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19/10/2012

La convergence des catastrophes (Guillaume Faye)

tornado.jpg« La convergence des catastrophes » est un ouvrage de Guillaume Faye, sous pseudo Guillaume Corvus. Le sujet : nous allons vers une crise monstrueuse, qui éclatera probablement dans les premières décennies du XXI° siècle, parce que plusieurs lignes de fracture convergent vers cette période.

Certains estiment que cet ouvrage est disqualifié par la personnalité de son auteur, qu’ils décrivent comme « un alcoolique, un fou furieux, un agent rémunéré par l’Etat d’Israël ». Je n’ai pas l’heur de connaître Faye, donc je ne sais pas ce qu’il y a de vrai là-dedans. Mais quoi qu’il en soit, il est tout de même intéressant de savoir ce qu’il dit.

Car, comme on va le voir, si l’auteur est très contesté, sa thèse ne manque pas de pertinence.

*

Les lignes de fractures qui convergent vers la décennie 2010-2020 :

- La cancérisation du tissu social européen, par l’effet de l’immigration-invasion, qui détruit le socle anthropologique, de la consommation croissante de drogue, l’implosion de l’école, l’explosion de la famille, l’anéantissement de la culture populaire, submergée par la culture en kit portée par les médias, le tout devant déboucher sur un Nouveau Moyen Âge.

- Les conséquences économiques du papy-boom en Europe, car des pays vieillissant voient leur économie ralentir.

- Le chaos croissant dans les pays du Sud, qui se sont industrialisés au rebours de leur culture traditionnelle, et finiront dans le chaos social.

- La menace d’une crise économique globale, beaucoup plus grave que celle des années 30 (Faye écrit au début des années 2000).

- La montée des intégrismes religieux, principalement l’islam, qui seront dangereux en particulier du fait d’un « plan de conquête de l’Europe » établi par les autorités religieuses du monde musulman (Faye, en tout cas, en semble persuadé).

- L’accroissement des tensions sur la ligne de confrontation Nord-Sud, tensions difficilement gérables car fondé sur des enjeux et des sentiments collectifs profonds.

- L’accroissement incontrôlé de la pollution à l’échelle planétaire, qui menace la survie de l’espère humaine (référence à l’effet de serre, que Faye considère comme scientifiquement démontré).

- L’épuisement des ressources naturelles (hydrocarbures et eau potable, en particulier).

- L’implosion latente de l’Union Européenne, qui ouvrira la voie à une réorganisation anarchique du continent.

- Les contre-effets de certaines technologies (par exemple l’efficacité décroissante des antibiotiques, au fur et à mesure que les bactéries se mithridatisent).

- Les risques liés à la prolifération nucléaire du Tiers-Monde.

- La probabilité croissante d’une guerre civile ethnique en Europe.

Conclusion : étant donné que ces facteurs convergent vers la même période historique, et qu’ils vont entrer en collision tôt ou tard, le XXI° siècle ne sera pas le prolongement progressiste du monde actuel, mais le surgissement d’un autre univers. Ce sera la fin de l’illusion du Progrès ininterrompu, illimité et universel.

Ce sera aussi, pour un Guillaume Faye que je qualifierais de « franc dans son propos », la fin de l’homme comme animal malade, affligé de « la conscience, une maladie à l’échelle de l’évolution ». Pour Faye, l’homme est d’abord une expérience ratée, parce que son néocortex ne fonctionne pas suffisamment en symbiose avec son cerveau primitif – d’où le développement d’une culture incohérente et destructrice, produisant un « arrêt des processus de sélection naturelle ». Il n’est pas interdit de voir, dans cet argumentaire de Faye, le signe que la pensée de cet auteur est connotée. Faye fait un constat de faillite de l’homme tel qu’il est gouverné, mais on pourrait aussi faire un constat de faillite des méthodes de gouvernement de l’homme. Il est intéressant de noter que l’hypothèse d’autres méthodes, donnant d’autres résultats, n’est pas abordée par Guillaume Faye. Il n’est pas absurde d’y voir le signe que Guillaume Faye, homme de droite, s’interdit de penser une transformation radicale de la société qui permettrait, enfin, l’invention d’un autre avenir humain.

