03/10/2012
La terre disparait
Partout, les terres s’épuisent. Et risquent de ne plus pouvoir nourrir l’humanité. En cause : l’érosion des sols, liée aux productions intensives, le déclin de la biodiversité ou des vers de terre, accéléré par l’usage massif de la chimie, ou encore la progression inexorable du béton des villes et des routes qui stérilise à jamais notre bonne vieille glèbe.
La terre, une ressource non renouvelable
Pour nourrir la population mondiale grandissante, il faudra doubler la production agricole dans les prochaines décennies. Une impossible équation. « Aujourd’hui, 0,27 hectare est disponible par personne (2700 m2). Dans quarante ans, à cause de la perte de terres et de l’augmentation de population, il restera seulement 0,14 hectare par personne », souligne une étude à laquelle a participé David Pimentel. Soit tout juste 1/6ème de terrain de foot.(Pimentel David, C. Harvey, P. Resosudarmo, K. Sinclair, D. Kurz, M. McNair, S. Crist, L. Shpritz, L. Fitton, R. Saffouri, R. Blair,Environmental and Economic Costs of Soil Erosion ans Conservation Benefits, 1995).
Malgré d’importants défrichements en Amazonie ou en Indonésie (environ 12 à 13 millions d’hectares/an, ce qui pose aussi le problème de la déforestation), la superficie des terres arables n’a pas augmenté depuis les années 1970. Pire, les réserves sont limitées. Il ne reste que 600 millions d’hectares dans le monde pouvant être convertis en terres cultivables, sans remettre en cause l’équilibre entre terres arables et forêts, prévient Daniel Nahon.(Daniel Nahon, L’Épuisement de la terre, L’enjeu du XXIe siècle, éd. Odile Jacob)
Où sont passés les vers de terre ?
En France, rares sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. Parmi eux, Lydia et Claude Bourguignon, fondateurs du Laboratoire d’analyse microbiologique des sols (Lams), spécialisé dans les techniques de préservation des sols agricoles. Selon ces agronomes, l’agriculture intensive a détruit près de 90 % de l’activité biologique dans certains sols cultivés en Europe. « Les chambres d’agriculture reconnaissent qu’il y a un problème. Elles parlent de “fatigue des sols”, pour pudiquement dire “mort des sols” », observe Claude Bourguignon. « L’état des sols en France, en Europe et dans le monde est assez désastreux. « En 1950, il y avait 4 % de matière organique dans les sols. Nous sommes descendus à 1,4 %. On ne peut plus descendre en-dessous de ce niveau », prévient Lydia Bourguignon.(Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs : pour retrouver une agriculture saine, éd. Sang de la Terre, 2008 et 2010, 223 p)
Claude et Lydia Bourguignon Ou sont passés les vers de terre ?
Comment en est-on arrivé là ?
Les labours trop profonds entraînent une baisse de la qualité et de la quantité de la matière organique en surface, perturbent la faune et exposent les sols à l’érosion. L’emploi excessif d’engrais chimiques et du désherbage exterminent faune et bactéries. Et les cultures intensives, lorsque toute la plante est utilisée, y compris la tige et les feuilles, privent les sols de la matière organique qui les alimente. L’absence de haies ou de cultures « de couverture », qui protégeaient les sols, favorise l’érosion. Leur lessivage entraîne la mort chimique.
L’érosion provoque une insuffisance en nutriments de base (nitrogène, phosphore, potassium, calcium), essentiels pour la production agricole. Davantage présents en surface, ils partent avec les eaux de ruissellement. Sur tous les continents, cette érosion s’étend bien au-delà de la capacité de renouvellement des sols : environ une tonne de terre par an et par hectare.
Les cailloux ou la terre
Autre conséquence : le « déclin biologique » des sols. Un hectare de terre fertile contient en moyenne 1,7 tonne de bactéries, 2,7 tonnes de champignons, selon les études états-uniènes. Et une tonne de vers de terre, qui par leurs mouvements brassent une masse considérable de glèbe. « Une vie foisonnante travaille les sols : sur chaque hectare, dans les 20 premiers centimètres de profondeur, vous trouvez l’équivalent, en poids, de 500 moutons ! », décrit Daniel Nahon. Un chiffre divisé par cinq dès lors que la terre est cultivée.
