vais-je aller me foutre sous les bombes ? »
Richard Millet

Ecrivain français né à Viam, en Corrèze, en 1953. Une partie de l'enfance au Liban. Editeur chez Gallimard. Longtemps professeur de lettres. A été le directeur littéraire de Jonathan Littell pour les « Bienveillantes », prix Goncourt 2006. Membre du comité de lecture des éditions Gallimard. Revendique son héritage catholique. Une grande partie de ses romans a pour cadre le village de Siom : « La gloire des Pythre », « Lauve le pur », « Ma vie parmi les ombres », « Le goût des femmes laides » et des essais, dont « Le sentiment de la langue ». Il publie « L'Orient désert » au Mercure de France et « Désenchantement de la littérature » aux éditions Gallimard.

27/08/2007

Transformers

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Ric Hoogestraat est un homme de 53 ans, queue de cheval grisonnante, moustache en guidon de vélo, look biker sur le retour. M. Hoogestraat habite Phoenix, Arizona. Il a fait un tas de métiers : instituteur, professeur de ski, marchand itinérant d'huiles essentielles, graphiste sur ordinateur. Maintenant, il est opérateur dans un centre d'appels téléphoniques. Un travail qui lui laisse du temps libre.

Il s'est remarié pour la troisième fois voilà sept mois. Sa nouvelle épouse, Sue, 58 ans, regarde la télévision dans le salon, pendant que Ric emmène une rousse incendiaire sur sa moto pour une longue course, cheveux au vent, dans les collines.

M. Hoogestraat est bigame, ce qui lui a valu un long article dans le très sérieux quotidien américain de la finance, The Wall Street Journal. Bigame, enfin, pas vraiment. Virtuellement bigame. Cet Américain moyen fréquente en effet assidûment Second Life, cet univers étrange situé quelque part dans le cyberespace où se téléportent plus de huit millions de Terriens, et chaque jour il en débarque davantage. On a déjà beaucoup écrit sur Second Life (notamment dans Le Monde 2 du 2 décembre 2006, et ici même sous la plume de Jean-Michel Dumay, le 30 avril), ersatz de planète Terre qui petit à petit se meuble - en faux - de tout ce qui nous casse les pieds - en vrai (spéculation, banques, boutiques de marques, publicité, ciné porno, meetings politiques, cabinets de recrutement...). Avoir une épouse dans chaque monde est une situation de plus en plus fréquente, qui pose des questions nouvelles et intéressantes sur les plans psychologique et juridique.

Dans Second Life, Hoogestraat s'appelle Dutch Hoorenbeek. Il s'est fabriqué un avatar qui lui ressemble, mais, sans lui faire injure, en plus jeune et en mieux. Il en a profité pour changer de métier et s'est lancé dans le business avec succès. Dans sa seconde vie, il possède plusieurs boutiques, un club de plage privé et un dancing. Il est à la tête d'une petite fortune d'environ 1,5 million de linden, l'unité monétaire du lieu, soit environ 6 000 dollars réels.

Il a rencontré Tenaj Jacklope chez des amis avatars, et cette jolie rousse lui a tapé dans l'oeil. En chair et en os, elle s'appelle Janet Spielman et elle est beaucoup moins sculpturale que son double, mais ce n'est pas l'important. Ce ne sont pas Janet et Ric qui sont tombés amoureux, mais bien Dutch et Tenaj, tout est dans cette nuance. Ils se sont mis en cyberménage, ont adopté deux cyberchiens, se promènent sur la cyberplage, invitent leurs cyberamis et, bien sûr, font le cyberamour. Ils ne se sont jamais vus dans la réalité, ni même parlé au téléphone, mais ils sont cybermariés selon les rites de Second Life qui sont les mêmes que dans la vie, mais pas vraiment, parce que ça ne compte pas, enfin pas tout à fait.

Mme Hoogestraat commence a en avoir par-dessus la tête. Son mari est capable de rester dans Second Life de 6 heures du matin à 2 heures du matin. C'est un addict. Un samedi soir qu'il était parvenu à attirer Sue devant son ordinateur, il lui a présenté Tenaj par surprise : "Mme Hoorenbeek", a-t-il dit sobrement. Elle ne sait plus quoi faire.

Le couple Hoogestraat n'est pas une exception. On recense de plus en plus de couples brisés pour cause d'infidélité virtuelle. Peut-on pour autant classer ce genre de situation dans la catégorie des adultères au sens légal du terme ? Pas encore, répondent les juristes, même si les avatars peuvent se livrer à des simulations d'actes sexuels. En revanche, ajoutent-ils, la cyberbigamie peut être aisément retenue comme une cause de divorce, bien réel celui-là, et constituer un argument déterminant pour décider de la garde des enfants. Certes. Mais on n'a pas encore prévu le cas suivant qui va bien arriver un jour : si un couple virtuel se sépare, qui gardera les cyberbébés ?

Jacques Buob

Article paru dans l'édition du 26.08.07.

 

18/02/2006

Anciens et modernes

B. le Bovier de Fontenelle

Digression sur les Anciens et les Modernes