18/10/2008
Comment le peuple juif fut inventé
Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé : De la Bible au sionisme
Par Jonathan Cook, The National, 6 octobre 2008
« Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. » Pour Marc Bloch, qui se présentait ainsi dans les pages introductives de son dernier ouvrage « L’Etrange Défaite, » l’origine Khazar des juifs Ashkénazes était une évidence, mentionnée simplement en passant. Cette vérité historique fait pourtant l’objet d’un refoulement en Israël, car elle contredit les mythes fondateurs. Shlomo Sand, historien à l’université de Tel Aviv, vient de publier un ouvrage qui revisite ce passé oublié, et dont la résurgence éclaire d’une lumière tragique la réalité actuelle. Celle d’une terre où des hommes convertis au judaïsme mènent au nom de leur foi une guerre impitoyable aux lointains descendants du « peuple élu, » celui des bâtisseurs du Temple : les Palestiniens.
Le professeur d’histoire Shlomo Sand est le premier surpris par le succès remporté par son dernier ouvrage, présent durant 19 semaines sur la liste des best-sellers en Israël, en dépit du fait que ses thèses remettent en cause le plus grand tabou israélien.
M. Sand affirme que l’idée d’une nation juive - pour laquelle la nécessité de disposer d’un havre de paix a été utilisé depuis l’origine pour justifier la création de l’État d’Israël - est un mythe inventé il y a de cela un peu plus d’un siècle.
Spécialiste de l’histoire Européenne à l’université de Tel Aviv, le Dr Sand s’appuie sur des recherches archéologiques et historiques pour soutenir cette thèse ainsi que plusieurs autres tout aussi controversées.
En outre, il affirme que les Juifs n’ont jamais été exilés de la Terre Sainte, que la plupart des Juifs d’aujourd’hui n’ont pas de lien historique à la terre nommée Israël et que la seule solution politique au conflit avec les Palestiniens est d’abolir l’État juif.
Le succès de « Quand et comment le peuple juif a été inventé ? » pourrait se répéter dans le monde entier. Une édition française publiée le mois dernier a déjà donné lieu à trois tirages supplémentaires, tant les ventes ont été rapides.
Les traductions sont en cours dans une douzaine de langues, y compris en arabe et en anglais. M. Sand s’attend à une réaction musclée du lobby pro Israélien lorsque le livre sera publié aux États-Unis l’an prochain. En revanche, le public Israélien, peu favorable à sa thèse, s’est montré au moins curieux à son sujet. Tom Segev, l’un des grands journalistes du pays, a qualifié son livre de « fascinant et stimulant ».
Étonnamment, constate M. Sand, la plupart de ses collègues universitaires en Israël ont hésité à s’attaquer à ses arguments. Israël Bartal est une exception. Ce professeur d’histoire juive à l’Université hébraïque de Jérusalem a publié un article dans le quotidien israélien Haaretz, dans lequel il ne fait pourtant que peu d’efforts pour réfuter le Dr Sand. Paradoxalement, il consacre une grande partie de son article à la défense de sa profession, suggérant que les historiens israéliens ne sont pas aussi ignorants au sujet de l’invention de l’histoire juive que ne l’affirme le Dr Sand.
L’idée de ce livre lui est venue il y a de nombreuses années, se souvient le Dr Sand, mais il a attendu jusqu’à récemment pour commencer à y travailler. « Je ne peux pas prétendre faire preuve d’un courage particulier en publiant ce livre aujourd’hui », constate-t-il. « J’ai attendu d’obtenir un poste de professeur. Il y a un prix à payer dans les universités israéliennes pour avoir exprimé des opinions de ce genre. »
Le principal argument du Dr Sand est que, il y a de cela un peu plus d’un siècle, les Juifs eux-mêmes ne se pensaient en tant que juifs que parce qu’ils partageaient une religion commune. Au tournant du 20e siècle, note-t-il, les Juifs sionistes ont contesté cette idée et ont commencé à construire une histoire nationale en inventant l’idée que les Juifs existent en tant que peuple distinct de leur religion.
De même, l’idée sioniste moderne selon laquelle les Juifs doivent retourner d’exil vers la Terre promise a été totalement étrangère au judaïsme, précise-t-il.
« Le sionisme a transformé la représentation de Jérusalem. Avant, les lieux saints étaient considérés comme des lieux que l’on espérait, mais où il ne s’agissait pas de vivre. Depuis 2000 ans les Juifs étaient restés loin de Jérusalem, non pas parce qu’ils ne pouvaient pas y retourner, mais parce que leur religion leur interdisait de revenir jusqu’à ce que le Messie soit venu. »
La plus grande surprise au cours de ses recherches s’est produite lorsqu’il a commencé à étudier les preuves archéologiques de l’époque biblique.
« Je n’ai pas été élevé comme un sioniste, mais comme tous les autres Israéliens, je tenais pour acquis que les Juifs étaient un peuple qui vivait en Judée et en qui en avait été exilé par les Romains en 70 après Jésus-Christ.
« Mais lorsque j’ai commencé à chercher des éléments de preuve, j’ai découvert que les royaumes de David et Salomon étaient des légendes, » indique M. Sand. « Concernant l’exil, les choses sont semblables. En fait, vous ne pouvez pas expliquer la judéité sans l’exil. Mais lorsque j’ai commencé à rechercher des livres d’histoire décrivant les événements de cet exil, je n’ai pu en trouver aucun. Pas un seul. »
« C’est parce que les Romains n’ont pas exilé le peuple juif. En fait, les Juifs en Palestine étaient en leur écrasante majorité des paysans et tous les éléments de preuve indiquent qu’ils sont restés sur leurs terres. »
Il croit au contraire plus plausible une autre théorie : l’exil était un mythe promu par les premiers chrétiens pour recruter les Juifs à leur nouvelle foi. « Les chrétiens voulaient que les descendants de Juifs croient que leurs ancêtres avaient été exilés par une punition de Dieu ».
