11/06/2015
Heidegger et la question du "salut"
Heidegger et la question du « salut »
MICHEL BEL
(16.12.2007)
Quand on lit Heidegger et qu’on regarde l’ensemble de sa production une question vient aussitôt à l’esprit : quel est le sens de cette œuvre ? Pourquoi Heidegger a-t-il tant écrit ? Et qu’a-t-il écrit, exactement ? Si « ce que l’on énonce en mots n’est jamais ce que l’on dit » comme il le fait remarquer dans son écrit sur « L’expérience de la pensée » (Questions III p.35) qu’a-t-il dit vraiment ? De quoi nous a-t-il entretenus pendant soixante ans de 1916 à 1976 ? Nous a-t-il parlé d’Aristote, de Platon, d’Anaximandre, d’Héraclite, de Schelling ? Ou bien nous a-t-il conduits à notre insu sur une voie où nous ne voudrions pas aller ? Si tel était le cas pourrait-on encore considérer Heidegger comme un philosophe ? Car il ne suffit pas de lire Heidegger en surfant sur ses concepts ou sur son pseudo concepts, il faut encore l’interroger. Il nous a invités à considérer ses écrits comme des « Chemins ». Mieux, comme des « Holzwege ».Que signifient chez lui les « Holzwege » ? A-t-on oublié son avertissement qui nous dit expressément que ces chemins forestiers sans issue apparente conduisent les bûcherons à leur lieu de travail ? (Chemins. NRF p.8). Qui sont ces bûcherons ? Sur quel lieu de travail doivent-ils se rendre ? Quelle forêt ont-ils en charge d’ « éclaircir » ? Quels bois sont-ils chargés d’extraire ? Par qui sont-ils contraints de le faire ? Est-ce par Heidegger, puisque lui seul semble être le commanditaire exclusif de la « chose »? Sinon à quel donneur d’ordres sont-ils sommés d’obéir ? Ces problèmes de fond posés par les écrits d’Heidegger sont loin d’être résolus.
Kant, dans un texte célèbre sur l’histoire avait comparé l’humanité à une forêt. La forêt qu’Heidegger se propose d’éclaircir en invitant les bûcherons à avancer sur ses « chemins » serait-elle aussi l’humanité ? A quelle fin l’ « éclaircissement » de la forêt doit-il conduire ? Quelle utilisation le commanditaire veut-il faire du bois extrait? Est-il destiné à être brûlé ? Où doit-il être préalablement stocké ? Quels critères ont-ils présidé à l’extraction ? Comment la sélection des essences a-t-elle été décidée, voire programmée ? De qui enfin le commanditaire, s’il n’est pas lui-même propriétaire de la forêt, s’est-il autorisé pour agir ainsi ? Pourquoi Heidegger veut-il que nous avancions sur ses chemins de coupe sans nous dire ce qu’il veut faire de son « bois » ni qui l’a autorisé à agir ainsi ?
Le premier « Holzweg » qu’il nous propose en 1950, lors de l’édition de son ouvrage alors qu’il est encore interdit d’enseignement par les Alliés est L’origine de l’œuvre d’art. Quelle est pour Heidegger la signification de la pratique artistique ? Pourquoi est-elle chez lui intimement mêlée à l’Histoire, au point de conduire cette dernière à un « éclatement » ou à un « recommencement », voire à une « reprise »? Pourquoi faudrait-il qu’Hölderlin, dont on sait qu’il considérait la « Germanie » comme « le cœur sacré des peuples », devienne « la puissance qui commande la réalisation de l’Histoire » ? Pourquoi celle-ci devrait-elle être considérée comme « le temps de la domination germanique de la planète ». Pourquoi l’Histoire devrait-elle être « l’éveil d’un peuple à ce qu’il lui est donné d’accomplir » ? (Chemins, NRF p. 61). Pourquoi Hölderlin devrait-il être « le poète de l’œuvre » dont il restait en 1935 et « dont il reste aujourd’hui encore », au dire de Heidegger, « aux Allemands à s’acquitter »? Si c’est de l’histoire allemande qu’il s’agit et de la domination planétaire d’un peuple-race sur tous les autres peuples devenus ses esclaves qu’avons-nous à faire de ces « Holzwege » ? Faire éditer cette conférence incitatrice au combat et à l’épuration après la découverte par les Alliés des charniers d’Auschwitz et de tous les abattoirs humains installés dans les territoires conquis de la Grande Allemagne par le régime nazi, a quelque chose de plus qu’indécent. Surtout quand on sait que les nazis assurant le commandement de la Wehrmacht ont été arrêtés dans l’accomplissement des millions de fois criminel de leur prétendue « mission » par la victoire des Alliés.
Qu’annonçait la conférence sur L’origine de l’œuvre d’art en 1935, l’année même où Heidegger légitimait l’Introduction de la violence la plus sordide dans sa « Métaphysique » ? – La « libération de la Terre pour qu’elle soit une Terre ». (Chemins, NRF p.35). Qu’entendait-il par « libération » ? Visait-il la libération de la Terre des Juifs et de tous les peuples à ses yeux indésirables ? Si oui, que signifie la réitération de cette conférence en 1950 ? Quelle nécessité y avait-il à remémorer ces horreurs ? Quel intérêt Heidegger avait-il, la même année, à rejeter la raison de la pratique de la pensée, à la fin de sa conférence intitulée : Le mot de Nietzsche : « Dieu est mort » ? En vertu de quelle nécessité l’approche de l’être devrait-elle se faire exclusivement à partir de la Logique de Hegel ? Pourquoi l’accès à l’être est-il contraint de commencer en donnant à l’homme la « position de l’absolu » ? (Hegel et son chemin de l’expérience. Chemins p.127). En vertu de quelle autorité devons-nous être amenés à reconnaître que « ce qui demeure les poètes le fondent » ? A admettre que la prétendue « souche germanique », prétendument « parente de la « souche hellénique », selon Heidegger, avait besoin de poètes en temps de détresse et précisément d’Hölderlin ? A quelle exigence non avouée obéissent toutes les contingences qu’Heidegger voudrait nous faire prendre pour des nécessités ontologiques ?
Comment Heidegger, interdit d’enseignement à la demande du Sénat de l’Université de Fribourg, a-t-il osé braver l’interdiction de faire cours en publiant des principes de pensée et de vie contenus dans des cours des années trente et quarante qui ont servi de fondement à l’action des nazis : le rejet de la raison, la valorisation de la souche germanique, voire son absolutisation ? L’extraction du bois de la forêt ne signifiait-elle pas dans les années trente-quarante l’éradication des Juifs de la « forêt germanique » afin de pouvoir réaliser pleinement l’« habitat poétique » « planétaire » des Germains ? Quelle lecture faut-il faire de ces textes aujourd’hui? Une lecture immanente, platement naïve, totalement aveugle à la réalité, comme il est de mode depuis 1950 dans certains milieux éducatifs, ou une lecture symptomale éclairante ? Les mots et les images employés par Heidegger sont-ils des signes renvoyant aux réalités habituellement visées par le langage courant ou sont-ils des signes lisibles seulement à partir d’un autre système d’encodage voire de plusieurs autres? Heidegger a enfin dit aux auditeurs de son cours sur Nietzsche, en 1937, que dans le cadre de son nouveau regard les mots fondamentaux avaient changé de sens. (Nietzsche I, p.133). Quant on sait que chez lui « les mots fondamentaux sont historialisants » (Ibid. p. 134) on est en droit de s’interroger sur la manière dont l’œuvre a été comprise jusqu’à ce jour par de prétendus spécialistes. Il n’a rien dit en revanche sur le sens des symboles qu’il employait, sur lesquels il a préféré « garder un silence total» se contentant de déclarer en 1935 dans son commentaire du Rhin de Hölderlin que chaque auditeur était « éloigné du secret différemment ». (NRF p.261). Mais on sait aujourd’hui, hélas ! en quoi consistait le « secret » de ce « bonheur lourd à porter » dont la « charge » avait été « confiée » par lui « aux Allemands » de « souche » et présentée abusivement en termes de « mission ».
A la lumière de cette semi mise au point heideggérienne, on comprend mieux pourquoi dans son cours sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, en 1930, il a pu définir la « patience » comme « la vertu du philosopher » qui « comprend que nous devons constamment dresser le bûcher avec du bois approprié et choisi jusqu’à ce qu’il prenne enfin. » (NRF p.124). Pourquoi à la fin de ce même cours a-t-il dit aux étudiants : « Il ne peut y avoir qu’un seul véritable signe que vous ayez compris quelque chose à cet essentiel inexprimé qui a été constamment traité : c’est qu’en vous se soit éveillée une volonté de satisfaire à l’œuvre en ses requêtes les plus internes – chacun pour sa part, chacun selon ses forces et ses mesures ». (NRF p.228). On comprend mieux à la lumière de ces paroles pourquoi dans le commentaire des Hymnes de Hölderlin de 1934 à 1945 il n’a cessé de demander à ses auditeurs de participer à la « corvée de bûches », « d’accroître la charge de bûches » ; et pourquoi au début du semestre d’été 1942 il a estimé nécessaire de commenter le poème d’Hölderlin intitulé « Der Ister » en insistant particulièrement au début et à la fin du cours sur l’ordre donné par Hölderlin :« Jezt, komme Feuer ! ». La conférence de Wannsee venait d’avoir lieu en janvier, très exactement le 20. Le cours commença le 21 avril et se termina le 14 juillet. Les premiers bûchers ont commencé à crépiter à la fin de l’été comme en témoigne dans sa déposition le commandant d’Auschwitz. . Mais Auschwitz-Birkenau ne fut pas le seul site de stockage où eut lieu la « venue du feu ». A la même période les fours de boulanger améliorés commencèrent à être expérimentés à Belzec pour faire disparaître les traces d’anéantissement des indésirables, et particulièrement les cadavres entassés dans des fosses qui risquaient de s’avérer compromettants pour le régime. Comme par hasard les premiers fours crématoires commandés par les autorités nazies à la firme Topf et Fils venaient juste d’être livrés et étaient prêts à fonctionner à plein rendement. Est-ce un hasard si Heidegger, apparemment très bien informé, écrit dans Andenken au semestre d’hiver 1941-42 et répète au cours de l’année 1943 : « Le vent du Nord-est souffle Je l’aime entre tous, Car il annonce l’esprit de feu » … « Le vent du Nord-est devient le messager qui porte le salut » « L’envoi du salut est le retour dans le Propre de celui qui désormais reste où il est » (Approche p.102, 122-123).