Cela dit, quoi qu’on pense des prédicats implicites du Faye idéologue, il faut cependant reconnaître que ses remarques sur nos méthodes d’extrapolation sont judicieuses. Nous raisonnons toujours, dit-il, en fonction des extrapolations rassurantes mais faibles – c'est-à-dire celles dont la vérification n’est pas assurée. Alors que des extrapolations inquiétantes mais fortes sont ignorées. A partir de là, la logique où nous nous inscrivons nous conduit à multiplier les erreurs. Nous partons du principe que nous pouvons prolonger les courbes, alors qu’elles vont casser – et même quand nous savons d’évidence qu’elles vont casser, nous nous entêtons à les prolonger.

En réalité, nous raisonnons ainsi, nous dit Faye, parce que la catastrophe qui vient vers nous est si immense qu’elle est impensable. L’utopie d’une terre peuplée par huit milliards d’hommes n’est tout simplement pas tenable. Mais la conséquence de son implosion est si terrible, que nous refusons de voir l’inéluctable.

A cela s’ajoute le fait que nous séparons excessivement les domaines de l’analyse. Nous devrions nous intéresser davantage aux travaux du mathématicien René Thom, qui explique qu’un système est un ensemble toujours fragile, qui peut basculer d’un coup dans le chaos, du fait d’une accumulation de facteurs, dont beaucoup ont agi souterrainement de manière longtemps invisible. En réalité, notre civilisation technologique mondiale est un colosse aux pieds d’argile. Tant qu’elle tient, on ne se rend pas compte de sa fragilité. Mais la multiplication des petites fractures, se renforçant l’une l’autre, finira par produire un effondrement général. Faute d’avoir acquis une vue de synthèse, faute d’avoir fait surtout la synthèse de ce qu’on ne voit pas au premier coup d’œil, nous avons l’illusion que tout continue comme avant – alors qu’en réalité, le chaos est déjà en train de s’installer.

*

Les principales dates de la convergence seront, pour Faye, les suivantes (et entre parenthèses, mes commentaires) :

- Dans les années 2010, l’économie mondiale connaîtra une crise majeure (perdu : ça a commencé dès 2007 – cela dit, je ne jette pas la pierre à Faye, jusqu’à très récemment, je pensais comme lui que nous avions une décennie de plus), et Faye, si l’on en juge par l’ordre de sa présentation, pense que l’Europe ouvrira le bal du fait de son vieillissement, avec en particulier les comptes publics français (perdu : la bulle de l’endettement a craqué par le privé, pas par les comptes publics, et aux USA d’abord, pas en Europe – là aussi, pas de reproche à faire à Faye : honnêtement, en 2006 encore, j’étais persuadé que les maîtres du système financier international s’arrangeraient pour faire craquer les Etats avant les banques, et je pensais que vu leur poids militaire, les USA auraient la puissance requise pour imposer leur monnaie « fiat » – je n’ai compris que les USA ouvriraient le bal que très tard, en 2007, grâce à Pierre Larrouturou).

- L’Europe, en pleine décadence, engagée dans une spirale d’involution extrêmement rapide dans tous les domaines (démographique, économique, spirituelle, politique), sera incapable de faire face aux conséquences de la crise. Elle n’a plus le ressort nécessaire, les bases de la vie en société ont été anéanties, même en période normale ça ne fonctionne plus – alors en période de crise ! (Je suis totalement d’accord : si cette masse d’individus schizophrénisés forme encore une société, une vraie société capable de se prendre en main par son propre mouvement, je veux bien me faire moine !).

- Vers 2020, si l’on en croit certains prévisionnistes, le changement climatique va devenir très perceptible, avec des conséquences lourdes sur la production mondiale de nourriture (qui vivra verra…).

- Vers cette date, l’explosion des villes du Tiers-Monde atteindra le stade où les gouvernements achèveront de perdre le contrôle (effectivement très probable).

- Les tensions vont s’accroître partout sur la planète, avec en particulier un « affrontement global Islam/Occident (mouais, on y croit de moins en moins : de multiples affrontements islam/occident oui, le Grand Jihad qui va nous manger tout crus, non), une guerre au moins froide Chine/USA (ça, par contre, c’est bien possible), une guerre probablement chaude entre Inde et Pakistan (pas exclu), l’embrasement général du Moyen-Orient (en tout cas, certains y travaillent !) ». Ce sera le début du siècle le plus belliqueux de l’Histoire, en comparaison duquel la Seconde Mondiale fera figure de querelle de bac à sable (très possible).