Coût de l’érosion : 400 milliards de dollars par an
À cela s’ajoute l’irrigation, qui sale les sols, la contamination par des métaux lourds, ainsi que le tassement par l’utilisation de machines de plus en plus lourdes, qui peuvent endommager tout l’écosystème. Sans oublier la transformation de terres agricoles en zones urbaines ou commerciales, en autoroutes. « Auparavant, on estimait cette perte à l’équivalent d’un département français tous les dix ans en France. Aujourd’hui, c’est de l’ordre d’un département tous les sept ans », décrit Dominique Arrouays, chercheur à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), et responsable d’Infosol, un système unique d’information sur les sols de France et leurs évolutions.
En France, pas de statistiques solides
Une tendance temporairement compensée par un usage important de produits fertilisants ou par l’irrigation. Mais qui n’est pas tenable à long terme, et coûte cher. A l’échelle de la planète, l’érosion provoque une perte à 400 milliards de dollars par an, selon David Pimentel. D’après les différentes études collectées par le chercheur, la dégradation des sols sera responsable d’une baisse de productivité agricole de 30 %, d’ici vingt-cinq à cinquante ans.
La meilleure terre disparait
A l’Inra, on relativise. « Il n’y a pas de données qui montrent que la situation empire", considère Frédéric Darboux, chercheur en science du sol dans une des unités spécialisées, à Orléans. L’érosion, ce n’est pas nouveau. L’Inra estime manquer de statistiques solides et de recul. Mais pour Dominique Arrouays, également chercheur à l’Inra, « il y a effectivement des raisons de s’inquiéter, car le phénomène est relativement irréversible » . 20 % du territoire serait concerné par une érosion trop importante. Le grand Sud-Ouest, la vallée du Rhône ou le pourtour méditerranéen sont les premiers touchés, de même que les vallées limoneuses de Picardie et du Nord. Bref, difficile de savoir, en France, le niveau de gravité de la situation.
Peut-on « réparer » les sols ?
Une vingtaine d’unités de l’Inra travaillent pourtant sur l’étude de notre humus. Le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) [Pimentel David, Soil erosion : a food and environmental threat, 2006] pourra livrer des éléments un peu plus précis à partir de 2018, une fois terminée sa deuxième campagne de prélèvements. Trop tard, estime Claude Bourguignon, qui ne mâche pas ses mots : « À l’Inra, ils ont attendu que les sols meurent avant de lancer des programmes de mesures, pour faire des courbes intéressantes. Ils sont parfaitement conscients de ce qui se passe. »' (David Pimentel , Anne Wilson, Population mondiale, agriculture et malnutrition, WorldWatch Institute.)
Le bitume et la terre
Mais rassurons-nous : « Si les mesures sont difficiles, les techniques qui permettent de réduire l’érosion sont assez connues à l’Inra », souligne Frédéric Darboux. À défaut de pouvoir évaluer avec précision le problème, au moins peut-on y apporter des solutions ! Le plus urgent : une révolution culturelle, estime Daniel Nahon. « En France, les agriculteurs écoutent ce que leur disent les ingénieurs, ils ne veulent pas changer de méthode. » Résultat : « Sur 30 % des terres aux États-Unis, on ne pratique plus le labour, facteur important de la dégradation des sols, alors qu’en France cela ne concerne qu’une infime proportion des terres. » Aux États-Unis, les chercheurs préconisent aussi les rotations de cultures, la mise en place de brise-vents, de haies, de bandes herbées…« Dans l’État du Tamil Nadu, en Inde, des vers de terre ont été introduits dans des terres détruites. Après trois ans, la production de thé sur ces terres a augmenté de 35 à 240 % », décrit Daniel Nahon.
Sortir du néolithique sans passer par les OGM
« Des agriculteurs nous demandent ce qu’on peut faire pour leurs terres. Mais quand il n’y plus de faune, de matière organique, on ne peut pas régénérer d’un coup de baguette magique, estime Claude Bourguignon. Depuis vingt ans, on est pris pour des hurluberlus. Si on avait agi plus tôt, on ne se serait pas mis en danger. »
Les solutions techniques ne pourront jamais égaler la complexité des sols. « Avec les engrais, on ajoute de l’azote, du phosphore, du potassium, mais la plante puise une trentaine de micro-éléments dans la terre, qui sont absents des fertilisants. Et cela coûte très cher de copier les éléments naturels», poursuit Lydia Bourguignon.
La solution ? « L’agriculture n’aurait jamais dû être autre que bio. Avec la Révolution verte, on est retourné au néolithique et à son système de monoculture sur brûlis. On a fait un bond en arrière de 6000 ans en cinquante ans, s’emporte Claude Bourguignon. Il faut aller plus loin avec les connaissances modernes et les techniques anciennes. »
*in bastaMag
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