Doit-on considérer l’œuvre écrite de Heidegger comme indépendante de cette réalité historique comme ont voulu le faire croire Jean Beaufret et son fidèle ami François Fédier ou comme le laisse croire aujourd’hui encore Peter Sloterdijk ? (La politique de Heidegger : reporter la fin de l’histoire, in Heidegger le danger et la promesse, Kimé 2006, p.179-180). Ou doit-on considérer que l’expression symbolique de cette œuvre a été choisie par l’auteur pour le mettre à l’abri de tout soupçon du fait de son engagement profond dans le processus d’extermination envisagé comme le salut de la « race » pudiquement appelée la « souche germanique »? N’est-ce pas Heidegger en personne qui a dit dans ce même texte: « L’ombre ménage l’abri qui protège de l’excès du feu » « Le feuillage d’un bouquet d’arbres cache la grande porte ouverte sur la cour… » « Un mot peut bien n’avoir qu’une mince apparence, une « image » peut bien sembler n’être là que pour « faire plus poétique », le mot et l’image n’en font pas moins une parole de salut, qui parle selon la pensée fidèle et reprend dans la pensée l’étranger qui a été et le patrimoine qui vient selon la convenance qui les lie originellement l’un à l’autre » (Approche p.128-129).
Cette hypothèse est-elle absurde ou bien est-elle, au contraire, le véritable fil d’Ariane qui seul peut conduire le lecteur jusqu’au secret le plus intime du nazisme ? Comment faut-il comprendre une expression telle que : « L’œuvre libère la terre pour qu’elle soit une Terre » prononcée en novembre 1935, deux mois à peine après la promulgation des lois racistes de Nuremberg ? Comment faut-il comprendre :« L’homme est Dieu », « Le bien est le mal », « le mal est le bien », « la liberté est liberté pour le bien et pour le mal », paroles prononcées en 1936 dans le cours sur Schelling ? Ou cette autre proposition, émise dans les années trente « l’essence de la liberté qui est le problème fondamental de la philosophie » consiste à « devenir essentiel dans le vouloir effectif de sa propre essence ». « Le vouloir effectif implique toujours d’être au clair, de s’être mis au clair sur les motifs. » « Quiconque veut effectivement ne veut rien d’autre que le devoir de son Dasein » « L’essence nous demeure fermée tant que nous ne devenons pas nous-mêmes essentiels en notre essence » (De l’essence de la liberté humaine. NRF p.266, 276-277). De quelle essence peut-il bien s’agir lorsque l’impératif de la raison pratique de Kant a été rejeté comme impropre et qu’Heidegger déclare en 1935 dans le commentaire du Rhin que « l’histoire est toujours l’histoire unique de tel peuple(…) ici, l’histoire de la Germanie », que « le moment crucial de notre histoire est venu » (NRF p.264,269) et, en 1941, qu’:« il est nécessaire qu’en cet instant du monde les Allemands sachent ce qui pourrait à l’avenir être exigé d’eux si l’esprit de leur patrie doit être un cœur sacré des peuples ». (Concepts fondamentaux, NRF p. 24).
Comment croire dans ces conditions que malgré leur apparence philosophique les écrits d’Heidegger nous parlent exclusivement de philosophie ? N’est-ce pas Heidegger lui-même qui a décrété la mort de la philosophie et qui a invité à substituer à la philosophie un nouveau commencement de la pensée ? (La fin de la philosophie, Questions IV NRF p.116, 139). N’est-ce pas lui encore qui a déclaré à Jean Beaufret aux entretiens de Cerisy en 1955 qu’ « il n’y a pas de philosophie de Heidegger, et même s’il devait y avoir quelque chose de tel, je ne m’intéresserais pas à cette philosophie » (Essais et conférences. Préface. NRF p. VIII). Confrontés à de telles positions nous devons nous poser la question : que faisons-nous quand nous lisons Heidegger ? Comprenons-nous sa conception de l’être ? Adhérons-nous à cette conception ou nous contentons-nous de survoler ses écrits en recueillant l’écume des mots qui retiennent notre attention et en nous désintéressant de tout le reste ? Mais ce reste qu’en faisons-nous ? N’existerait-il plus pour nous parce qu’il ne sollicite pas notre intérêt ? Ne devons-nous pas au contraire nous interroger pour savoir ce qu’il contient réellement ? Dès lors la question se pose de savoir si pour lire Heidegger il faut faire appel à un seul encodage ou à plusieurs.
L’encodage du langage courant se double chez lui d’un encodage étymologique facilement lisible par tous (« aletheia », « poiésis », « pur », etc.). Mais on ne peut pas s’arrêter là. L’encodage étymologique se double à son tour d’un encodage propre à Heidegger (« o logos » est « to pur », « art » égale « intensification de la volonté de puissance » ; « habitat poétique » égale « Reich germanique » ; « justice » égale acte de « construire, d’éliminer, d’anéantir » ; « genos » égale « souche » et non « genre » ; « poiésis » signifie « traitement médical », etc.…Je passe sur tous les néologismes inventés par Heidegger pour adapter l’écriture de son monde à son imaginaire. On est forcé de constater que ces encodages conceptuels surnuméraires par rapport à l’expression philosophique courante sont encore enveloppés par un encodage symbolique (la charge de bûches, l’habitat poétique, le poème, la Hütte, la coupe en argent, le Geviert, la cruche, les Holzwege, la caverne, le tablier, etc. La plupart de ces symboles sont empruntés à des domaines ésotériques connus mais leurs signifiés ont été modifiés, ce qui fait de la symbolique ésotérique d’Heidegger une symbolique totalement originale d’apparence trompeuse au contenu ultra secret. Un contenu dont « chacun est éloigné par une distance plus ou moins grande » « en fonction de son degré d’accès au secret » au sein de la « communauté ». (De l’essence de la liberté humaine, NRF p.270 ; Le Rhin p.261; etc.).
Mais Heidegger ne se contente pas de jouer avec une large palette d’encodages, il prend encore plaisir à utiliser un foisonnement de « perversions de sens » qui dénaturent les œuvres de tous les auteurs qu’il étudie. Aristote, Platon, Descartes, Kant, Schelling, Leibniz, Nietzsche, Hölderlin ont tous été mutilés pour devenir conformes aux exigences de la « visée » heideggérienne (ontico-ontologique) de la totalité. Cette désubstantialisation heideggérienne des auteurs de toutes les traditions (philosophique, poétique, mystique, artistique, ésotérique, etc.) est devenue tellement proverbiale qu’Heidegger lui-même y faisait référence dans ses cours mais sans changer un iota à ce qu’il disait et quelquefois en faisant preuve d’une arrogance hautaine difficile à supporter : « nous affichons la prétention d’être « plus philologique » que cette mouture irréfléchie de « philologie scientifique » (Concepts fondamentaux , NRF p.126). On sait ce qu’il est advenu d’Anaximandre dans les Concepts fondamentaux entre les mains d’Heidegger. Le professeur était trop obnubilé par la brillance de sa pensée qui devait « rester, disait-il, comme une étoile au ciel du monde » pour remettre en cause la validité de son regard abusivement qualifié par lui, à l’origine de sa pensée, de « phénoménologique ». Il eut été plus judicieux de dire « phénoméno-tragique » en se référant à son passage obligé par « l’être-en-faute » au sens que son ami le pangermaniste antisémite Max Scheler donnait à ce mot.
Quant à la suite d’une analyse assez longue on a repéré tous ces travers, qu’on les a identifiés, une question se pose à nouveau à nous: qu’y a-t-il réellement dans l’œuvre d’Heidegger? Quel message a-t-il voulu nous transmettre ? A qui s’est-il réellement adressé dans ses leçons, dans ses recueils et dans ses conférences ? Pourquoi a-t-il procédé à un ré encodage continuel des signes du langage ? Sommes-nous en présence d’un enrichissement de sens par rapport aux lectures philosophiques traditionnelles ? Ou avons-nous à faire à une production pathologique d’apparence savante dont les références culturelles masquent à la fois la physionomie et le contour ? Comment cette production s’insère-t-elle dans la production historique de l’époque ? En est-elle totalement séparée ? Se contente-t-elle de l’accompagner en la commentant comme l’œuvre de Hegel accompagna pour un temps la conquête de Napoléon ? Ou – et ce serait gravissime – trace-t-elle aux acteurs politiques les voies à suivre pout parvenir aux fins que nous savons et que je n’ose pas nommer ? Les philosophes français n’ont jamais voulu explorer cette voie ; à quelques rares exceptions près vilipendées aussitôt par des nuées d’acolytes du prétendu « grand homme ». Puisque de nombreux indices nous incitent à le faire nous allons prendre ce chemin oublié.
Pourquoi Heidegger se complaît-il tant à parler de la « libération des prisonniers de la caverne », à parler de « fournaise », de « bûcher », de « flamme », de « sacrifice », de « libation », d’ « offrande aux dieux » ? Pourquoi utilise-t-il de manière aussi ostentatoire la langue du « sacré » pour s’opposer au christianisme qu’il honnit ? Pourquoi se complaît-il à évoquer « les corps pleins de vie qui tombent en poussière », « la puissance du feu qui d’abord illumine et qui n’en finit pas de consumer jusqu’au blanchissement de la cendre » ? (Textes sur Abraham a Sancta Clara et sur Trakl postérieurs au génocide). Pourquoi, faisant référence au prédicateur antisémite Abraham a Sancta Clara dit-il que « la pensée est la pensée fidèle » treize ans après « Qu’appelle-t-on penser ? Toutes ces positions nous interpellent. Et si nous nous étions complètement trompés sur le compte de Heidegger ! Si, au lieu d’être le philosophe qu’il paraît être au premier abord, il n’était en réalité qu’un sophiste « pipeur de consciences » selon l’expression de Nietzsche, cherchant à établir, in fine, « sans tracasseries ni démêlés », son règne sur la Terre, comme le firent avant lui, Alexandre le Grand, Napoléon ou César, et ce, en se fondant sur une idéologie de renversement des valeurs, sur une impitoyable sélection des souches humaines, en privilégiant l’une d’entre elles, la prétendue souche germanique, au détriment de toutes les autres, sans avoir peur de recourir au génocide qu’il nomme « l’anéantissement » sans autre précision, afin de n’être pas pris en défaut!