- Aucune tentative de conciliation avec l’Islam ne sera possible, estime Guillaume Faye, pour qui « l’Islam est impossible à réformer », car la séparation de l’Eglise et de l’Etat est impensable dans le monde musulman (pas faux à mon avis, sauf si la proportion de musulmans reste assez faible pour qu’ils n’aient aucune chance de s’imposer à terme). Donc, aux conflits mondiaux entre puissances, s’ajoutera un conflit métalocal partout où les musulmans seront présents, et en particulier en Europe (là encore, tout dépend des proportions).

- En Israël/Palestine, seule une séparation en deux Etats viables permettrait la survie à terme de l’Etat d’Israël, menacé par la poussée démographique des Palestiniens et des Arabes en son sein. Faye estime que la politique du « Grand Israël » est une absurdité, qui entraînera à terme la disparition d’Israël, parce que jamais les Juifs ne pourront contrôler entièrement le territoire qu’ils visent. Seule une politique d’apartheid total permettrait la survie d’Israël : évacuation des colonies juives, deux Etats totalement étanches l’un à l’autre, plus aucun Juifs dans les anciens territoires occupés (la question des Arabes israéliens est laissée en suspens, mais on croit comprendre que dans la logique fayesque d’ethnicisation totale, ils seront priés d’aller voir de l’autre côté du Mur). Et, ajoute notre agent du MOSSAD préféré (du moins si l’on en croit ses détracteurs), un Israël ainsi enfermé sur ses frontières de 67 serait viable, et assez puissant pour manipuler ses voisins… (je n’ai pas d’opinion, c’est une question assez secondaire à mes yeux – Faye y consacre nombre de pages, mais bon, il avait peut-être un contrat à honorer…).

- Dans les pays anciennement Blancs qui, comme l’Afrique du Sud, passeront sous pouvoir africain (Noir, en particulier), le retour à la barbarie est probable, comme en Afrique du Sud (reconnaissons que l’exemple du pays « arc en ciel » donne pour l’instant raison à notre racialiste numéro un). D’une manière générale, l’Europe va connaître une guerre civile ethnique terrible, opposant les conquérants « beurs » et « blacks » à des autochtones vieillissants et faibles (lire Eurocalypse pour avoir mon opinion ! – sur ce point, la seule différence entre Faye et moi, c’est que lui souhaite le désastre, parce qu’il est racialiste, alors que je ferai tout pour l’empêcher, parce que je ne suis pas racialiste… mais pour le reste, le pronostic est finalement presque le même : je ne suis pas optimiste.).

- Dans ce contexte de chaos croissant, on assistera à une criminalisation générale de la planète (ce n’est pas une prévision, c’est un constat).

- La Terreur deviendra un « art de vivre » (Faye est, reconnaissons-le, doté d’un certain sens de l’humour !). La plupart des conflits « chauds » ne seront pas, dans un premier temps, ouverts et déclarés (très probable). Ils seront conduits via des groupes manipulés, avec un recours régulier à l’hyper-terrorisme, avec frappes par aéronefs suicides, attaques des centrales nucléaires, bioterrorisme par dispersion de souches bactériennes, empoisonnement des canalisations d’eau potable, attaques de camions suicides – voire au « giga-terrorisme », avec bombes atomiques rudimentaires ou miniaturisées dans les grandes villes, et bombes radiologiques dans les mêmes conditions (je pense que ça finira par arriver, mais si c’est le cas, ce sera très peut-être le fait d’une manipulation par un gouvernement désireux de suspendre les libertés démocratiques à la faveur d’un Etat de guerre non déclarée).

- Des conflits nucléaires sont probables, à terme, étant donné l’ampleur des famines et du désordre généré par l’implosion de l’économie mondiale. Il y aura des « guerres désespérées » pour l’eau, la nourriture et l’énergie (logiquement, c’est en effet ce qui se produira – ah, chic planète…).

- Au terme d’un cycle destructeur terrifiant, l’humanité se réorganisera sur des bases différentes. C’en sera fini de l’universalisation, de l’application d’un seul modèle (occidental au départ) à toute la planète. Une élite restreinte conservera un accès à la technologie, le reste de l’humanité retournera aux sociétés pré-technologiques (ici, je n’arrive pas à savoir si Faye fait un pronostic ou émet un souhait. C’est la différence avec Attali : avec le mondialiste en chef, au moins, on ne se pose pas la question !).

