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09/06/2009

Recep Erdogan informe les Euripéens sur l'islam à la turque

359_large.jpgRecep (prononcer Rèdjèp) Tayyip Erdogan, est le Premier Ministre de la République turque depuis 2003. Pour les médias occidentaux, lui et son parti, l’AKP (parti de la justice et du développement) sont des représentants de l’ « islam modéré ». Le hic c’est que cela n’a pas l’heurt de lui plaire. Il n’a que faire du politiquement correct. « C’est une description est très laide et constitue une insulte à notre religion. Il n’y a pas d’islam modéré ou immodéré. L’islam est l’islam et voilà tout » (Milliyet, 21.08.08). Sacré Erdogan ! Certains de ses diplomates croyant suivre son exemple aiment aussi à pratiquer le parler vrai et dru. Le consul général de Turquie à Dusseldorf doit lui s’en repentir qui vient d’être rappelé après s’être rependu en propos fort peu diplomatique sur ses hôtes allemands. (cf notre édition n° 2408).

Recep Erdogan ne cherche pas à être mielleux. Ce fils d’un rude capitaine du port d’Istanboul est issu de la minorité laze, montagnards musulmans mais cousins des Géorgiens. Ce sont les Belges de la Turquie.  Il a un franc-parler qui lui a déjà valu un bref séjour en prison et des années d’isolement politique. De la récente crise des caricatures de Mahomet il a retenu que « la persistance des Européens dans la faute a transformé une étincelle en incendie ». Voilà une position claire. Il a précisé à ce sujet que si les limites à la liberté d’expression étaient « plus raisonnables », cette expérience douloureuse ne se serait pas produite (sic). Il faut dire que l’affaire l’avait mis en porte à faux avec tous ses alliés au sein de l’OTAN. Ankara avait en effet mis son veto à la désignation du mécréant danois Anders Fogh Rasmussen comme secrétaire général de l’alliance (notre édition du ;;).

M. Erdogan, on le sait moins en France, a aussi défrayé la chronique en Allemagne en proclamant lors d’une visite à Cologne que l’intégration était « un crime contre l’humanité ». Rien de moins. Ce 12 mai, à Istanbul, dans discours prononcé lors de l’inauguration de la 7e réunion du Conseil islamique de l’Eurasie, il est allé plus loin : l’islamophobie, elle aussi constitue un crime contre l’humanité ! On s’en serait presque douté. Nous voilà donc encouragés à réprimer les caricaturistes, la liberté de la presse, la liberté artistique, les romanciers jugés insultants envers l’islam, les livres sur l’athéisme. Bref, la Turquie pousse l’Europe à mettre en oeuvre la mascarade de la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (Durban II). Un Etat qui persécute sa propre minorité chrétienne (cf notre édition du ;;;) peut-il  donner des leçons de coexistence pacifique ? La Turquie aurait plus de gloire à gagner à éclairer des pays comme l’Arabie saoudite ou le Pakistan.

Le gouvernement Erdogan a poursuivi l’érosion méthodique du système kémaliste sur plusieurs fronts. « Laïcité » d’abord. La Turquie compte aujourd’hui que 67 000 écoles laïques contre 85 000 mosquées. Ses 77 000 médecins qui tentent désespérément de dispenser des soins de santé à 75 millions de Turcs sont souvent de pauvres hères, moins bien dotés que les 88 000 imams bien rémunérés par l’État. Dans un pays qui ne dispose que d’un hôpital pour 60 000 personnes on compte pourtant une mosquée pour …350 habitants. Seulement 1435 bibliothèques publiques dans cet immense pays, mais déjà 3852 écoles coraniques. Le budget du DINAYET, véritable « Ministère des Affaires religieuses », qui relève du Premier Ministre, dépasse celui des vingt universités. L’Islam est donc dispensé largement et efficacement, aux frais du contribuable. Rien de bien laïque dans cette Turquie là !