La négation de l’universalité du genre humain au profit de cette prétendue « race-souche » est affirmée dans toute son œuvre depuis le cours sur Le Sophiste en 1924 jusqu’au cours sur la Métaphysique de Nietzsche en 1940 où elle trouve son apothéose, en passant par Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie en 1927, les cours de l’année 1933 et l’Introduction à la métaphysique en 1935 Pour dire qu’Heidegger n’est pas raciste, il ne faut jamais avoir lu ses textes. Naturellement, il l’est de manière plus subtile que Drumont ou que Darré. Il met en avant les rapports logiques des conditions nécessaire et suffisante, il avance avec des souliers vernis de rhétoricien et non avec de gros sabots de bateleur de foire. Mais le fait est là. Sa lecture raciste de Platon diffère certes, de celles de Günther et de Julius Stenzel mais les « souches de l’être », les cinq « gene » n’en servent pas moins de « paradigme » grâce au principe d’analogie, pour l’affirmation de la « division en souches du Dasein ». Il y a la « souche germanique », la « souche parente grecque » et « l’espèce dégénérée ». « Comparaison n’est pas raison » aurait dit Châtelet, mais qu’importe à Heidegger puisque son paradigme est pour lui vérité. Le « sang et le sol » sont bien, chez lui, des principes fondateurs et non une simple concession de circonstance au régime nazi. Jaspers qui ne pouvait le croire en 1933 à la lecture du Discours de rectorat, l’a appris à ses dépens, dans les années suivantes, mais trop tard.
Savons-nous par ailleurs comment Heidegger a cherché à vivre l’idéal de Nietzsche : « Dionysos contre le crucifié » qu’il présente comme la seule compréhension authentique de Nietzsche dans son cours sur les Concepts fondamentaux de la métaphysique ? Si, au lieu de nous égarer dans des considérations oiseuses sur le « Da » de « Dasein », nous suivions cette piste à laquelle Heidegger s’est constamment référé depuis 1929, - Nietzsche lui « était déjà salutaire depuis 1909 », dit-il dans son cours sur Nietzsche de 1937 - peut-être découvririons-nous un Heidegger très différent de celui que ses thuriféraires nous ont présenté. Heidegger, en 1961, a déclaré avoir adhéré à la cause de Nietzsche dans la Préface de l’édition de ses cours sur l’auteur d’Ecce homo. Pourquoi ne pas vouloir prêter attention à sa parole ? Aurions-nous la prétention de savoir mieux qu’Heidegger, sans l’avoir lu attentivement, ce qu’Heidegger a pensé, simplement parce qu’il ne fallait à aucun prix qu’il ait été nazi pour certains philosophes français, ceci afin de ne pas ternir son image de marque inventée de toute pièce au mépris de l’évidence? C’est grotesque. Un penseur qui considère la guerre comme le père de toute chose, qui déclare son existence nécessaire pour assurer la partition de l’humanité en dieux et en esclaves, qui affirme sans broncher que la conception du bien issue du christianisme et de l’humanisme est un mal, qu’il faut appeler Bien le Mal, qui déclare froidement que l’humanité doit être soumise « à cette race qui possède l’aptitude essentielle à assumer sa domination sur la Terre entière », en « traquant sans cesse » « l’ennemi intérieur, au besoin en l’inventant » (Métaphysique de Nietzsche (1940); l’essence de la vérité (1933)), est un penseur qui ne relève pas de la philosophie ou alors nous ne savons plus ce que parler veut dire. Les « philosophes » heideggériens français ont profité de la méconnaissance des textes de Heidegger qui était celle de leurs auditeurs ou de leurs lecteurs pour affirmer des contre-vérités absolument irrecevables. Peut-être ont-ils été eux-mêmes victimes de leurs lacunes et de leurs illusions.
Intermédiaire entre « le poète » qui l’inspire et « l’homme politique » qu’il dirige, le « philosophe » Heidegger – il se désigne lui-même ainsi en 1934 – trace les voies à suivre pour réaliser sa « phénoménologie de l’être » concrétisée en histoire et indique les étapes à franchir pour l’accomplir. Il s’agit de réaliser une « ré-volution » qui ne soit plus sujette à un retour en arrière et pour cela, Heidegger se devait d’éradiquer absolument « le Mal », - ce qui par lui était considéré comme tel, ce mal que Kant désignait par ces mots: « ces Palestiniens qui vivent parmi nous » - afin de laisser place nette à la seule édification du « Bien », entendons du Nouveau Bien, à savoir, l’ancien Mal. Aujourd’hui la radicalité de la décision énoncée en 1935 dans l’Introduction à la métaphysique, relue avec un recul historique de plus de soixante dix ans, fait frémir : « (…) nous affrontons » dit-il « la grande et longue tâche de dégager par déblaiement (« abzutragen ») l’origine d’un monde vieilli et d’en bâtir un vraiment neuf, c’est-à-dire situé dans l’histoire. (…) Seul le savoir le plus radicalement historial peut nous faire sentir le caractère insolite de nos tâches et nous éviter de voir survenir à nouveau une simple restauration et une imitation stérile ». (Introduction à la métaphysique NRF p.134 ; Einführung, Niemeyer, 1987, p.96, 3° §)
Quel était ce « monde vieilli » (« altgewordene Welt ») qu’il n’appréciait guère? De toute évidence, celui qu’avait construit Abraham par sa foi et par son exil, celui qu’avait consolidé Moïse par sa Loi, celui qu’avait parfait le Christ par l’Evangile et qu’avaient diffusé ses disciples sur toute la terre habitée, à savoir : non pas seulement un monde d’idées mais la population juive dans son ensemble. Dès 1924 Heidegger dans son cours de Marbourg sur Le Sophiste avait assimilé, de manière « euphémisée » certes, mais bien réelle, le Juif Husserl à un « sophiste » et les sophistes au « Néant ». La référence au Néant était patente dans la Leçon inaugurale en 1929 et elle sera beaucoup plus marquée encore dans la conférence sur Abraham a Sancta Clara en 1964, mais seuls pouvaient comprendre ses propos ceux qui savaient dans les années trente –quarante ce que visait Heidegger, c’est-à-dire le « groupe de choc » qui l’avait accompagné à Marbourg et « l’escorte » déjà très abondante de ses disciples armés , à savoir, des « prisonniers de la caverne » que sa parole avait déjà « libérés ». Soit, dans l’esprit de Heidegger, ceux qui n’étaient déjà plus des « hommes » assujettis à la Loi de Moïse, ni contaminés par l’influence nocive de la « souche dégénérée » (« nicht arisch ») mais des « surhommes », c’est-à-dire des « demi-dieux » (Le Rhin 1935)
Nous savons aujourd’hui que ces paroles, prononcées trois ans à peine après la prise de pouvoir, en 1935, n’étaient pas simplement des mots jetés en l’air mais des décisions politiques réelles qui allaient s’accomplir sans tarder, de manière irréversible et, - n’hésitons pas à le dire -, ouvertement diabolique. La planète entière allait savoir ce que signifiait pour Heidegger : « Le « Surhomme » est l’homme qui donne à l’Être un fondement nouveau – dans la rigueur du savoir et dans le grand style de la création ». (La volonté de puissance en tant qu’art, semestre d’hiver 1936-37, dernière parole du cours, Nietzsche I, NRF p.199). Trois ans plus tard, en 1940, il devait déclarer que « l’acte de créer » implique comme condition nécessaire « l’anéantissement ». « Construire ne va pas sans éliminer », dit-il. « Le penser constructif est à la fois éliminateur et anéantissant ». « Chaque construire (en tant que créer) implique le fait de détruire. » (…) « L’élimination qui distingue et préserve, est la suprême manière de conserver ». « L’anéantissement est la suprême manière de la contre-essence pour la conservation et l’intensification ». « Le fait d’anéantir assure le penser contre la pression de toutes les conditions de déclin ». « Justice » [signifie] « l’intention de conserver quelque chose qui est plus que telle ou telle personne » « La justice » est conçue « en tant que manière de penser constructive, éliminatrice, anéantissante » (La métaphysique de Nietzsche, (1940), Nietzsche II, NRF p. 257-260).
Ce qui avait été annoncé sous une forme encore euphémisée en 1935, mais qui, en fait était préparé depuis 1919, et avait commencé à se réaliser en 1933, allait trouver son accomplissement et, dans l’esprit de Heidegger, son plein achèvement, de 1942 à 1945 avec le génocide (Der Ister – Le Feu. Fin de parcours du fleuve nazi). Depuis la source (1919) le courant est maintenant arrivé à l’estuaire (1942). La mission aryenne du retour à la pure origine grecque est censée être terminée : « Ite missa est ». Pour l’anniversaire de sa mort Hölderlin doit trouver tout le travail réalisé, sa « prophétie » accomplie. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. L’alliance des communistes et des libéraux est venue brouiller les cartes. Il allait falloir recommencer en s’y prenant mieux. C’est ce qu’allait concrétiser la reprise des conférences et des publications destinées à la remobilisation du Dasein, reprise qui inaugure la deuxième vague de conditionnement à partir de 1949 (Regard sur ce qui est). Mais avant de nous intéresser à cette seconde vague continuons à nous intéresser aux effets de la première.