- Bien entendu, le PIB mondial se contractera énormément, et la population actuelle devra être divisée par un fort quotient, faute de ressources. L’humanité sera, nous dit Guillaume Faye, la variable d’ajustement du processus (terrible expression, mais prévision point du tout absurde). Faye estime que vu l’effondrement du niveau technologique, nous reviendrons à la population du XVII° siècle, en hypothèse haute, soit en gros une division par huit. Il envisage trois scénarios : un « doux » (l’Europe devient un territoire du Tiers-Monde mais reste organisée, l’Afrique sombre dans le chaos, l’Asie continue temporairement à tirer la croissance mondiale – la civilisation mondiale plie, mais ne rompt pas) ; un « dur » (l’Europe devient une sorte de chaos néo-médiéval, on vit dans les ruines de l’Ancien Monde) ; un « très dur » (La population mondiale est divisée par 20, toute l’infrastructure économique mondiale est par terre, même dans les pays développés, l’Afrique revient au Néolithique, l’Europe est en l’An Mil, quelques Cités-Etats militarisées conservent le niveau technologique du début du XX° siècle). Et Faye ajoute que ce troisième scénario est, à ses yeux, le plus probable (mon opinion : c’est le moins probable ; je pense que, sous réserve de ce qui suit, c’est le scénario « doux » qui a de fortes chances de se réaliser, voire, si les mauvaises décisions sont prises, le « dur »).

*

Que dire en conclusion ?

Tout simplement qu’en refermant le bouquin de Faye, il vous reste trois choses à faire :

1 - Le grand absent du discours de Guillaume Faye, c’est la Révolution (ah mais, si on parlait des choses sérieuses…)

Donc militez dans un mouvement politique qui tente une transformation radicale de la société (à vous de voir quel mouvement pour quelle transformation), puisque comme disait Castoriadis, socialisme ou barbarie, telle est l’alternative – ou bien nous refondons radicalement notre monde, ou bien nous aurons droit à l’avenir imaginé par Faye, c’est clair et net.

2 - Indépendamment de votre activité militante, achetez un grand terrain à la campagne pour y construire un bunker survivaliste avec source d’eau fraiche, éolienne, et bien planqués pas trop loin, quelques flingues. Complément indispensable : pour faire bonne mesure, construisez un réseau d’autodéfense, avec des gars qui achètent à proximité, pour ne surtout pas rester isolé. Tout ceci dans l’hypothèse hautement improbable où la transformation radicale de la société échouerait, n’est-ce pas ?

3 - Et pour finir, une fois votre Alamo personnel organisé, filez votre pognon à une œuvre charitable quelconque. Ou bien flambez-le, si vous estimez préférable de vous payer une dernière nouba. Allez-y à coups de champagne super-luxe, caviar, etc. De toute façon, pourquoi garder de l’argent dans ces conditions ? Vous auriez l’air fin avec votre plan d’épargne plein, à Ragnarok J+1 !

 

Écrit par Michel Drac,

http://www.scriptoblog.com/index.php?option=com_content&view=article&id=185:la-convergence-des-catastrophes-guillaume-faye-&catid=49:geopolitique&Itemid=55

15/10/2012

Le petit prince est mort

cambodia-Sihanouk.jpgFlorence Compain, Le Figaro, 15 octobre 2012

 

Norodom Sihanouk, mort ce lundi à Pékin à l'âge de 89 ans, a profondément marqué l'histoire de son pays.

«Lutin bondissant», «Néron asiatique», «playboy de Phnom Penh», «prince d'opérette»: pas un sobriquet ne lui a été épargné. Il en était un qu'il abhorrait par dessus tout: celui de «petit prince». «Norodom Sihanouk n'avait qu'une obsession: celle de ne pas être balayé par l'Histoire», confiait récemment au Figaro, Julio Jeldres, son biographe officiel. Il a réussi à mystifier la planète entière, à dompter les grands, à la seule fin de revenir et régner. «Sihanouk est incoulable», déclara-t-il, un jour de 1979 aux Nations unies.

L'histoire moderne du Cambodge s'est confondu avec le destin personnel du «lionceau protégé du Bouddha», depuis qu'adolescent il fut arraché aux bras des jeunes dames de Saïgon et à son latin du lycée Chasseloup-Laubat pour être placé sur le trône par les autorités françaises en 1941. Ce jour où il monta sur le trône doré en costume de brocart, coiffé de la tiare d'or à longue pointe, «le vent souffla sur le cierge royal allumé par les bonzes», raconte-t-il dans ses Souvenirs doux et amers. Mauvais présage dans un pays où bonzes et devins priment sur les experts et les hommes politiques.

