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30/03/2010

Devoir de réserve

Jacqueline de Guillenchmidt

Devoir de réserve

Entre le droit et la politique, il y a la puissance des institutions. Une discrète juriste a pénétré la voie royale de la haute juridiction constitutionnelle française, confirmant sa bascule ultramajoritaire : le Conseil constitutionnel. Portrait d’une passionnée de droit cultivant, à discrétion, la sagesse du devoir.

Chaque semaine, Le nouvel Economiste révèle un tempérament à «L’Hôtel», rue des Beaux-Arts. Paris VIe. Rencontre avec une avocate ambitieuse devenue une juriste institutionnelle.

Par Gaël Tchakaloff

Avec Jacqueline de Guillenchmidt, le ciel était bleu, même lorsqu’il y avait des difficultés. » Pour une fois, Pierre Méhaignerie se fond dans la masse. Il abreuve son ancienne collaboratrice de compliments. « Une femme extrêmement compétente avec laquelle il est agréable de vivre et de travailler. Une perte pour le CSA », renchérit Dominique Baudis. Mais qu’a-t-elle de si particulier pour que les hommes politiques et les institutions se l’arrachent ? Lucide, mesurée, la récente membre du Conseil constitutionnel poursuit l’idée de justice et d’impartialité. C’est bien le moins. Son professionnalisme, oui. Son raisonnement juridique implacable, bien sûr. Ses qualités humaines, aussi. Et pourtant, elle semble si lisse que rien n’explique cette avalanche hagiographique, cette carrière fulgurante. Elle travaille bien sans faire de vagues. Son dévouement à la cause publique et son esprit consensuel justifient sa place. Et peut-être ses nominations discrétionnaires à répétition : au Conseil d’Etat, au CSA et, depuis le mois de février dernier, au Conseil constitutionnel. L’entregent de son mari, Michel de Guillenchmidt, conseiller d’Etat honoraire, avocat au barreau de Paris et de Bruxelles, n’est certainement pas étranger à son succès. Si elle ne pousse pas les portes, l’ancienne magistrate les franchit volontiers lorsqu’elles sont ouvertes. Qui ne le ferait pas à sa place ?

La France d’en haut

Résolument Le Quesnoy davantage que Groseille, Madame est née à Pékin, a passé son bac au collège protestant de Beyrouth, s’est mariée à Madrid. « Pour des raisons de commodités »… D’autres s’en contenteraient également. Fille de diplomate, elle promène son enfance et son adolescence à l’étranger, « agréable sur le plan du confort, même si c’était un peu artificiel ». Naturellement, elle entre à Sciences-Po, section service public. L’héritage paternel a laissé des traces : « Servir l’Etat, c’est-à-dire l’intérêt général, c’est le plus beau des métiers. » Mais l’amour arrive, et la dure réalité en même temps, emportant au passage l’ambition de l’Ena. Le ménage doit subvenir à ses besoins. Assistante à la mairie de Paris puis à l’Institut d’administration publique, la jeune mariée travaille « plus par nécessité que par intérêt ». Elle s’inscrit en droit, passe l’examen du barreau, déterminée à en finir avec l’assistanat transversal : « Lorsqu’on choisit un métier, c’est pour exalter ses qualités ou corriger ses défauts. Moi, je devais corriger ma timidité. » Pourtant, sa vocation ne se révèle que 9 ans plus tard, lorsqu’elle intègre la magistrature. Elle devient juge d’instruction au tribunal de Pontoise et reste 13 ans dans la magistrature. Lorsqu’elle évoque cette période, ses yeux enfantins pétillent. Ce métier demeure certainement celui qui répond le plus à son énergie et à son indépendance : « C’est le poste le plus complet que j’aie occupé. Il s’agit d’un métier d’action dans lequel vous êtes pleinement responsable de vos actes. » Mais Jacqueline de Guillenchmidt ne prend jamais le temps de savourer ses plaisirs ou ses victoires. Son exigence, son ambition parfois, l’emportent. Si bien qu’elle court de métier en métier, de fonction en fonction, sans se retourner. Trois ans plus tard, un ami la convainc de participer au travail législatif en entrant à l’administration centrale du ministère de la Justice. A la direction des affaires civiles, au bureau du droit commercial puis au bureau des professions juridiques et judiciaires, elle peaufine son métier de juriste, découvre le travail préparatoire, en amont de la loi. Elle entre dans le temple du droit, délaissant au passage la liberté et l’autonomie de responsabilité qu’elle recherchait tant.