Que le « philosophe », depuis 1919, c’est-à-dire depuis qu’il a effectué la « mise en pratique de son regard phénoménologique » (Questions IV p.168) ait indiqué la voie à suivre et montré les étapes pour la réaliser, c’est ce que disent, chacun de son côté Heidegger et Hitler. Le premier dans les commentaires des Hymnes de Hölderlin et dans les « Chemins d’explication »(1937) notamment, le second dans de nombreux chapitres de Mein Kampf. On ne sera donc pas étonné que fondé sur cet accord et « assuré d’être obéi », comme il le dit dans ses cours sur Nietzsche (La volonté de puissance en tant qu’art, Nietzsche I, NRF p.59), Heidegger ait pu déclarer le 3 novembre 1933 que « Le Führer et lui seul est la vérité présente et future de l’Allemagne et sa loi. » Pourquoi « lui seul » ? Parce que de tous les « créateurs » et de tous les « gardiens » qu’il a formés, il est le seul qui lui obéisse au doigt et à l’œil du fait se sa confiance aveugle, de son absence totale de culture et de son fanatisme résolu. Heidegger aura maille à partir avec les autres « gardiens », - ce sera le deuxième « aiguillon » de sa vie après celui de la « foi des origines », mais avec Hitler, tout baigne dans l’huile. Avec lui il va pouvoir « poétiser » comme il l’entend car « commander » et « poétifier » sont désormais tout un. (Cf. La volonté de puissance en tant que connaissance, 1939, NRF p. 474). Les textes relatifs à la signification de l’acte de commander sont très nombreux chez Heidegger. Ils sont présentés essentiellement dans les cours sur Nietzsche, et les modes de commandement sont tellement bien explicités, chacun dans son essence propre, qu’on ne peut pas commettre d’erreur sur la nature de celui qui commande. (Nietzsche I, NRF pp.45, 59, 472-478,492-494 ; Chemins, NRF pp.192-193).
Quant à l’identification du philosophe qui a assuré le conditionnement d’Hitler, aucun doute n’est possible non plus compte tenu de tous les éléments que nous fournit Hitler sur la question. Cf. Mon combat, Nouvelles Editions Latines pp.109,168-176,209-222,293,330-368, 371-383, 450-477, 575-602). Il suffit de s’y reporter. Le nom d’Heidegger n’est jamais cité mais la « nouvelle conception du monde » de Heidegger est entièrement circonscrite et l’appel à la violence qu’elle implique, explicité. On ne peut cependant pas forcer à voir la réalité les porteurs d’encensoirs qui ne veulent pas voir. Il est sûrement plus enthousiasmant d’agiter l’encensoir pour faire de la fumée que de regarder la vérité en face. Quand on a compris la symbiose existant entre les deux partenaires associés on n’est plus étonné qu’en éditant en 1953 son cours de 1935 sur l’Introduction à la métaphysique Heidegger ait pu parler de la « vérité interne et de la grandeur du national socialisme » (mot à mot : « de ce mouvement ».NRF p.202) et qu’en faisant son cours sur les Questions fondamentales de la métaphysique durant le semestre d’hiver 1935-1936, pour illustrer la « mathesis », « l’acte d’apprendre », « dans son exercice même », Heidegger ait eu recours à des considérations sur le « maniement du fusil modèle 98 ». On voit tout de suite, n’est-ce pas, le lien nécessaire qui existe entre la vérité mathématique prise en elle-même et « l’usage des armes » tel qu’il est pratiqué par les nazis et par la Wehrmacht. (Qu’est-ce qu’une chose ? NRF p.83-85). Dans cette page qui est une véritable pièce d’anthologie du conditionnement nazi où Heidegger se transforme en maréchal des logis instructeur on reconnaît, hélas ! le même Heidegger qui le 25 novembre 1933 lors de la cérémonie d’immatriculation des étudiants avait fait office de sergent recruteur pour enrôler les étudiants dans les sections d’assaut : « l’étudiant allemand passe à présent par le service du travail ; il se tient aux côtés de la S.A. ; il est assidu aux sorties sur le terrain ». (Traduction adoucie de François Fédier, Ecrits politiques, NRF p.126). Heidegger exige, de plus, de chaque étudiant qu’il garde en mémoire pour le répéter « le sacrifice » d’ « Albert Léo Schlageter » (p.135). Si Boileau pouvait dire de Molière : « Dans ce sac ridicule où Scapin l’enveloppe Je ne reconnais pas l’auteur du Misanthrope », nous pouvons, à notre tour, dans un plagiat sans prétention, dire à propos d’Heidegger : « Dans ce cours affligeant d’un instructeur de guerre On voit l’effet pervers du génie de naguère. » « Les « mathémata » sont les choses, dit-il, dans la mesure où nous les prenons dans la connaissance ». (p.84). Nous sommes très heureux d’apprendre durant le semestre d’hiver 1935-1936, que ces « choses » sont les fusils des SS et ceux de l’Armée allemande, destinés à « libérer » artistiquement « la Terre pour qu’elle soit une terre ». Nous savons par ailleurs grâce au témoignage d’un professeur de médecine, rapporté par Hugo Ott, qu’Heidegger relevait en 1933 les rapports d’entraînement paramilitaire des étudiants, établis par l’ancien officier de carrière Georg Stieler, militant actif du Stahlhelm, en se rendant lui-même sur les lieux d’exercice, dans les glaisières du Schönberg, « comme si le recteur était le commandant en chef de ces associations ». (Hugo Ott, Martin Heidegger, Eléments pour une biographie, Payot, p.158).
Au vu de ces éléments bellicistes accablants qui structurent l’œuvre d’Heidegger et en constituent la charpente logique solidement ancrée dans Scharnhorst d’un côté, dans Clausewitz, de l’autre, (Cf. Le Discours de rectorat et le cours sur Schelling), il apparaît urgent de mettre en garde les lecteurs contre les tentatives laudatives des heideggériens français et autres qui s’emploient à faire accréditer la pureté d’intention de ce psychopathe aux visées impérialistes qui n’a jamais eu un mot de compassion pour toutes les victimes de ses conquêtes guerrières et, plus grave encore, pour celles de ses « extractions forestières ». En lisant le texte de 1937 sur l’appel des Français à la collaboration, les textes sur la métaphysique de Nietzsche et sur la justice de 1939 et de 1940 appelant à l’anéantissement peut-on encore en rester vis à vis de son action réelle à la seule attitude du soupçon ? Comment Heidegger s’il n’avait été très haut placé dans la hiérarchie nazie aurait-il pu annoncer en 1941 des « décisions immanentes » dans sa leçon sur les Concepts fondamentaux juste avant la conférence de Wannsee ? Pourquoi la profession de l’ordre hölderlinien de mise à feu répond-il, au printemps de l’année 1942, à la décision responsable d’effectuer des tâches insolites prise l’année précédente dans la leçon sur les Concepts fondamentaux, au cas où l’Allemagne serait « appelée à devenir un cœur sacré des peuples » ? Ces tâches insolites avaient été annoncées dans la leçon sur l’Introduction à la métaphysique en 1935. On comprend mieux maintenant pourquoi la leçon de 1941 a pu être intitulée : Concepts fondamentaux. Quelle place devait occuper Heidegger dans l’Allemagne nazie pour être au courant de ce grand secret et pour se permettre de donner l’ordre suprême de mise à feu en langage codé, à peine voilé ? La réponse s’impose d’elle-même.
En lisant les cours et les conférences des années 1940, 41, 42, 43, nous ne pouvons pas rester indifférents à ce que nous lisons. L’« anéantissement » est exigé pour « prévenir tout risque de déclin ». La révolution allemande heideggérienne ne doit pas se solder par une plate imitation des Grecs ou par les « basses eaux » d’un « vulgaire humanisme ». Heidegger voit plus grand. Dans son hymne « à la flamme et au feu » du solstice d’été 1933, il demandait à « l’ardeur de la flamme de faire savoir que la révolution allemande n’était pas endormie, et d’illuminer le chemin sur lequel il n’y a plus de retour ». (Discours politiques, traduction François Fédier, NRF p.117). « Plus de retour » ! Après la découverte par les Alliés de tous les charniers et de tous les camps d’extermination nazis ces paroles ne font pas seulement froid dans le dos. Elles glacent d’horreur ! Comment peut-on encore appeler philosophe quelqu’un qui a la monstruosité de penser une telle barbarie ? Disons-le encore plus clairement, d’instaurer sur Terre la puissance d’un enfer de flammes et de meurtres auprès duquel les turpitudes de Sade et les fureurs imaginaires de Dante ne sont que « des jeux d’enfants » littéraires. Un enfer politique de torture, de terreur et de meurtre pour mener à bien une domination impérialiste sans précédent visant non seulement la conquête de la Terre mais également la transformation de l’homme en profondeur au point de faire de tous les êtres humains des monstres sanguinaires sans frein dénués de tout scrupule et de toute autonomie spirituelle.
Dans le cours sur l’Essence de la vérité en 1933, il proclamait à nouveau la nécessité de la guerre comme il l’avait fait dans sa thèse sur Être et temps en 1927, mais cette fois il s’aventurait plus loin encore, il l’accompagnait d’une « chasse à l’ennemi intérieur » fût-il « enté sur les racines du Dasein germanique », visant par là les mariages mixtes, notamment celui de Jaspers dont l’épouse juive l’avait si gentiment hébergé pendant des années, et celui de Misch avec la fille de Dilthey – mariage que Dilthey , très apprécié d’Heidegger, ne voyait pas d’un bon œil. Comment peut-on encore considérer ses paroles comme anodines l’année même où il proclame que l’antisémite forcené Hitler est « la vérité présente et future de l’Allemagne et sa loi » ? Pourquoi, si les intentions de ce penseur avaient été pures, l’une des conférences qu’il fit en Italie en 1936, quelques mois à peine après la promulgation des lois de Nuremberg, aurait-elle été interdite aux Juifs ? Venait-il apporter à l’Italie le levain nazi de l’antisémitisme alors que ce pays en était exempt et n’avait nulle envie de le connaître ? Pourquoi, s’il avait été comme on a voulu le faire croire persécuté par les nazis pour ses idées aurait-il eu le droit de donner deux conférences en 1936, à Rome, l’une sur l’Essence de la poésie, quand on sait que la « poésie » sous sa plume désigne depuis 1924 le « traitement médical » du peuple allemand, l’autre sur l’Université allemande et l’Europe quand on sait quelle mission il a imposée à l’université allemande en tant que fer de lance du « Sturm » nazi ? Le Sénat universitaire de Fribourg ne lui a jamais pardonné d’avoir attelé l’Université au service du travail et au service des armes afin de réaliser son ambition démesurée de « Grandeur » antisémite pangermanique.
