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06/02/2013

Une bombe atomique dans un sac à dos

Science & Vie n°810, mars 1985 (c'était la bonne vieille guerre froide).

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Des commandos américains, basés en Allemagne, sont équipés de véritables bombinettes qui laissent perplexe. Paradoxalement, en effet, il est difficile d'imaginer comment elles pourraient être utilisées.

Dans les années soixante dix, un Américain, sans doute un sénateur, avait souligné les dangers de ce qu'il baptisait la "stratégie de la valise" d'après lui, les Soviétiques pouvaient entasser des bombes atomiques aux quatre coins des Etats-Unis en les introduisant clandestinement dans de simples valises. Sa théorie ne suscita qu'une attention éphémère, parce que l'intérêt d'une telle stratégie semblait nul. Elle eut toutefois le mérite d'évoquer la question de la miniaturisation des armes nucléaires. Pouvait-on fabriquer des microbombes, quasiment portables dans la poche ?

On n'en est pas encore là, mais déjà la valise a cédé la place au sac à dos. Il trouve sa place entre un quart de bourbon et une ration K. Car si l'on en croit l'hebdomadaire Der Spiegel, il y aurait en RFA des commandos américains équipés de "sacs à dos atomiques". Ces unités, stationnées à Bad Toelz, en Bavière, et à la caserne Andrews de Berlin-Ouest, seraient prêtes en cas de guerre à franchir le Rideau de fer, transportant dans leur barda de quoi détruire, sinon une ville, du moins des ponts ou des tunnels.

L'information n'est pas neuve, diront les experts ; il y a environ 20 ans que ces armes, baptisées SADM (Special atomic demolition munition), sont réparties en Europe. De plus, sur les quelque 6 000 armes nucléaires entreposées dans les arsenaux de l'OTAN, celles ci sont les moins puissantes (de 0,01 à 1 kilotonne) ; alors, un peu plus un peu moins...

Pourtant, elles sont différentes, car elles seraient mises en oeuvre par des commandos dont l'efficacité, on l'imagine, tient avant tout à l'autonomie. Or, cela semble en contradiction avec la procédure d'emploi des armes nucléaires : décision prise au plus haut niveau, lente à prendre et à répercuter. L'existence de ces armes suscite deux questions. L'une est technique: quelle est la limite "physique" de miniaturisation d'une bombe ? L'autre, si l'on ose dire, pratique: quel rôle est assigné à ces armes ?

Loger une bombe atomique dans une boîte d'allumette n'est pas envisageable, du moins dans un avenir proche. Les armes nucléaires ne peuvent pas être rapetissées à volonté, parce que la réaction enchaîne qui entraîne l'explosion ne se produit que s'il y a une quantité minimale de matière fissile l'énergie dans une bombe A résulte de la fission d'un noyau, par exemple de plutonium (Pu 239) en deux fragments et deux ou trois neutrons.

Chaque nouveau neutron peut à son tour fragmenter un noyau et par conséquent créer des neutrons supplémentaires qui à leur tour cassent d'autres noyaux c'est une réaction en chaîne. Mais tous les neutrons ne participent pas à la fission: certains induisent des réactions différentes, d'autres s'échappent de la matière fissile. Or, pour que la réaction en chaîne se maintienne, il faut qu'au moins un, en moyenne, des neutrons produits à chaque fission provoque une autre fission. Dans le cas contraire, la réaction en chaîne s'arrête ; c'est donc le rapport des neutrons participant à la fission et des neutrons perdus (pour la fission, s'entend) qui détermine la réaction.



Pour l'essentiel, c'est la surface du matériau qui fixe les pertes en neutrons: un neutron qui atteint la surface s'échappe et ne provoque plus de fissions. Par contre, le nombre de fissions augmente avec la masse, donc avec le volume si la densité du matériau reste constante. Ce nombre peut devenir supérieur à celui des neutrons perdus. Car, quand la masse augmente, c'est proportionnellement au volume, c'est donc plus vite que la surface. Alors, pour une certaine masse, les neutrons de fission sont suffisamment nombreux pour que la réaction en chaîne continue ; c'est cette quantité que l'on appelle la masse critique.

De quoi dépend-elle ? En premier lieu du matériau fissile ; de sa composition (qu'il s'agisse d'uranium, de plutonium ou d'un mélange des deux), de sa densité et du nombre d'impuretés susceptibles de capturer des neutrons

La masse critique dépend aussi "d'arrangements" supplémentaires tels que des réflecteurs encerclant la masse fissile par exemple, l'uranium naturel fait un excellent réflecteur en entourant le matériau fissile, il joue un rôle de miroir vis-à-vis des neutrons qui s'en échappent. Résultat: la masse critique peut être divisée par deux ou par trois. Dans le cas du plutonium, la masse critique, qui est de 11 kg environ lorsqu'il est dans une phase métallurgique favorable, peut être abaissée à 5 kg avec un bon réflecteur.

Autre méthode: augmenter la densité du matériau ; car si la densité augmente, il y a plus de noyaux atomiques dans un même volume. Donc la probabilité pour qu'un neutron cogne sur un noyau fissile augmente, elle aussi. Avec un explosif chimique, on peut comprimer du plutonium et multiplier sa densité par un facteur parfois supérieur à trois. En fait cela permet de fabriquer une bombe atomique en utilisant une masse de plutonium qui est sous-critique donc qui ne peut pas exploser (c'est préférable si l'on veut stocker ces engins) tant que l'explosif chimique ne l'a pas comprimée jusqu'à un état super-critique.



Ce n'est pas le seul moyen de fabriquer une bombe ; il y a une méthode toute aussi générale qui consiste à scinder une masse de plutonium super-critique en deux parties sous-critiques séparées. Avec un explosif chimique, ces deux parties sont rassemblées au moment voulu. Avec ces quelques principes, on peut avoir une idée de la quantité de plutonium nécessaire, ou plutôt du volume qu'il remplirait avec, par exemple, une masse critique de 5 kg la densité du Pu 239 étant environ 19,5 g/cm3 (en phase favorable), on obtient un volume de 250 cm soit un cube de 6 cm environ de côté. En fait, il faut généralement plusieurs masses critiques pour obtenir une puissance convenable et empêcher la réaction de stopper tout simplement parce que si le nombre de noyaux fissionnés augmente, les noyaux fissiles diminuent, ce qui entraîne l'arrêt de la réaction au moment où la masse totale des noyaux fissiles devient inférieure à la masse critique.



Cependant une sphère de plutonium de quelques centimètres de diamètre peut en théorie être suffisante pour une explosion kilotonnique. Cela ne veut pas dire pour autant qu'une bombe peut avoir cette taille. D'abord, parce que plus la densité critique à atteindre sera élevée et plus il faudra d'explosifs chimiques pour comprimer le plutonium. Ensuite parce que, dans une bombe, il y a aussi un détonateur, des systèmes de sécurité, codeur, décodeur, etc. qui augmentent notablement son volume.

Voilà pourquoi la plus petite arme nucléaire existant, au moins officiellement, dans l'arsenal US atteint la taille sac à dos plus que sac à main. Cette arme est équipée d'une charge W-54 d'une puissance variable (0,01 à 1 kilotonne) ; cette charge pour aussi faible qu'elle soit par rapport à celles, mégatonniques, qui équipent certains missiles a un formidable pouvoir destructeur : à 800 m une explosion de 1 kilotonne provoque encore une surpression de 4,1 psi (1 psi = 700 kg/m2) capable de raser une maison, une onde de chaIeur de 3,8 calories/cm2 et des radiations de 670 rems.

Sven Ortoli

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