Le président du DINAYET, le professeur Ali Bardakoglu est un théologien moustachu et courtois : « Il est hors de doute que l’islam exige que les femmes se couvrent la tête ». Sa déclaration coïncide avec la levée de l’interdiction du foulard dans les universités, votée par le parlement turc le 6 février dernier. Il nuance : tant que la femme se déclare musulmane, elle doit se couvrir la tête. Bon, nos compagnes ne sont donc a priori pas concernées. Il souligne que les discussions sur la nécessité de porter le foulard sont de nature politique. En termes religieux, « il ne fait aucun doute qu’il devrait être porté ». Il ajoute que les règles de l’islam sont « inaltérables ». C’est le même petit homme courtois qui a déclaré aussi, et sans rire, que « la Turquie est formidablement en avance en matière de laïcité (sic) et en ce sens elle a beaucoup de chose à apporter à l’Europe » (re-sic). Une étude étayait déjà il y a deux ans l’irrésistible progression du voile islamique dans la société turque L’enquête, réalisée par l’institut de sondages Konda pour le compte du quotidien Milliyet (libéral-national) révéla en effet que la proportion de femmes couvrant leurs cheveux était passée de 64 % en 2003 à 69,4% en 2007. Parmi elles, celles qui revêtent le türban, un voile couvrant à forte connotation islamique, étaient passées de 3,5% à 16,2%. Il y avait donc 14 millions de femmes voilées dans le pays, chiffre en progression (AFP / Islam-Pluriel). Le gouvernement Erdogan encourage ses partisans et leurs entreprises à stimuler un mode de vie islamique. De nombreux témoignages troublants existent sur les formes de pression exercées tout particulièrement sur les femmes. Et d’abord celles qui ne sont pas vêtues de manière suffisamment « islamique » ou qui partagent l’espace public avec les hommes. Un nombre croissant d’hôtels et de municipalités offrent ainsi des piscines séparées, des maillots de bain de la tête à la cheville pour les femmes (le superbe hasema). Des publicités « immorales » ont été altérées par certains journaux en allongeant les manches et les jupes des mannequins. Et les imams, employés de l’Etat faut-il le rappeler, continuent de fustiger l’attitude des femmes qui osent sortir et travailler. Le projet de loi sur l’adultère qui devait criminaliser l’infidélité a du moins été abandonné sous la pression de l’Armée, des médias et de l’U.E. La presse proche du pouvoir insiste qu’il n’est pas approprié pour les médecins d’examiner les patients de sexe féminin, et vice versa. Certains étudiants en médecine ont mis beaucoup d’efforts pour tenter d’appliquer ces règles de la charia, mais les autorités hospitalières turques les en ont empêchés.

Dans ce pays réputé buveur de café, les hommes consomment en fait surtout du thé, du raki (le pastis local) et de l’excellente bière. Il faut bien constater qu’en une décennie les choses ont changé, de nombreux établissements ont tout simplement cessé de servir de l’alcool. Du fait des tracasseries et des menaces, les points de vente ont chuté de 12 % depuis 2005. Les municipalités gouvernées par l’AKP sont en train d’établir des zones sans alcool. Il est y désormais interdit aux clubs sportifs de vendre de d’alcool. Les entreprises de boissons alcoolisées ne peuvent plus parrainer des activités sportives. Enfin, l’instance nationale de régulation de la radio et de la télévision (RTÜK) entreprend désormais de censurer les scènes où l’on boit de l’alcool à la télévision.

Après la moralité, le Premier Ministre mène aussi des attaques sur deux autres fronts intérieurs. Il s’en prend aux enseignants du pays, mais aussi à la Justice. Un recteur d’Université, des professeurs, des magistrats, ont ainsi été mis sur la touche à partir d’accusations forgées de toutes pièces. L’indépendance d’une Cour n’a fait qu’intensifier la détermination de M. Erdogan de soumettre l’institution judiciaire. Un nombre considérable de diplômés d’écoles coraniques sont désormais nommés en tant que juges et destinés à servir de futurs instruments de la loi religieuse.  Bien plus, Recep Erdogan a menacé de se dispenser de l’appareil judiciaire !. Cela provient d’une autre attaque montée par le gouvernement contre les universités laïques du pays, dossier porté devant la Cour européenne des droits de l’Homme par une étudiante qui a insisté pour avoir le droit de porter en classe le voile prohibé. Cet appel ayant été rejeté, M. Erdogan a alors déclaré : « Cette Cour n’a pas le droit de se prononcer sur cette question. Ce droit dépend des seuls oulémas (clercs musulmans) ».

Recep Erdogan n’est pas un politicien parmi d’autres, venu de nulle part. C’est un croyant doublé d’un militant. Issu d’une école coranique, il a été modelé par une confrérie islamique, (tarika) C’est un univers complexe mais incontournable dans le monde turcophone. Elles regroupent des millions d’adeptes et disposent de structures et de revenus solides. Elles ont largement participé à la réislamisation de la vie politique turque au cours des dures décennies 1980-1990. Parmi elles, celle des Nurcu (pron. Nourdjou) Elle fut fondée en 1926 par Said Nursi, un kurde qui fut d’une part un spiritualiste et d’autre part une éminence grise. Ils allient l’éloge de l’économie de marché, l’incitation à l’étude et la nostalgie du califat aboli par Kemal Atatürk en 1924. Aujourd’hui la figure centrale de cette galaxie est Fetullah Gülen qui prône une vision conservatrice de l’islam. Il a été condamné dès 1998 pour « tentative de saper les institutions laïques du pays et dissimulation de ses méthodes derrière une image modérée et démocratique ».