«Roi maudit» rendu responsable par certains de bien des malheurs de son pays, il s'est incarné successivement en «croisé de l'indépendance», en dirigeant progressiste du tiers monde, en champion du non-alignement et de la neutralité du Cambodge, en «prince rouge» pactisant avec les maquisards khmers rouges, en patriote anti-vietnamien allié aux mêmes Khmers rougesqui avait martyrisé son peuple, enfin en «père de la nation», artisan de la réconciliation nationale et arbitre suprême du «marigot politique cambodgien».

Comment ce lycéen effacé, amateur de crème glacée, placé sur le trône pour faire de la figuration par l'amiral Decoux, gouverneur de l'Indochine rallié à Vichy, s'est-il forgé un tel rôle? «Quand j'étais dans le fracas du monde, comme je me suis démené», lui faisait dire Hélène Cixous dans la pièce d'Ariane Mnouchkine dans l'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk au Cambodge. «J'ai tout vécu, tout gagné, tout perdu, j'ai vu juste, j'ai vu faux, j'ai vu trop tôt, je n'ai pas vu le poignard dans mon dos, je me suis trompé, j'ai souvent menti, j'ai beaucoup dit la vérité, beaucoup trop».

Le «prince changeant»

Au jeu des volte-face les plus déconcertantes et des alliances les plus incongrues, certains auraient fini par éprouver le vertige de l'équilibre, le «prince changeant», comme il se surnommait, parvenait toujours à garder le fil de sa pensée à travers ses méandres.

Ce destin fracassant a commencé dans une école de filles où Sihanouk était affublé de robes à dentelle car «mes parents ne purent se résoudre à me confier à un établissement scolaire pour garçons de peur que je fusse brutalisé par les enfants turbulents». Et il y eut le temps des palanquins, des tapis rouges, des pluies de pétales de roses et des amours frivoles: il était alors chanteur de charme, réalisateur de films mélodramatiques toujours primés par un jury royal, acteur jouant systématiquement les amants magnifiques. Mais à la mort d'une de ses filles en 1952, Sihanouk décida de se «consacrer à son peuple». L'indépendance qu'il arracha après des manœuvres incessantes à la France en 1953, six mois avant Diên Biên Phu, ne fut qu'un premier pas vers la postérité. Sihanouk s'improvisa «artiste en diplomatie», expert en fausses confidences et vraies colères, jouant de ses imprécations modulées sur une octave suraiguë et de ses moues inimitables.

En 1955, Sihanouk descendit du trône en abdiquant en faveur de son père. Redevenu le prince, il était libre de participer aux élections. C'était un coup de maître. Il fonda son propre parti, le Sangkum, d'inspiration socialiste, «régime dictatorial et dorloteur», estime Élisabeth Becker dans Les larmes du Cambodge. Le prince Sihanouk «avait tissé un cocon de mythes rassurants et de légendes désuètes pour protéger son peuple et son pays de la guerre d'Indochine ainsi que de tous les maux pouvant se cacher aux portes du paradis qu'était le Cambodge». Mais les louvoiements neutralistes pouvaient de moins en moins conjurer le spectre de la guerre. Cette «neutralité» vantée par de Gaulle en 1966 dans son fameux discours de Phnom Penh était en train de sombrer.

Le 18 mars 1970, Sihanouk, alors en cure d'amaigrissement sur la Côte d'Azur, fut déposé par un coup d'État pro américain. Paris, au courant du complot, ne lui souffla mot. Zhou Enlai, lui, offrit une seconde patrie au prince sans royaume et tissa avec lui l'alliance ignominieuse dont la Chine avait besoin pour circonvenir le Vietnam: Sihanouk accepta de prendre la tête d'un front de résistance entièrement dominé par les Khmers rouges. Il devint leur caution morale posant devant les photographes en 1973 en zone libérée. Et «la Voix du Cambodge libre» grâce à Radio Pékin.

Un chef d'État sans pouvoir

De retour à Phnom Penh en septembre 1975, six mois après l'entrée victorieuse des Khmers rouges dans la capitale, Sihanouk était devenu un chef d'État sans pouvoir, prisonnier dans son palais, exhibé parfois dans son pyjama noir devant les esclaves des rizières et les villes mortes et comptant ses proches qui disparaissent. Il perdit 5 enfants et 14 petits-enfants et ne dût la vie sauve qu'à l'influence de ses amis chinois sur Pol Pot. Le premier ministre Zhou Enlai avait averti le futur président du Kampuchea démocratique, Khieu Samphan: «Gardez Sihanouk, le pays n'a pas encore de conscience politique: c'est Sihanouk qui est le lien entre le peuple et la révolution».

