24/08/2010
La défécation des obèses: un problème méconnu et négligé en santé publique
Par Georges Yang
Tous ceux et celles qui sont de poids normal ne peuvent imaginer les difficultés qu’éprouvent les personnes très corpulentes pour aller aux toilettes. Contraintes mécaniques certes du fait de la surcharge pondérale et des difficultés de mouvements, mais aussi risque accru de contamination par des bactéries présentes dans les matières fécales, plus particulièrement au niveau urinaire pour les femmes. Et comme de nombreux obèses sont aussi souvent diabétiques, donc plus sensibles aux infections, on ne peut que craindre des pathologies spécifiques de la défécation pour ces individus.
Notre Ministre de la Santé, si prolixe sur une grippe qui n’eut d’autres conséquences fâcheuses que financières sur la nation ne s’est en revanche pas exprimée sur ce problème de santé publique qui touche potentiellement plus d’un million de grands obèses et pourrait atteindre les 5 millions de personnes si l’on tient compte de tous ceux qui ont une forte corpulence et peuvent un jour être concernés.
Commençons par une analyse de la structure et de la taille des lieux d’aisance.
En France et dans les pays occidentaux du moins, la majorité des toilettes est composée d’un siège assez bas de taille standard totalement inadapté à la surface et à la masse du postérieur des obèses. Les toilettes dites « à la turque » sont plus compatibles avec la surcharge pondérale à condition d’être placées dans un endroit pas trop large mais suffisamment étroit pour pouvoir placer le long de chaque mur une barre oblique suffisamment résistante pour faciliter le redressement après l’acte par une action conjointe demandant une contraction synergique des quadriceps et des muscles suraux.
Ensuite, le plus important consiste en la manière de s’essuyer. La mode orientale consistant à utiliser un petit jet d’eau dirigé vers les parties intimes serait cependant idéale pour les personnes trop grosses. Hélas, cette pratique n’est pas entrée dans les mœurs de nos compatriotes non musulmans. L’immense majorité utilise des toilettes standard, les cuvettes adaptées coutant « la peau du cul ».
Et là pour introduire la main et le papier, c’est tout un problème. D’où la tentation de passer par devant, c’est-à-dire l’entrecuisse. Si cela n’est que peu préjudiciable pour l’individu de sexe masculin, (risque légèrement accru de contamination du méat urinaire par un papier ou une main souillée de selles), cela peut s’avérer tragique pour une femme obèse. D’autant que l’obésité est souvent associée, outre le diabète qui favorise les infections, à des problèmes articulaires au niveau des hanches et des genoux, diminuant la mobilité de la malade. Et puis, si la situation n’est pas dramatique en cas de matières solides et relativement sèches, l’affaire se complique des que les selles deviennent franchement liquides.
On retrouve tout juste sur des catalogues spécialisés dans le handicap, des planches écarte-fesses et autres gadgets et des cuvettes adaptées. Certains adipeux pensent résoudre le problème en s’asseyant tête-bêche, au risque de souiller l’extérieur de la cuvette s’ils visent mal. Bref, l’obèse n’est pas vraiment aidé dans sa défécation.
Le mouvement, arrière-avant, pour s’essuyer peut entrainer une contamination vaginale par des bactéries contenues dans les matières fécales, essentiellement des Coli ou entérocoques. Et, une fois en contact avec la vulve, ces germes dont le tropisme est grand pour les voies urinaires, peuvent remonter de façon rétrograde et entrainer des infections dont certaines se montreront résistantes à la longue aux traitements antibiotiques et antiseptiques urinaires, sans oublier les contaminations génitales, voire rénales par voie ascendante. Et puis, quand on s’essuie mal, tant pour un homme que pour une femme, les résidus de matière fécale entre les globes fessiers peuvent faciliter à la longue l’apparition de macérations, de fissures, d’intertrigos et de mycoses dont le candida albicans, très fréquent chez les diabétiques.
Au milieu des années 70, un auteur, David Werner, d’ailleurs aussi excellent dessinateur avait déjà soulevé le problème dans un livre destiné plus particulièrement aux populations du Tiers-Monde, initialement aux Guatémaltèques. L’ouvrage « Where there is no Doctor », traduit désormais en plusieurs langues est devenu un best-seller de la littérature médicale outremer. Des dessins explicites montrent comment une femme accroupie doit utiliser des reliquats d’épis de maïs (nourriture de base en Amérique Centrale) pour s’essuyer toujours dans un mouvement d’avant vers l’arrière, c’est-à-dire de la vulve vers l’anus et non l’inverse. Ce qui reconnaissons-le, autorise un autre regard sur les civilisations amérindiennes.
On peut extrapoler le mouvement avec du papier-toilettes, bien que la position assisse sur une cuvette ne le facilite pas. Il faut noter que la littérature médicale ne s’étend par outre mesure sur le thème. Quel est l’étudiant en médecine, capable de proposer ce sujet pour une thèse à un mandarin d’université ?
Guy Carlier en parle et pour cause, avec autodérision dans son livre « du cœur au ventre », mais il n’est pas médecin, seulement simple usager des lieux. Son interrogation sur la longueur du bras, reprend avec ironie le questionnement que beaucoup se posent.
Il est cependant très facile pour un généraliste exerçant en France d’expliquer « le geste qui sauve », ou qui du moins protège, à une patiente obèse. Or, très peu de praticiens le font. Il existe d’une part ceux qui sont surchargés par la paperasse, les contraintes administratives, les arrêts de maladie et autres certificats devenus une véritable plaie du métier. Mais il existe aussi hélas, une catégorie de professionnels de la santé qui pratique l’abattage, quasiment montre en main et qui ne prend pas le temps d’expliquer l’essentiel en peu de mots. La BMW et la construction d’une piscine décente demandent de ne pas passer plus d’un quart d’heure par patient et ce n’est pas les 22, voire 23 euros par consultation qui peuvent inciter au colloque singulier prolongé.
Mais, penserez-vous, les spécialistes se permettent des tarifs plus élevés et souvent le droit au dépassement du plafond de la Sécurité Sociale. Alors que ne le font-ils pas ? Et là, les patients ont une grande part de responsabilité, qui voient l’endocrinologue, le diabétologue, l’urologue, comme des omniscients qui se doivent de demander des dosages hormonaux, des courbes de poids et des analyses d’urine avec si possible culture et antibiogramme avant de vous laisser ouvrir une seconde fois le bec. Le spécialiste auréolé de sa superbe et de son diplôme en quatre ans après le cursus ordinaire, se la rejoue souvent médecin de Molière et veut impressionner le client. Or, on ne peut captiver un patient avec des histoires de pipi caca et de papier-toilette. Il faut utiliser du vocabulaire choisi et des examens couteux effectués au laboratoire.
Les histoires de torche-cul, c’est tout juste bon pour les admirateurs de Rabelais et consort. « Défécation sans conscience n’est que ruine de l’anus », pourrait-on cependant déclarer.
Il est de la médecine, comme de tous les autres métiers en contact avec le public. En dehors d’indispensables connaissances techniques qui sont un pré requis à l’exercice de la profession, il faut du bon sens et le désir de communiquer avec l’autre. Certains ont hélas perdu ce sens du contact direct avec le patient.
La morale de cet article peut finalement se résumer en une seule phrase :
« Obèses de tous les pays, prenez soins de vos fesses », sinon il vous en cuira !
08:51 Publié dans Bioéthique | Lien permanent | Commentaires (0)
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