Mais s’il n’y a pas eu d’exil, comment se fait-il qu’un si grand nombre de Juifs ait été dispersés dans le monde entier avant que l’État moderne d’Israël commence à encourager leur « retour » ?
Le Dr Sand indique que durant les siècles qui ont précédé et suivi le début de l’ère chrétienne, le judaïsme était une religion prosélyte, tentant à tout prix de convertir. « Ceci est mentionné dans la littérature romaine de l’époque. »
Les Juifs se sont rendus dans d’autres régions, cherchant à convertir, en particulier au Yémen et parmi les tribus berbères de l’Afrique du Nord. Des siècles plus tard, le peuple du royaume Khazar, dans ce qui est aujourd’hui la Russie du Sud, s’est converti en masse au judaïsme, donnant naissance aux Juifs Ashkénazes d’Europe centrale et orientale.
Le Dr Sand insiste sur l’étrange état de déni dans lequel vivent la plupart des Israéliens. La découverte récente de la capitale du royaume Khazar, proche de la mer Caspienne a donné lieu à une importante couverture médiatique. YNet, le site Web de Yedioth Ahronoth, le plus populaire des journaux israélien, a publié un article intitulé : « Des archéologues russes retrouvent une capitale juive oubliée. » Et pourtant, aucun de ces articles, ajoute-t-il, n’a examiné l’importance de cette découverte en regard des conceptions habituelles de l’histoire juive.
L’autre question soulevée par le travail du Dr Sand, comme il le note lui-même est celle-ci : si la plupart des Juifs n’ont jamais quitté la Terre Sainte, que sont-ils devenus ?
« Ce n’est pas enseigné dans les écoles israéliennes, mais la plupart des premiers dirigeants sionistes, dont David Ben Gourion, qui le premier occupa le poste de Premier ministre, estimaient que les Palestiniens sont les descendants des premiers juifs de la région. Ils pensaient que les Juifs s’étaient par la suite converti à l’islam. »
Le Dr Sand attribue la réticence de ses collègues à discuter ses thèses à la reconnaissance implicite par de nombreux historiens que l’ensemble de l’édifice de « l’histoire juive » enseigné dans les universités israéliennes est construit comme un château de cartes.
Le problème avec l’enseignement de l’histoire en Israël, déclare le Dr Sand, remonte à une décision prise dans les années 1930 pour séparer l’histoire en deux disciplines : l’histoire générale et l’histoire juive. L’histoire juive a été considérée comme nécessitant un domaine d’étude distinct car l’expérience juive était considérée comme unique.
« Il n’y a pas de département de politique ou de sociologie juive dans les universités. Seule l’histoire est enseignée de cette façon, et cela a permis à des spécialistes de l’histoire juive de vivre dans un monde très conservateur et insulaire où ils se tiennent à l’écart de l’évolution moderne dans la recherche historique.
« J’ai été critiqué en Israël pour avoir écrit sur l’histoire juive alors ma spécialité est l’histoire de l’Europe. Mais un livre comme celui-ci requerrait un historien qui soit familier avec les concepts standard de la recherche historique utilisés par les universités dans le reste du monde. »
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11/09/2008
Ethnologie de la mouche et des Japonais
Ce n’est pas sur une lointaine peuplade inconnue que Sophie Houdart a décidé de porter son regard d’ethnologue, mais sur un laboratoire spécialisé dans l’étude des mouches drosophiles. Pas n’importe lequel d’ailleurs : celui d’un professeur japonais atypique. L’une des ambitions de Daisuke Yamamoto, accueilli à la fin des années 1970 au sein de l’Institut Mitsubishi pour créer sa propre structure, est en effet de « constituer une enclave internationale à l’intérieur du Japon ». Le projet du chercheur est confié à deux équipes, l’une installée au Japon et l’autre à Hawaii, chacune étant pluriculturelle. Mais est-il si différent d’être scientifique japonais ou scientifique occidental ? C’est à ce problème épineux que s’attaque S. Houdart tout au long de son étude particulièrement fouillée et excellemment écrite. La découverte d’une drosophile possiblement homosexuelle constitue l’un des fils directeurs autour duquel elle élabore sa réflexion sur les différentes conceptions de la nature, de la culture et de la ligne de partage entre les deux. Ainsi Yamamoto rencontre-t-il des blocages, aux États-Unis et en France, à l’idée de fondements génétiques de l’homosexualité, alors que selon lui, « nier qu’il existe un gène de l’homosexualité (…) par peur des réactions sociales est une faiblesse indigne d’un scientifique ». En outre, le chercheur japonais s’inscrit en faux contre l’« idéalisation trompeuse » consistant à prétendre user d’une parfaite objectivité pour accéder à la compréhension intime d’une nature qui serait immuable : pour lui, la pratique scientifique est avant tout une pratique sociale. « Si dichotomie est produite et maintenue, dans le laboratoire de Yamamoto, elle n’est pas entre nature et culture – mais entre l’ordre et le désordre, entre l’humanité et l’animalité », écrit l’auteure. Son livre ouvre un grand nombre de pistes intéressantes à méditer, même si pour toucher un large public, il eut peut-être gagné à être un peu plus synthétique.
Sophie Houdart, La cour des miracle. Ethnologie d'un laboratoire japonais, CNRS éditions
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16/09/2005
Communautariens v. libéraux
Alain de Benoist, Communautariens v. libéraux.
20:50 Publié dans Communautarisme | Lien permanent | Commentaires (0)