Aux accusations de cécité criminelle, d'ambiguïté, Sihanouk répond inlassablement d'une seule et même façon: «avant tout être là avec mon peuple. Je ne rentrais donc pas par ambition personnelle mais par amour pour mon peuple, un amour charnel, d'autant plus qu'il est martyrisé», écrit-t-il dans Prisonnier des Khmers rouges, minutieux témoignage de sa captivité. Le 6 janvier 1979, à la veille de l'entrée des troupes vietnamiennes dans Phnom Penh, un avion chinois le ramena à Pékin. Mais il ne s'amenda pas, n'en démordit pas de son inlassable ambition à rassembler les frères ennemis khmers.

Et se lança dans une campagne pour libérer son pays du joug vietnamien quitte à s'allier avec ses anciens geôliers khmers rouges. Jusqu'en avril 1991, où Chinois et Vietnamiens normalisèrent leurs relations donnant le feu vert à un règlement cambodgien. Signé la même année à Paris, un accord international déboucha sur une intervention massive de l'ONU qui organisa les élections de 1993. Dans la foulée, la monarchie, constitutionnelle, fut restaurée. Et ce fut seulement en juin 1993, lorsque le parlement le rétablit dans ses fonctions de chef d'État, que l'ignominie du putsch du général Lon Nol, à ses yeux un crime de lèse-majesté, fut complètement effacée.

Diabétique, atteint d'un cancer puis d'une tumeur au cerveau, il ne sortait guère du Palais, quand il n'était pas à Pékin pour y suivre des traitements médicaux. Même les inaugurations de ses «réalisations personnelles pro-peuple» (écoles, puits, distributions de vivres aux pauvres) ne se faisaient plus que sur présentation du portrait du roi devant lequel le «petit peuple» se prosternait.

Un animal politique redoutable

Amaigri, vieilli, «Samdech Ta», Monseigneur Grand père, était tout de même resté un animal politique redoutable. Marginalisé lors de la crise politique qui avait suivi les législatives de juillet 2003, ligoté par son statut de «monarque qui règne mais ne gouverne pas», le roi du Cambodge avait trouvé une pirouette pour distribuer ses piques assassines aux dirigeants politiques cambodgiens: il s'était créé un double sulfureux et publiait dans son bulletin mensuel, à diffusion confidentielle, les lettres que lui envoyait Ruom Ritt, un mystérieux «ami d'enfance ancien dentiste vivant dans les Pyrénées», précisait le monarque. Comme Sihanouk, ce «vieil ami» avait abondamment recours aux superlatifs, à une ponctuation extravagante et à un curieux mélange de français et d'anglais. En moquant tous les personnages de la vie politique cambodgienne, «Sihanouk était toujours en piste», selon une de ses expressions favorites. Son dernier coup: en abdiquant en octobre 2004, il parvint à régler sa succession comme il l'entendait et imposer son fils Sihamoni, malgré la constitution de 1993, qui ne prévoit ni l'abdication du roi ni la nomination par le monarque d'un prince héritier.

«Après avoir vécu toutes ces déceptions, ces humiliations, complots, trahisons, je suis un homme foudroyé», disait-il pour justifier sa décision. Le «devaraja», héritier des dieux-rois d'Angkor demandait à son entourage de «ne plus me montrer d'écrits qui me manquent de respect». Il ne voulait plus être que «le Grand Roi-Héros, Père de l'Indépendance, de l'intégrité territoriale et de l'unité nationale», selon le titre que lui avait donné l'Assemblée nationale, celui qui a su donner au peuple cambodgien un sentiment d'identité et de continuité. Sihanouk qui avait eu un destin estimait avoir vécu trop longtemps: «cette trop longue longévité me pèse comme un poids insupportable», confiait-il en 2009, sur son site internet.

03/10/2012

La terre disparait

Partout, les terres s’épuisent. Et risquent de ne plus pouvoir nourrir l’humanité. En cause : l’érosion des sols, liée aux productions intensives, le déclin de la biodiversité ou des vers de terre, accéléré par l’usage massif de la chimie, ou encore la progression inexorable du béton des villes et des routes qui stérilise à jamais notre bonne vieille glèbe.