Puissante discrétion

Le parcours de Jacqueline de Guillenchmidt a cela d’interpellant qu’il revêt une spécificité, en principe, gênante. La compétence et le sérieux de la juriste effacent les délicats « coups de pouce » dont elle a bénéficié. Car elle a cumulé les nominations discrétionnaires. Tout commence au cabinet de Pierre Méhaignerie, alors Garde des Sceaux. Elle communique à son ami Philippe Léger, directeur de cabinet du ministre, son désir de travailler à leurs côtés. Cette expérience marque un tournant dans sa carrière, qui deviendra désormais politico-juridique. Ses parents lui ont transmis leurs convictions de centre droit. Sa conscience politique commence au général de Gaulle. Mais elle a toujours préféré les grands commis de l’Etat aux élus. Pierre Méhaignerie se charge de la réconciliation : « La personnalité de Pierre Méhaignerie est attachante. Il valorise l’image de l’homme politique. C’est un homme de terrain, un homme de métier, un homme d’action et un homme courageux. Il a œuvré pour la transparence dans l’action publique, sans chercher à se protéger. » C’est beau. Mais ses démêlés judiciaires n’étaient pas prévus à l’époque. L’ancien Garde des Sceaux lui renvoie le compliment : « Jacqueline de Guillenchmidt allie le professionnalisme, les qualités humaines et l’exigence. Son dévouement à la cause publique en aurait fait un remarquable député. » Cela justifie peut-être son entrée au Conseil d’Etat en sortant de son cabinet… L’intéressée assume, vantant les mérites oxygénants du tour extérieur. Et ce n’est pas fini. Après 4 ans à la présidence de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, puis à la commission du fonds de soutien à l’expression radiophonique, Jacqueline de Guillenchmidt est propulsée au CSA par Christian Poncelet. Elle quittera ses fonctions avant leur terme. Le même homme vient de lui ouvrir les portes du Conseil constitutionnel, cette fois-ci pour 9 ans. Explications de l’heureuse gagnante : « J’ai des liens très sympathiques avec Christian Poncelet. Je n’ai pas de liens professionnels avec lui. Mon mari le connaît bien et l’apprécie énormément. J’étais sur un petit nuage lorsque j’ai été nommée. Pour moi, il n’y avait rien de mieux. Pour quelqu’un qui a fait du droit toute sa vie, entrer au Conseil constitutionnel, c’est une récompense suprême. » A qui le dites-vous ? La file d’attente des constitutionnalistes en attente des ors de la République était serrée. La droite modérée a pris le pouvoir sur l’institution, désormais présidée par Pierre Mazeaud. Seuls deux des neuf membres actuels du Conseil ont été nommés par la gauche : Jean-Claude Colliard et Pierre Joxe. Quant au reste du renouvellement, Pierre Steinmetz, ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin devenu conseiller d’Etat, statuera peut-être sur des textes qu’il a contribué à préparer…

Le droit comme devoir

En dehors de son mari et de ses trois enfants, Jacqueline de Guillenchmidt a deux amours : le droit et la radio. Elle ne connaissait pas le secteur audiovisuel. C’est en présidant le fonds de soutien chargé d’examiner les demandes de subventions des radios associatives, qu’elle a développé sa spécificité. Au CSA, elle a donc repris son cheval de bataille, présidant le groupe de travail dédié à ce média et coprésidant celui sur le pluralisme et la déontologie de l’information. Pourtant, la sage juriste s’abstient de tout commentaire sur son passage dans l’autorité de régulation, autant d’ailleurs que sur son travail au sein du Conseil constitutionnel. En intégrant l’instance constitutionnelle, Madame élargit sa stature. Initialement chargé de contrôler le respect du domaine de la loi par le législateur, le Conseil s’est transformé en véritable juge de la conformité de la loi à l’ensemble des règles et principes à valeur constitutionnelle. Ses décisions, non-susceptibles de recours, s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Au-delà de sa compétence consultative, sa compétence juridictionnelle couvre le contentieux normatif, électoral et référendaire. Mais Jacqueline de Guillenchmidt a transformé son devoir de réserve en obligation de silence. Elle pratique l’autocensure aggravée. Bien sûr, les textes lui interdisent de commenter son activité au CSA, durant l’année suivant son départ. Bien sûr, elle ne peut se prononcer sur des questions relevant de la compétence de la haute juridiction constitutionnelle. Mais elle refuse également d’émettre un quelconque jugement sur le rôle ou le fonctionnement de ces institutions. Marquée par son expérience judiciaire ? Frappée d’éducation traditionnellement silencieuse ? Elle lance, simplement, un commentaire lapidaire : « Je trouve extrêmement désagréable pour les membres en exercice que d’anciens membres du CSA se prononcent sur l’institution. » Une allusion à la prolixité d’Hervé Bourges ? Réservée mais maligne, Jacqueline.

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