Heidegger a eu beau user d’euphémismes pour faire croire que son adhésion au nazisme avait été l’effet d’une illusion passagère, il faut bien un jour ou l’autre donner aux mots leur sens réel et les ajuster aux visées affichées, celles du « salut », de « l’épuration », de la « domination raciale », de la « grandeur planétaire » et du « bûcher ». Pourquoi le « salut » heideggérien doit-il passer obligatoirement par l’usage du feu pour mettre un terme au prétendu « déracinement de l’Occident » ? Quand on lit Heidegger après avoir relu le Nouveau Testament on est conduit à se demander si Heidegger ne s’est pas attribué le rôle de la Providence tel qu’il est annoncé à la fin des temps, rôle qui consiste à « lier en bottes la mauvaise herbe et à la jeter au four » ? Les wagons à bestiaux conduisant sans égards les familles juives, tchèques, russes, tziganes, et autres aux chambres à gaz et à « l’anus mundi », ne peuvent-ils pas être assimilés à ces liaisons en bottes ? Heidegger rejetant totalement le christianisme mais s’attribuant les fonctions d’épuration dévolues à Yaweh se serait-il pris pour le Dieu Dionysos, (nom que Nietzsche avait donné à l’Anti-Christ, ne sachant comment le nommer), engendrant une nouvelle guerre et usant de son van – attribut traditionnel de Dionysos - afin de réaliser sa « mission salvatrice » consistant, pour lui , à libérer définitivement les prisonniers de la caverne ? C’est-à-dire l’Europe entière de la présence des juifs et du christianisme. Hitler, dans ce cas, n’aurait été que « l’homme politique » fantoche mettant en œuvre les visées du « grand homme » - terme par lequel il se plaisait à désigner dans Mein Kampf, le « grand philosophe » créateur d’une « nouvelle vision du monde» qui était plus, disait-il, que le programme d’un parti politique. Quand on met en parallèle les écrits d’Hitler et ceux de Heidegger, on est frappé par l’identité de vues qui est exprimée derrière des vocabulaires différents, certes, mais aboutissant au bout du compte, au même résultat. Hitler nous dit dans Mein Kampf qu’un livre destiné aux foules ne doit pas être écrit de la même façon qu’un livre destiné à un public cultivé. Il est facile de voir que la division des tâches a été correctement exécutée.
L’ « homme politique » et le « penseur » qui dit avoir « forgé ses gonds en partant des énigmes de l’existence » (Chemin de campagne), s’harmonisent parfaitement comme une porte tournant sur ses gonds s’encastre dans son huisserie, ici, son cadre conceptuel. Le combat d’Hitler apparaît comme la réalisation de la « guerre » et de l’ « anéantissement » voulus par Heidegger pour imposer au monde sa conception de l’être. Voulus, mais révélés seulement de manière de plus en plus précise au fur et à mesure que le nécessitaient l’action et l’adaptation de la visée aux circonstances. Aujourd’hui que l’édition des œuvres assemblées par ses soins est pratiquement terminée aucun doute n’est plus possible sur les fins poursuivies par Heidegger. Il a déployé toute son énergie, durant toute sa vie, pour réaliser la « gigantomachie » qui devait aboutir à la « parousie » de sa « divinité » au sommet de sa « domination planétaire » effectuée par sa race « élue », celle qu’il a nommée le « Dasein germanique ». L’Introduction à la métaphysique et la Métaphysique de Nietzsche (1935-1940) se complètent on ne peut mieux sur ce point. Le slogan unitaire : « Ein Reich, ein Volk, ein Führer » n’était pas celui d’Hitler dont la fonction se limitait à celle d’un démiurge réalisant les plans de l’architecte placé au-dessus de lui, mais celui du « Grand architecte » « dictateur » dont Hitler avait révélé l’existence à la Deutsche Zeitung et aux auditeurs de ses discours au début des années vingt, sans dire son nom. Secret oblige, surtout à cette époque-là, en mai 1921 et en mai 1923 (Cf. Kershaw, Hitler, p. 260 et 281).
Il s’agissait pour ce penseur fou, pour ce pseudo philosophe « architecte » au sens pharaonique et platonicien du terme de subsumer la totalité dans l’Unité, non plus seulement de manière théorique comme avait tenté de le faire Spinoza mais de manière concrète, historique, « ontique » à la manière de Stirner mais sans la franchise abrupte de Stirner. On a beau lire et relire les textes d’Heidegger en pensant qu’on a pu se tromper pour chercher à n’y voir qu’une lutte théorique menée sur le seul plan des idées, les faits résistent à cette interprétation. Les mots et les symboles visant l’ « onticité » sont incontournables et ce, depuis 1927. « L’ouverture en projet de l’être se transforme elle-même nécessairement en projet ontique », écrit-il en 1927 dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie (NRF p.387).Tous ceux qui refusent de voir le « projet ontique » de Heidegger réaffirmé en 1929 dans le cours sur Les concepts fondamentaux de la métaphysique (NRF Chapitre VI, Exposé thématique du problème du monde), ne parlent donc pas de Heidegger mais d’une espèce d’ectoplasme auquel ils ont donné ce nom. Il faut être vraiment aveugle et sourd pour ne pas entendre ce que nous dit Heidegger. Ainsi dans la même leçon de 1927, il écrit, page 334: « Le comprendre à titre de projet de soi, est le mode d’être fondamental de l’advenir historial (das Geschehen) du Dasein. Il constitue aussi, peut-on dire, le sens véritable de l’agir. Le comprendre caractérise l’advenir historial du Dasein : son historicité (Geschichlichkeit). Le comprendre n’est pas une espèce du connaître, mais la détermination du fond de l’exister. Nous parlons aussi de compréhension existentielle dans la mesure où l’existence, comme advenir du Dasein en son histoire, se temporalise à travers sa compréhension. C’est dans et par ce comprendre que le Dasein devient ce qu’il est, et il n’est à chaque fois que tel qu’il se choisit, c’est-à-dire tel qu’il se comprend soi-même dans le projet de son pouvoir-être le plus propre. »
Heidegger disait déjà en 1916, - il le répètera en 1927 dans Être et temps - qu’une philosophie qui ne s’incarne pas dans la chair de l’histoire est une « survivance métaphysique ». On a beau vouloir fermer les yeux sur le commentaire de Trakl paru en 1953 où il fait l’éloge du feu qui d’abord « illumine l’esprit » par intuition puis « n’en finit pas de consumer jusqu’au blanchissement de la cendre », cette phrase, vingt ans après l’hymne au feu du solstice d’été 1933, nous saute au visage comme une morsure de cobra. Il s’agit de la conception alchimique de l’ouroboros des « philosophes du feu » expérimentée grandeur nature non plus dans l’espace confiné d’un laboratoire mais dans l’espace historique de l’humanité planétaire où elle fait des ravages sans nombre. On a beau vouloir fermer les yeux sur son appel à la fidélité de la vocation énoncé en 1910 et réitéré à l’âge de 75 ans dans sa conférence de Messkirch sur Abraham a Sancta Clara, les faits historiques n’en demeurent pas moins là. On ne peut s’empêcher de constater que les pages qu’il a choisis avec soin dans les écrits d’Abraham a Sancta Clara lui permettent de se délecter de la vision mentale des « corps pleins de vie qui tombent en poussière et de poussière tombent au néant » ; morceaux choisis assortis en prime, pour que nous comprenions mieux l’allusion, d’une référence à Sachsenhausen, localité considérée ici - pudeur oblige- non comme le camp d’extermination de Sachsenhausen auquel on ne peut s’empêcher de penser en entendant ce nom, mais comme la proche banlieue de Francfort. Quand on veut s’exprimer à travers les paroles d’Abraham a Sancta Clara on ne peut guère faire mieux, il faut prendre ce qu’il a dit et inviter le lecteur qui le souhaite à faire les ajustements nécessaires. A trois siècles de distance un même énoncé sans rien changer à ce qui a été dit précédemment résonne d’un sens totalement différent. Heidegger était très friand de ce genre d’emprunts anachroniques dont la subtilité sémantique avait également été remarquée par Guillaume de Humboldt. « Sans changer la parole, disait le linguiste, le temps introduit en elle ce qu’autrefois elle ne possédait pas. Alors dans la même demeure un autre sens est placé, sous le même sceau quelque chose de différent est donné, en suivant les mêmes lois de liaison s’annonce un cours des idées autrement échelonné. Voilà ce qui est le fruit constant de la littérature d’un peuple, mais en cette dernière par excellence de la poésie et de la philosophie ». (Acheminement, Le chemin vers la parole NRF p.257). Quand on a compris la méthode d’expression utilisée par Heidegger l’allusion est évidente. Farias n’avait aucune raison de se rétracter dans le commentaire qu’il fit du texte d’Heidegger. C’étaient ses critiques qui, dans leur malveillance prétentieuse, étaient, sur ce point précis, tout simplement des ignorants.
Et que dire des allusions à « l’étranger qui va devançant », à « la race qui va se défaisant », « au chemin où s’est engagé l’Etranger qui écarte de la race dégénérée », etc., expressions mises en avant dans le commentaire de Trakl, en 1953, qui sont toutes un rappel de l’action passée destinée à ranimer la flamme de ceux qui ont participé à l’« Einsatz », du temps que le « pâtre tranquille» écoute « le doux hymne du frère contre la colline du soir ».
A partir d’un certain nombre de considérations de ce genre qui vont de l’énoncé du projet de « gigantomachie » à la délectation de l’acte et du résultat de l’extermination, le regard du lecteur finit par basculer. Le penseur qu’on avait bien voulu prendre avec une candeur ingénue pour un grand philosophe éclairé, apparaît au contraire, comme le chef d’orchestre rusé, à demi-dissimulé et pervers de la plus grande abomination de tous les temps.