 

La terre, une ressource non renouvelable

Pour nourrir la population mondiale grandissante, il faudra doubler la production agricole dans les prochaines décennies. Une impossible équation. « Aujourd’hui, 0,27 hectare est disponible par personne (2700 m2). Dans quarante ans, à cause de la perte de terres et de l’augmentation de population, il restera seulement 0,14 hectare par personne », souligne une étude à laquelle a participé David Pimentel. Soit tout juste 1/6ème de terrain de foot.(Pimentel David, C. Harvey, P. Resosudarmo, K. Sinclair, D. Kurz, M. McNair, S. Crist, L. Shpritz, L. Fitton, R. Saffouri, R. Blair,Environmental and Economic Costs of Soil Erosion ans Conservation Benefits, 1995).

 

Malgré d’importants défrichements en Amazonie ou en Indonésie (environ 12 à 13 millions d’hectares/an, ce qui pose aussi le problème de la déforestation), la superficie des terres arables n’a pas augmenté depuis les années 1970. Pire, les réserves sont limitées. Il ne reste que 600 millions d’hectares dans le monde pouvant être convertis en terres cultivables, sans remettre en cause l’équilibre entre terres arables et forêts, prévient Daniel Nahon.(Daniel Nahon, L’Épuisement de la terre, L’enjeu du XXIe siècle, éd. Odile Jacob)

 

Où sont passés les vers de terre ?

En France, rares sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. Parmi eux, Lydia et Claude Bourguignon, fondateurs du Laboratoire d’analyse microbiologique des sols (Lams), spécialisé dans les techniques de préservation des sols agricoles. Selon ces agronomes, l’agriculture intensive a détruit près de 90 % de l’activité biologique dans certains sols cultivés en Europe. « Les chambres d’agriculture reconnaissent qu’il y a un problème. Elles parlent de “fatigue des sols”, pour pudiquement dire “mort des sols” », observe Claude Bourguignon. « L’état des sols en France, en Europe et dans le monde est assez désastreux. « En 1950, il y avait 4 % de matière organique dans les sols. Nous sommes descendus à 1,4 %. On ne peut plus descendre en-dessous de ce niveau », prévient Lydia Bourguignon.(Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs : pour retrouver une agriculture saine, éd. Sang de la Terre, 2008 et 2010, 223 p)


Claude et Lydia Bourguignon                                    Ou sont passés les vers de terre ?

 

Comment en est-on arrivé là ?

Les labours trop profonds entraînent une baisse de la qualité et de la quantité de la matière organique en surface, perturbent la faune et exposent les sols à l’érosion. L’emploi excessif d’engrais chimiques et du désherbage exterminent faune et bactéries. Et les cultures intensives, lorsque toute la plante est utilisée, y compris la tige et les feuilles, privent les sols de la matière organique qui les alimente. L’absence de haies ou de cultures « de couverture », qui protégeaient les sols, favorise l’érosion. Leur lessivage entraîne la mort chimique.

 

L’érosion provoque une insuffisance en nutriments de base (nitrogène, phosphore, potassium, calcium), essentiels pour la production agricole. Davantage présents en surface, ils partent avec les eaux de ruissellement. Sur tous les continents, cette érosion s’étend bien au-delà de la capacité de renouvellement des sols : environ une tonne de terre par an et par hectare.


Les cailloux ou la terre

 

Autre conséquence : le « déclin biologique » des sols. Un hectare de terre fertile contient en moyenne 1,7 tonne de bactéries, 2,7 tonnes de champignons, selon les études états-uniènes. Et une tonne de vers de terre, qui par leurs mouvements brassent une masse considérable de glèbe. « Une vie foisonnante travaille les sols : sur chaque hectare, dans les 20 premiers centimètres de profondeur, vous trouvez l’équivalent, en poids, de 500 moutons ! », décrit Daniel Nahon. Un chiffre divisé par cinq dès lors que la terre est cultivée.

 

Coût de l’érosion : 400 milliards de dollars par an

À cela s’ajoute l’irrigation, qui sale les sols, la contamination par des métaux lourds, ainsi que le tassement par l’utilisation de machines de plus en plus lourdes, qui peuvent endommager tout l’écosystème. Sans oublier la transformation de terres agricoles en zones urbaines ou commerciales, en autoroutes. « Auparavant, on estimait cette perte à l’équivalent d’un département français tous les dix ans en France. Aujourd’hui, c’est de l’ordre d’un département tous les sept ans », décrit Dominique Arrouays, chercheur à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), et responsable d’Infosol, un système unique d’information sur les sols de France et leurs évolutions.