En exil aux Etats-Unis, il a bâti un empire, qui allie sans vergogne nationalisme turc « néo-ottoman » et télévangélisme à l’américaine. Il dirige ainsi aujourd’hui un réseau de plus de 300 écoles islamiques et six universités en Turquie sans compter 200 écoles à l’étranger, de la Tanzanie à la Chine, du Maroc aux Philippines, et, bien sûr, dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Une banque, plusieurs chaînes de télévision, des journaux, un site internet en douze langues et de nombreux organismes de bienfaisance complètent cet arsenal.

Officiellement, son mouvement compte environ un million de fidèles, y compris …des dizaines de milliers de fonctionnaires, de diplomates et de magistrats turcs protégés par le Premier ministre Recep Erdogan, son fidèle disciple. Aussi, un tribunal d’Ankara l’a-t-il acquitté d’accusations d’avoir créé une « organisation illégale dans le but de renverser l’État laïque de Turquie pour le remplacer par un État régi par la charia ». Nombre de Turcs, démocrates ou kémalistes, le comparent à Khomeiny et craignent en effet que son retour en Turquie ne transforme Ankara en un autre Téhéran. Sous une apparence de piété mystique, pensent-ils, Fetullah Gülen et ses disciples projettent de transformer la Turquie en théocratie.  Les gouvernements du Turkménistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan ne sont pas loin de le penser qui se méfient de ses écoles qui forment là-bas de nouvelles élites.

Les Nurcu et Fetullah Gülen n’ont en effet pas chômé. Ils ont élaboré une synthèse turco-musulmane, véritable métapolitique islamique, qui a coloré par étapes le pouvoir. En témoignent l’ancien premier ministre et président de la république Turgut Özal (décédé en 1993), l’ancien premier ministre Necmettin Erbakan (en 1996-97), l’actuel premier ministre Erdogan, mais aussi Bülent Arinc, président du parlement en 2002–07, l’ancien Ministre des affaires étrangères et actuel président de la république, élu en 2007, Abdullah Gül. Tous proviennent de la confrérie ou ont été fortement influencés par elle.

Le gouvernement turc vient d’ouvrir une « filiale Europe » pour sa DINAYET. Si les oulémas que la Turquie enverra à Bruxelles adhèrent aux enseignements de Fethullah Gülen, les Européens ont de quoi s’inquiéter.  Une source proche des milieux militaires turcs nous le confirme : au-delà de ce qu’il est convenu de nommer le « camp occidental », la Turquie s’éloigne consciemment un peu plus chaque jour du modèle de laïcité qu’elle prétendait afficher dans le monde musulman. « Ils se montrent sans masque désormais. Il y a un gouvernement islamiste et un président islamiste. Tout est désormais en place pour réislamiser à fond le pays ». Loin de vouloir adhérer aux droits de l’Homme et au modèle européen, le parti au pouvoir a simplement considéré le processus d’accession à l’U.E. comme « un moyen d’empêcher l’armée d’intervenir pour préserver le gouvernement laïque » C’est elle en effet qui sera le dernier obstacle à la consolidation du pouvoir islamiste en Turquie.

La Turquie peut cependant parler aujourd’hui beaucoup plus librement que la plupart des pays musulmans à commencer par les pays arabes. Il ne faut pas sous-estimer notre voisine. Son armée demeure la seconde de l’OTAN par ses effectifs. Elle représente la 15e économie mondiale et siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle joue donc dans la cour des grands et entend être respectée. A Davos le 30 janvier dernier, Recep Erdogan l’a rappelé à sa façon : excédé depuis plusieurs semaines par l’intervention israëlienne à Gaza qui l’avait surpris au moment même où il s’employait à relancer les négociations syro-israéliennes, il s’est fâché, a mouché Shimon Peres avant de claquer la porte. Au cours de la conférence de presse qui a suivi, il a déclaré que le Président israélien ne devait pas le traiter « en chef de tribu » et qu’il apprendrait encore comment on s’adresse au Premier Ministre de la Turquie. Sacré Erdogan !

Dominique FABRE, Minute 20 mai 2009.

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