On n’est plus étonné, dès lors, qu’il ait pu porter pendant de longues années, l’insigne nazi à la boutonnière et qu’il n’ait pas eu la délicatesse de l’ôter, en 1936, à Rome lors de sa rencontre avec son étudiant juif Löwith. Comment s’étonner qu’il soit venu faire une conférence sur Hölderlin et l’essence de la poésie, qui n’a de littéraire que l’apparence, dès lors que l’on sait qu’il considérait, déjà en 1934, la poésie d’Hölderlin comme la plus haute leçon de science politique. (Le Rhin, NRF p.198). Comment s’étonner qu’il ait voulu qu’Hölderlin par sa parole commande lui-même en 1942 l’embrasement des bûchers afin de le faire participer à ce qu’il avait, selon Heidegger, prophétiquement conçu ? Tel est le sens, semble-t-il, qu’il faut donner à la « puissance » qu’Heidegger attribue à Hölderlin lorsque dit qu’ « Hölderlin n’est pas encore puissance dans l’histoire de notre peuple. Il faut qu’il le devienne. Y contribuer est de la politique au sens le plus haut et le plus propre ». Faire donner des ordres par Hölderlin, c’est effectivement faire participer Hölderlin à la puissance politique. En lui faisant donner l’ordre d’embrasement Heidegger lui fait réaliser la puissance politique au plus haut sommet. Mais qu’est devenu Hölderlin entre les mains d’Heidegger ? Une marionnette. Rien de plus. En donnant l’illusion de laisser parler Hölderlin, Heidegger devenu marionnettiste à la manière de Kleist ne fait rien d’autre qu’une prestation de ventriloquie. On cherche en vain derrière cette pantomime l’exercice de la philosophie. Qu’il ait trouvé un être inculte comme Hitler pour croire à sa parole, on peut encore le comprendre, mais que tout un peuple dans ses sphères les plus cultivées l’ait suivi dans cette voie criminelle, voilà qui passe l’entendement. Bon nombre d’Allemands se considéraient-ils dans leur for intérieur comme les « prisonniers de la caverne » qu’Heidegger venait « libérer » ? Ou, après les arrestations et les emprisonnements massifs ont-ils été piégés par les modalités de la politique dictatoriale mise en place par l’Apostat et ses exécutants devenus les « travailleurs » et les « soldats » de son nouvel empire ? Cet empire qui était censé clore le « cycle de la métaphysique » par la réalisation du « Surhomme », lequel devait ouvrir la voie à la « Grandeur » inévitable « de la Germanie » sur le chemin cyclique de « l’Eternel Retour du Même ».
En voyant Heidegger mettre la vie des hommes, des femmes et des enfants en jeu pour satisfaire une foi aussi puérile et aussi peu étayée rationnellement, on ne peut qu’être effaré. Comment est-il possible qu’un être aussi cultivé ayant reçu une solide formation chrétienne ait pu en arriver là ? Comment a-t-il pu devenir un tyran aussi criminel, pire encore qu’Attila, en se faisant renégat de la foi de l’origine ? Aurait-il vécu trop près du christianisme comme le dit Nietzsche ? Mais qu’est-ce que vivre trop près du christianisme ? N’aurait-il pas plutôt vécu trop près d’un système institutionnel répressif qui n’aurait rien à voir avec le christianisme ? Système répressif et humiliant qui aurait créé chez lui une réaction antithétique encore plus oppressive. On ne peut guère s’expliquer un tel comportement que par les effets conjugués d’une surestimation de soi, d’une immense humiliation et d’une très grande frustration devenues indélébiles. Il semble que ce soit le retentissement de l’empreinte initiale sans cesse amplifiée qui l’ait conduit à cultiver cette « haine » prétendument « clairvoyante » dont il nous entretient dans le premier cours sur Nietzsche (NRF p.51), une haine jouxtant l’absoluité et ne laissant plus aucune place à l’amour du prochain, la haine-vengeance d’un amour contrarié et sublimé ne laissant à l’amour humain d’autre forme d’expression possible que l’amour de la patrie, le sacrifice de soi que l’on doit faire à la « mère patrie » (en allemand, « Vaterland » ou « Heimat »), afin de réaliser sa Grandeur dans l’Histoire. On est cependant en droit de se demander si cet appétit de « Grandeur » ne serait pas plutôt l’expression de la paranoïa du dictateur qui dirige cette ascension historique. La réalisation de cette dernière, en effet, n’est désormais possible, du fait de l’inversion des valeurs, que par le recours à l’assaut (« Sturm ») et donc aux méfaits produits par les sections d’assaut, les SS et la Wehrmacht, elle-même commandée par le chef suprême des autorités nationales socialistes, lui-même dirigé par le dictateur « sûr d’être obéi »faisant office de Providence.
Que proclamait Heidegger dans son discours de rectorat en 1933, « Alles Grosse steht im Sturm ».Et il ajoutait : « Nous voulons que notre peuple remplisse sa mission historique ». Quand on sait que cette mission consistait à exterminer le peuple Juif qui le gênait pour construire son « monde » on a vite compris quel est le sens de l’œuvre de Heidegger. Les Juifs d’Europe, les peuples d’Europe et la planète entière ont vite compris en treize ans à peine ce que signifiaient le « Sturm » et la « mission » heideggériens. Il ne faudrait surtout pas que nous l’oubliions aujourd’hui. Or il semble que ce soit, hélas ! ce que s’empressent de faire tous ceux qui encensent Heidegger sans comprendre réellement ce qu’ils font, pour certains, en ne le sachant que trop, pour d’autres. On se prend à redouter ce qui pourrait se produire demain si Heidegger redevenant le maître à penser d’une génération cherchant à nouveau le « salut de l’Occident » comme il le fut dans les années trente et quarante. On verrait alors la poésie chausser des bottes cirées et envahir les rues de ses bataillons de chemises brunes. Faute de rimes, on verrait resurgir des crimes, les corvées de bûches, la préparation zélée des bûchers et la remise en fonctionnement des fours de boulangers transformés en fours crématoires. Si c’est cela que certains veulent en encensant Heidegger, ils sont en bonne voie. Mais si ce n’est pas cela que nous voulons, alors il faut montrer dès maintenant aux jeunes générations où conduit l’heideggerianisme qu’on leur demande de vénérer et pourquoi il faut se méfier de ce faux philosophe, de ce faux ami et de ses affidés, qu’ils soient totalement incultes ou profondément cultivés, car, sur le plan de la frustration et de la surestimation de soi les extrêmes se rejoignent comme l’histoire du nazisme l’a amplement prouvé.
En commençant cette réflexion sur l’œuvre de Heidegger nous avons posé la question : quel est le sens de cette œuvre ? Aujourd’hui nous pouvons le savoir pour peu que nous voulions nous donner la peine d’analyser le ciment avec lequel il a construit sa cathédrale de haine et d’extermination. Si nous ne mettons pas en garde les générations à venir contre les dangers contenus dans sa « bible gnostique », dite de « dernière main », nous contribuons volontairement ou involontairement à la mise en place de la tyrannie politique des idées de ce penseur fou. Si nous voulons que demain le nazisme se répète il suffit de recommencer à diffuser son conditionnement. Celui qui, en 1937, dans son appel des Français à la collaboration prétendait « sauver l’Occident » en guidant la « volonté de rénovation de fond en comble» par le recours à des « décisions radicales », au sein du mouvement nazi, et qui « mesurait la singularité de l’instant historial », écrivait, aux côtés du maire national socialiste de Fribourg, Kerber et d’Alphonse de Châteaubriant, l’auteur de La gerbe des forces, dans le premier annuaire de la ville : « Si une authentique compréhension des positions philosophiques fondamentales réussit, si la force et la volonté d’y parvenir s’éveillent dans les deux pays, alors le savoir s’élèvera à une hauteur et à une clarté nouvelles. Ce qui se prépare, c’est une transformation des peuples, bien qu’elle soit au départ et souvent ensuite, longtemps invisible ». (Wege zur Aussprache, traduit par Chemins d’explication par Jean Marie Vaysse et Luc Wagner, Heidegger, Cahier de l’Herne, livre de poche 1983, p.76).
On a vu, en huit ans, de 1937 à 1945 en quoi consistait cette « rénovation de l’Occident de fond en comble » « anticipée et régie » par le « philosophe » et en quoi consistaient ces « décisions radicales ». Heidegger n’était pour rien dans cette barbarie osera-t-on dire ? Ecoutons plutôt ce qu’il dit en 1937 : « la méditation philosophique ouvre de nouvelles voies et fixe des critères nouveaux à tout comportement et à toute décision. De cette manière, la philosophie, dans sa fonction anticipatrice(…) régit la tenue et l’avancée de l’être-là historial de l’homme » (Heidegger, Cahier de l’Herne (poche), p.74). Qui a donc conduit l’histoire du troisième Reich ? Au vu de ces déclarations, une seule réponse s’impose aujourd’hui à nous: Martin Heidegger assisté de son complice Hitler, l’architecte servi par son démiurge. C’est-à-dire celui qui se prenait pour le « dernier dieu », « le dieu à venir » accompagné de son collaborateur zélé devenu chancelier. En 1932, le photographe John Heartfield sur la couverture du numéro 42 de l’Arbeiter Illustrierte Zeitung (AIZ) a montré d’où venait l’argent nécessaire à la réalisation de ce prétendu « salut de l’Occident ». Le nerf de la guerre étant fourni par le patronat l’opération Heidegger pouvait commencer et la collaboration être sollicitée. Alphonse de Châteaubriant créa son journal collaborationniste catholico-raciste en Juillet 1940. Il avait pour nom : « La gerbe ». Il disparut en août 1944. A partir de cette date les ennuis commencèrent pour Heidegger. Sa « mission » « hellénico-germanique » était arrivée à son terme. L’ontocratie heideggérienne avait échoué. Le Dionysos germanique devait rendre des comptes. Il ne les a pas rendus.
24/02/2010
Europe impuissante
Bertrand Badie : "L'Europe n'est plus crédible sur le plan international"
LEMONDE.FR | 24.02.10 | 17h27 • Mis à jour le 24.02.10 | 17h29
uze : L'Europe n'est-elle pas en train de se détricoter tranquillement ? Un traité adopté au rabais, une zone euro en difficulté, un prestige international en berne (Obama ayant renoncé à participer au sommet UE-Etats-Unis) et des opinions de plus en plus réticentes à l'égard de l'UE ?
Bertrand Badie : Il y a effectivement une conjonction de facteurs qui font entrer l'Europe dans une crise d'une gravité exceptionnelle. Les raisons de cet état de fait correspondent pour beaucoup à ce que vous venez d'en dire. Mais je distinguerai pour ma part trois plans sur lesquels il convient de réfléchir.