 

En France, pas de statistiques solides

Une tendance temporairement compensée par un usage important de produits fertilisants ou par l’irrigation. Mais qui n’est pas tenable à long terme, et coûte cher. A l’échelle de la planète, l’érosion provoque une perte à 400 milliards de dollars par an, selon David Pimentel. D’après les différentes études collectées par le chercheur, la dégradation des sols sera responsable d’une baisse de productivité agricole de 30 %, d’ici vingt-cinq à cinquante ans.


La meilleure terre disparait

 

A l’Inra, on relativise. « Il n’y a pas de données qui montrent que la situation empire", considère Frédéric Darboux, chercheur en science du sol dans une des unités spécialisées, à Orléans. L’érosion, ce n’est pas nouveau. L’Inra estime manquer de statistiques solides et de recul. Mais pour Dominique Arrouays, également chercheur à l’Inra, « il y a effectivement des raisons de s’inquiéter, car le phénomène est relativement irréversible » . 20 % du territoire serait concerné par une érosion trop importante. Le grand Sud-Ouest, la vallée du Rhône ou le pourtour méditerranéen sont les premiers touchés, de même que les vallées limoneuses de Picardie et du Nord. Bref, difficile de savoir, en France, le niveau de gravité de la situation.

 

Peut-on « réparer » les sols ?

 Une vingtaine d’unités de l’Inra travaillent pourtant sur l’étude de notre humus. Le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) [Pimentel David, Soil erosion : a food and environmental threat, 2006] pourra livrer des éléments un peu plus précis à partir de 2018, une fois terminée sa deuxième campagne de prélèvements. Trop tard, estime Claude Bourguignon, qui ne mâche pas ses mots : « À l’Inra, ils ont attendu que les sols meurent avant de lancer des programmes de mesures, pour faire des courbes intéressantes. Ils sont parfaitement conscients de ce qui se passe. »' (David Pimentel , Anne Wilson, Population mondiale, agriculture et malnutrition, WorldWatch Institute.)


Le bitume et la terre

 

Mais rassurons-nous : « Si les mesures sont difficiles, les techniques qui permettent de réduire l’érosion sont assez connues à l’Inra », souligne Frédéric Darboux. À défaut de pouvoir évaluer avec précision le problème, au moins peut-on y apporter des solutions ! Le plus urgent : une révolution culturelle, estime Daniel Nahon. « En France, les agriculteurs écoutent ce que leur disent les ingénieurs, ils ne veulent pas changer de méthode. » Résultat : « Sur 30 % des terres aux États-Unis, on ne pratique plus le labour, facteur important de la dégradation des sols, alors qu’en France cela ne concerne qu’une infime proportion des terres. » Aux États-Unis, les chercheurs préconisent aussi les rotations de cultures, la mise en place de brise-vents, de haies, de bandes herbées…« Dans l’État du Tamil Nadu, en Inde, des vers de terre ont été introduits dans des terres détruites. Après trois ans, la production de thé sur ces terres a augmenté de 35 à 240 % », décrit Daniel Nahon.

 

Sortir du néolithique sans passer par les OGM

« Des agriculteurs nous demandent ce qu’on peut faire pour leurs terres. Mais quand il n’y plus de faune, de matière organique, on ne peut pas régénérer d’un coup de baguette magique, estime Claude Bourguignon. Depuis vingt ans, on est pris pour des hurluberlus. Si on avait agi plus tôt, on ne se serait pas mis en danger. »

 

 Les solutions techniques ne pourront jamais égaler la complexité des sols. « Avec les engrais, on ajoute de l’azote, du phosphore, du potassium, mais la plante puise une trentaine de micro-éléments dans la terre, qui sont absents des fertilisants. Et cela coûte très cher de copier les éléments naturels», poursuit Lydia Bourguignon.

 

 La solution ? « L’agriculture n’aurait jamais dû être autre que bio. Avec la Révolution verte, on est retourné au néolithique et à son système de monoculture sur brûlis. On a fait un bond en arrière de 6000 ans en cinquante ans, s’emporte Claude Bourguignon. Il faut aller plus loin avec les connaissances modernes et les techniques anciennes. »

*in bastaMag