D'abord, celui de la "post-bipolarité" : on n'a probablement pas su tirer les bonnes leçons de l'effondrement du "mur" ; on s'est précipité vers un élargissement de l'Union presque automatique aux anciennes démocraties populaires et on s'est inscrit dans une logique de simultanéité avec l'agrandissement de l'OTAN. La nouvelle Europe à 27 s'est donc révélée trop diversifiée, trop hétérogène pour soutenir une politique étrangère commune et pour entreprendre une adaptation efficace à l'économie mondiale et à ses crises. Il a fallu en quelque sorte, dans cette précipitation, revenir à la case départ et reprendre ainsi au tout début les logiques d'intégration.
A cela s'ajoute un échec grave dans la traduction institutionnelle de la construction européenne. Le traité de Lisbonne a effectivement été une double catastrophe : d'abord parce qu'il a manqué le grand rendez-vous avec les opinions publiques européennes, qui auraient dû conforter l'idée d'une citoyenneté nouvelle ; ensuite parce qu'il a donné naissance à une confusion dans le leadership institutionnel de l'Union, qui a aggravé l'illisibilité internationale de celle-ci.
Enfin, troisième plan, l'Europe a dû faire face au plus mauvais moment à une crise financière puis économique mondiale à laquelle elle n'a pas su réagir, faisant hélas trop vite la preuve de son inefficacité. Du coup, face aux tensions qui apparurent dans l'économie mondiale dès l'été 2008, l'Europe est devenue paradoxalement une machine à recomposer les nationalismes et même à réactiver la concurrence entre les Etats-nations.
En résumé, peut-être vivons-nous cette période malheureuse durant laquelle les espoirs nourris par l'invention de la construction régionale se transforment en déconvenues, débordant même le cadre de la seule Europe pour atteindre la plupart des institutions régionales du monde. Il s'agit bien des limites mêmes de l'idée d'intégration qu'on n'a pas su penser jusqu'au bout de sa logique post-souverainiste. On en paie le prix.
Europa : Comment expliquez-vous ce déclin de l'Europe alors que tous les partenaires affirment que les Européens incarnent une vision de la paix et une pratique du multilatéralisme en adéquation avec leurs conceptions ?
Bertrand Badie : D'abord, comme vous le suggérez, l'Europe n'a pas su tirer parti de cette vocation particulière qui lui revenait. Elle aurait dû aller jusqu'au bout du raisonnement qui l'engageait à dépasser la puissance.
Sur le terrain de celle-ci, le Vieux Continent a fait la preuve qu'il n'était plus compétitif. Battu, fragmenté, usé par ses expériences guerrières, il devait logiquement, dans cette mondialisation naissante, incarner les chances du dépassement de la puissance.
Les atouts étaient considérables, à travers notamment la formule qui faisait de l'Etat de droit, de la démocratie, des droits de l'homme le dénominateur commun fondateur de la nouvelle Union. Celle-ci devenait en soi un modèle pour le monde : on a un temps cherché d'en tirer les dividendes en présentant l'Europe comme un modèle qui se devait d'être attractif, exemplaire, capable de diffuser son influence de par le monde.
En 1990, cette vocation disposait d'un maximum de ressources qui devaient la rendre performante : il n'y avait plus de menace militaire face aux sociétés européennes, il n'y avait plus de compétition de puissances, l'Europe n'était plus l'otage du conflit Est-Ouest.
Au lieu de miser sur cette émancipation des logiques de puissance, la plupart des dirigeants européens ont choisi de restaurer une bastille occidentale, de se réclamer d'un ensemble qui inévitablement venait s'opposer à d'autres, proches ou lointains. Pire encore, elle recouvrait cette revendication nouvelle d'une structure militaire unifiée à travers une OTAN ressuscitée qui la liait à un allié américain qui s'apprêtait à entrer dans l'ère néoconservatrice.
Il est fort probable que l'Europe y a perdu et sa capacité d'influence et son pouvoir de médiation, comme on le voit notamment dans les conflits qui ensanglantent le Proche-Orient, comme dans les grandes négociations qui placent le conflit Nord-Sud au centre de la problématique internationale.
Joselmann : La puissance est la condition du succès, on ne se bat pas qu'avec des idées. Ce qui est vrai pour un individu l'est aussi pour les Etats...
Bertrand Badie : Tout dépend d'abord de la définition qu'on donne de la puissance. Si l'on reste dans son appréhension classique, en termes de contraintes et de force, on s'aperçoit à quel point la puissance est décalée par rapport aux réalités de la mondialisation.
Celle-ci offre une place de choix à ceux qui disposent d'une CAPACITE qui justement ne relève plus de la seule contrainte. Je pense aux domaines économique, commercial, mais aussi culturel et, dans cette ambiance de juridicisation montante, au droit. On sait que dans tous ces domaines l'Europe dispose d'atouts qui surclassent même la capacité des Etats-Unis et qui peuvent faire au moins jeu égal avec l'Asie.
La puissance classique, qui ne peut être alors que militaire, conduit de plus en plus à des contre-performances que l'Europe a commencé à percevoir avec la décolonisation et dans lesquelles les Etats-Unis s'embourbent, eux qui ne parviennent plus à gagner aucune guerre.
Poupoulman : Le dépassement de la puissance que vous mentionnez est-il possible dans le cadre de relations internationales marquées par les menaces et tensions "primitives" et conventionnelles (guerre, terrorisme, tensions monétaires et commerciales) ? Autrement dit, la forme de l'"Europe" ne doit-elle pas être dictée par l'environnement international et la poursuite de ses intérêts, selon les moyens traditionnels de la puissance et de la realpolitik ? Pourquoi ré-inventer ou dépasser la "puissance" ?
Bertrand Badie: Parce que, précisément, la notion de menace doit être repensée : vous ne pouvez pas mettre dans le même sac, comme vous le faites, les guerres conventionnelles, les tensions économiques et le "terrorisme", ce gigantesque fourre-tout dans lequel on mêle des formes extrêmement diversifiées de violences qui vont de l'acte individuel jusqu'à des expressions très sophistiquées de violence sociale. En réalité, derrière tout cela, et pour vous répondre très directement, il faut prendre la mesure de ce changement profond au sein de l'espace mondial, qui nous fait passer de la compétition politico-militaire à un jeu "intersocial" dans lequel les sociétés ont de plus en plus un rôle majeur.
Celui-ci ne se gère pas à coups de tanks ou de drones.
007 : Quelle alternative à l'Union européenne ? Le retour des nations ? impossible ! L'Europe fédérale ? indésirable par les Etats ! Quelle est la solution ?
Bertrand Badie : Vous posez bien le problème, soulignant l'absence d'alternative au processus d'intégration régionale. Encore faut-il maintenant avoir le courage de comprendre ce que "intégration" veut dire. C'est probablement à ce niveau que le bât blesse. On a fait comme si l'Union était un objet non identifié qu'on pouvait continuer à institutionnaliser tout en ignorant ce qui en faisait le principe.
Retourner aux logiques souveraines ou atteindre le gouvernement unifié du monde, voire d'une de ses régions, sont des objectifs effectivement absurdes. Mais vouloir maintenant compléter l'Europe en bricolant des institutions de manière à les rendre sans cesse plus compliquées, en ajoutant à chaque réforme une couche sédimentaire qui n'abolit pas la précédente, conduit dans le mur.
La réalité est que, internationalement, l'Europe n'est plus crédible parce qu'elle n'est ni lisible ni véritablement prompte à l'intégration, la crispation nationaliste passant du rôle de contestation à celui d'instrument gouvernemental.
En bref, l'heure est venue de simplifier nos institutions et de penser des politiques publiques qui, au lieu de couper de petits cheveux en quatre, replacent un "intérêt" européen au centre de la problématique mondiale.
Mais pour faire cela, il faut l'accord des populations, il faut faire en sorte que l'Europe ne soit plus le bouc émissaire de toutes leurs frustrations. Il faut donc réconcilier, comme je l'ai dit plus haut, les opinions avec les institutions européennes, mettre un terme à ce jeu qui réserve l'Europe aux technocrates et aux hommes politiques, construire un vrai sentiment d'allégeance européenne.
Décidément, on paie très cher le défaut de démocratie et les manoeuvres de contournement, de référendums perdus parce que mal préparés et mal présentés.
Pit : Une Europe qui compte dans le monde, c'est une Europe unie... faut-il donc que le modèle anglo-saxon (je le crains) ou le français l'emporte définitivement sur l'autre pour "exister" à l'échelle internationale, ou une Europe respectant toutes les diversités est-elle possible ?
Bertrand Badie : Vous mettez le doigt sur l'une des faiblesses majeures de l'Union. Derrière la volonté d'intégration, on n'a jamais vraiment réfléchi à la compétition des modèles. Le Vieux Continent est dominé par une pluralité de représentations du monde, celles-ci trouvant elles-mêmes leur dynamique souvent hors des frontières de l'Europe.
On ne peut pas en même temps espérer une Europe unie et flatter la domination de "l'anglosphère" sur l'espace mondial. Cet hiatus a des effets directs sur la construction européenne, à travers notamment la manière dont se trouvent trop brutalement et trop rapidement bannie la tradition des services publics et flatté un néolibéralisme agressif qui pourtant a fait la preuve de ses limites. L'effondrement des social-démocraties européennes va dans ce sens. La militarisation atlantique puis occidentale de l'Europe s'inscrit dans la même dynamique.
Bref, l'Europe a fait dangereusement l'impasse sur la définition de son rôle et de sa place dans l'espace mondial post-bipolaire : elle ne peut pas vivre de manière autonome en se contentant de se penser par référence à des espaces plus vastes.
Roberto : Vous dites que l'Europe doit se réconcilier avec les opinions publiques. Or, les opinions publiques sont contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, mais de nombreux Etats et partis sont sourds à cette hostilité des opinions. Comment défaire ce nœud et respecter les opinions ? Faire entrer la Turquie dans l'UE, c'est prendre le risque de creuser le fossé entre Bruxelles et les opinions. Qu'en pensez-vous ?
Bertrand Badie : Les sondages montrent qu'il n'y a pas d'intensité forte des opinions sur la candidature turque. Pour une raison bien simple, c'est que le débat public sur le sujet n'a pour le moment pas été ouvert.
Si des arguments contradictoires étaient présentés de manière forte, l'opinion comprendrait que non seulement elle n'a rien à craindre de l'entrée de la Turquie dans l'Union, mais qu'elle pourrait y trouver les conditions d'une sécurité plus grande.
On a posé la question turque de la plus mauvaise façon. Justement en termes culturels, identitaires, voire para-nationalistes : la Turquie devait rester hors de l'Europe car celle-ci était définie en fonction d'illusions géographiques et d'une imagination culturaliste qui sont l'une et l'autre des principes radicalement opposés à ce qu'intégration veut dire.
Joselmann : Faut pas exagérer avec la Turquie ! Les frontières se trouveraient en Irak ! Il y a déjà les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'OTAN !
Bertrand Badie : Et vous ne croyez pas que durant la guerre froide l'Europe avait une frontière commune avec le bloc totalitaire soviétique ? Qui alors s'en inquiétait ?
Pit : Le "développement durable" pour lequel l'Europe tente d'en être le champion, n'est-il pas la preuve d'une certaine incapacité à compter réellement dans le monde ? Paraître comme un géant vert pour cacher le bleu à l'âme
Bertrand Badie : Que c'est bien dit ! Mais j'aurais tendance à retourner votre proposition : si l'Europe s'était réellement imposée comme "géant vert", elle aurait probablement marqué positivement sa présence au sein de l'espace mondial.
Après tout, dans l'accomplissement de ce "soft power" que je flattais tout à l'heure, les engagements écologiques de l'Europe auraient pu compter et lui permettre de marquer des points.
Mais Copenhague a suggéré l'inverse : une Europe marginalisée, peu écoutée, et contournée qui a ainsi conduit la perspective écologique à sa perte. Le manque de capacités diplomatiques européennes a précipité une inversion qui risque de durer et qui fait de la concurrence entre productivismes un enjeu structurant l'espace mondial et dépassant les paradigmes du développement durable tels qu'ils avaient été inventés dans le courant des années 1970.
Il en dérive un affaiblissement de l'Europe et une inaptitude probablement bien installée à faire face aux enjeux écologiques mondiaux. Que de dégâts !
Erg : L'Europe compte-t-elle encore dans le dossier nucléaire iranien ?
Bertrand Badie : Je crains que non. En choisissant la radicalité, elle perd toute aptitude à jouer sinon les médiateurs, du moins les modérateurs. L'avenir du dossier se déplace de l'Europe, qui aurait pu compter, vers la Russie et la Chine. Beau cadeau fait par les Européens à MM. Poutine et Hu Jin-Tao !
Joselmann : Pensez-vous que l'OTAN soit un facteur de division de l'Europe puisque les uns voient ça comme un parapluie, les autres comme une union contre un ennemi commun et les autres comme un moyen d'obtenir les faveurs de l'oncle Sam ?!
YassMkr : L'OTAN est-elle un obstacle au développement d'une institution militaire de l'Union ?
Bertrand Badie : Il est curieux de constater que l'histoire se répète et que les ruptures de contexte sont ignorées. On se retrouve un peu dans l'ambiance du début des années 1960, lorsque germait l'idée d'un directoire européen qui devait équilibrer le leadership des Etats-Unis sur l'OTAN. On sait que le général de Gaulle avait échoué dans cette tentative de rééquilibrer le gouvernement du monde atlantique et qu'il en tira les conséquences en quittant le commandement intégré de l'Alliance.
Le même espoir d'exercer une influence forte sur le géant américain renaît aujourd'hui. Alors que les Etats-Unis surclassent toujours leurs alliés par le poids de leur budget militaire, il est peu probable qu'un changement s'opère dans les choix stratégiques américains.
D'autant qu'un contexte nouveau a toutes chances de renforcer cette détermination de Washington. Tout d'abord, Barack Obama aurait pu, dans cette situation d'incertitude mondiale, procéder à une sorte de "New Deal international" : il ne l'a pas fait et a même confirmé l'idée de leadership des Etats-Unis sur le monde.
Celui-ci a changé. La "menace", si celle-ci fait sens, s'est déplacée géographiquement : l'Europe n'est plus le cratère du monde et n'en sera probablement pas le prochain champ de bataille. On voit mal dans ces conditions que le Vieux Continent renforce son rôle dans une Alliance qui est de plus en plus appelée à se projeter dans des régions lointaines où les intérêts américains l'emportent largement sur ceux du Vieux Continent. En outre, la substance même de cette fameuse "menace" place de plus en plus l'Alliance atlantique dans un décalage qui abandonne à la superpuissance l'essentiel des choix stratégiques fondamentaux.
Dans le même mouvement, l'Europe s'est élargie et a modifié sa carte : celle-ci épouse les contours de la partie européenne de l'Alliance atlantique. On risque donc de voir l'Europe de la défense confinée dans une section européenne de cette Alliance, rendant dérisoires ses propres instruments militaires.
Cette évolution est d'autant plus remarquable que l'Alliance atlantique perd de plus en plus son sens géographique pour s'élargir peut-être bientôt au Japon, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande, voire à Israël. On peut donc s'attendre à la juxtaposition de plusieurs sections du monde au sein d'une OTAN dont l'identité sera de plus en plus incertaine, paresseusement reconstruite autour de l'idée d'"occidentalité".
Billie : Peut-on parler actuellement de la genèse d'une nouvelle Europe ?
Bertrand Badie : Il le faudrait. La seule chance, dans le contexte actuel, est de la bâtir au sein des sociétés. C'est d'ailleurs là que les choses marchent le mieux, comme en témoignent les coopérations régionales ou les coopérations en matière universitaire, culturelle, humaine...
C'est bien le prochain exercice que l'Europe doit mener avec succès : donner aux individus un sens d'appartenance en même temps multiple, car il n'effacera pas les allégeances nationales, mais profond, motivé, informé. Bref, c'est bien de démocratie et d'humanité que l'Europe a besoin et non de gesticulations d'un personnel aux capacités improbables.
20:32 Publié dans Constitution européenne | Lien permanent | Commentaires (0)
20/06/2009
Faut-il interdire la burqa? Non, c'est l'islam qu'il faut interdire!
Quelle laïcité?
La loi du 15 mars 2004, en application du principe de laïcité, interdit aux « élèves des écoles, des collèges et des lycées publics le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». On l'a compris: interdiction, sur une terre chrétienne, de porter des croix. La loi, qui n'évoque que « l'appartenance religieuse » n'interdit pas, par contre, le port des insignes des nouvelles religions de la décadence.
Un élève portant à la boutonnière le sigle de Sos-Racisme, celui de la Licra ou qui se présentera dans l'uniforme des dégénérés des banlieues ne sera pas sanctionné. Ces déguisements et la loghorrée primitive qui l'accompagnent mériteront même le respect du aux « différences ».
La loi n'interdit pas l'expression de son appartenance religieuse ou sectaire dans la rue. Certains, dont André Gérin, député-maire communiste de Vénissieux, souhaitent interdire le port de la burqa (qui recouvre intégralement la tête et le corps des femmes musulmanes) et du niqab (qui laisse apparaître les yeux), au prétexte que ces signes seraient l'expression visible des fondamentalistes et des intégristes.
Mais est-ce là le vrai problême?
Soyons tolérants...
Respectons toutes les fantaisies religieuses ou pseudo-religieuses, quelles qu'elles soient, dès lors qu'elles restent d'aimables fantaisies. Après tout, les adorateurs de la banane rose, les admirateurs de Seigneur Raël, les sectateurs du Grand Bonsai ou ceux de Krishna ne représentent aucun danger pour la société, si ce n'est celui de nous faire mourir de rire. Certains, tel le Dalaï-lama, merci Tintin, bénéficient même, nonobstant leur niaiserie (ce sourire! ces banalités!) d'une haute respectabilité.
Quant à l'Eglise de la scientologie, dont il est beaucoup question actuellement, on lui reproche d'avoir suborné quelques esprits faibles en leur soutirant leurs économies. Mais n'est-ce pas le cas des régimes minceur miracles, de l'imposture qu'est la psychanalyse ou même de religions respectées qui usent des même expédients?
Si la crédulité, la bêtise, la naïveté et la superstition devaient être punies, les trois quarts de l'humanité seraient en prison...
Camille Flammarion, grand astronome du début du vingtième siècle, écrivit plusieurs livres consacrés aux tables tournantes, au corps astral et à l'apparition de spectres lors de séances spirites: un grand astronome, certes, auteur de « l'astronomie populaire », mais la dupe d'une bande d'illusionnistes et d'escrocs. Son exemple m'a toujours laissé songeur quant à la prétention de scientifiques ou d'intellectuels de renom de se mêler d'exprimer leurs avis définitifs dans des domaines autres que ceux où ils excellent.
Soyons humanistes, mais pas avec les dingues...
La secte du Temple Solaire, qui promettait un voyage sans retour vers Sirius (promesse tenue), le Mandarom dont les statues gigantesques du gourou antillais Georges Hourdin embellissaient la Provence (il pratiquait, lui, l'initiation de très jeunes filles), les « Enfants de Dieu » (dont le gourou, David Moïse, prônait le « fishing », c'est à dire la prostitution gratuite destinée à obtenir des conversions), toutes ces sectes, dont je pourrais multiplier les exemples, ont été interdites car, décidément,
« too much ».
Imaginons une secte qui prônerait la supériorité de l'homme sur la femme, pire, qui autoriserait l'homme à battre sa femme, qui exigerait de tuer les apostats, d'exterminer les athées, qui inciterait à violenter les juifs et les chrétiens, dont le gourou aurait épousé une petite fille de huit ans...
Nul doute qu'une telle secte susciterait l'horreur et serait immédiatement interdite...
Conclusion: Ce n'est pas la burqa qu'il faut interdire, c'est la présence de l'islam sur notre terre!
Robert Spieler
Délégué général de la Nouvelle Droite Populaire
14:07 Publié dans Constitution européenne | Lien permanent | Commentaires (0)
24/10/2006
Dehousse v. Duhamel
Sur la Constitution européenne, ce qu'elle apporte et ce qu'elle n'apporte pas:
09:48 Publié dans Constitution européenne | Lien permanent | Commentaires (0)