27/08/2007
Transformers
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Ric Hoogestraat est un homme de 53 ans, queue de cheval grisonnante, moustache en guidon de vélo, look biker sur le retour. M. Hoogestraat habite Phoenix, Arizona. Il a fait un tas de métiers : instituteur, professeur de ski, marchand itinérant d'huiles essentielles, graphiste sur ordinateur. Maintenant, il est opérateur dans un centre d'appels téléphoniques. Un travail qui lui laisse du temps libre.
Il s'est remarié pour la troisième fois voilà sept mois. Sa nouvelle épouse, Sue, 58 ans, regarde la télévision dans le salon, pendant que Ric emmène une rousse incendiaire sur sa moto pour une longue course, cheveux au vent, dans les collines.
M. Hoogestraat est bigame, ce qui lui a valu un long article dans le très sérieux quotidien américain de la finance, The Wall Street Journal. Bigame, enfin, pas vraiment. Virtuellement bigame. Cet Américain moyen fréquente en effet assidûment Second Life, cet univers étrange situé quelque part dans le cyberespace où se téléportent plus de huit millions de Terriens, et chaque jour il en débarque davantage. On a déjà beaucoup écrit sur Second Life (notamment dans Le Monde 2 du 2 décembre 2006, et ici même sous la plume de Jean-Michel Dumay, le 30 avril), ersatz de planète Terre qui petit à petit se meuble - en faux - de tout ce qui nous casse les pieds - en vrai (spéculation, banques, boutiques de marques, publicité, ciné porno, meetings politiques, cabinets de recrutement...). Avoir une épouse dans chaque monde est une situation de plus en plus fréquente, qui pose des questions nouvelles et intéressantes sur les plans psychologique et juridique.
Dans Second Life, Hoogestraat s'appelle Dutch Hoorenbeek. Il s'est fabriqué un avatar qui lui ressemble, mais, sans lui faire injure, en plus jeune et en mieux. Il en a profité pour changer de métier et s'est lancé dans le business avec succès. Dans sa seconde vie, il possède plusieurs boutiques, un club de plage privé et un dancing. Il est à la tête d'une petite fortune d'environ 1,5 million de linden, l'unité monétaire du lieu, soit environ 6 000 dollars réels.
Il a rencontré Tenaj Jacklope chez des amis avatars, et cette jolie rousse lui a tapé dans l'oeil. En chair et en os, elle s'appelle Janet Spielman et elle est beaucoup moins sculpturale que son double, mais ce n'est pas l'important. Ce ne sont pas Janet et Ric qui sont tombés amoureux, mais bien Dutch et Tenaj, tout est dans cette nuance. Ils se sont mis en cyberménage, ont adopté deux cyberchiens, se promènent sur la cyberplage, invitent leurs cyberamis et, bien sûr, font le cyberamour. Ils ne se sont jamais vus dans la réalité, ni même parlé au téléphone, mais ils sont cybermariés selon les rites de Second Life qui sont les mêmes que dans la vie, mais pas vraiment, parce que ça ne compte pas, enfin pas tout à fait.
Mme Hoogestraat commence a en avoir par-dessus la tête. Son mari est capable de rester dans Second Life de 6 heures du matin à 2 heures du matin. C'est un addict. Un samedi soir qu'il était parvenu à attirer Sue devant son ordinateur, il lui a présenté Tenaj par surprise : "Mme Hoorenbeek", a-t-il dit sobrement. Elle ne sait plus quoi faire.
Le couple Hoogestraat n'est pas une exception. On recense de plus en plus de couples brisés pour cause d'infidélité virtuelle. Peut-on pour autant classer ce genre de situation dans la catégorie des adultères au sens légal du terme ? Pas encore, répondent les juristes, même si les avatars peuvent se livrer à des simulations d'actes sexuels. En revanche, ajoutent-ils, la cyberbigamie peut être aisément retenue comme une cause de divorce, bien réel celui-là, et constituer un argument déterminant pour décider de la garde des enfants. Certes. Mais on n'a pas encore prévu le cas suivant qui va bien arriver un jour : si un couple virtuel se sépare, qui gardera les cyberbébés ?
Jacques Buob
Article paru dans l'édition du 26.08.07.
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25/08/2007
L'égalité des mamifrères
Une initiative populaire fédérale propose la modification de la Constitution et l’inscription dans le texte fondamental d’une obligation de protéger les animaux et d’assurer la défense de leurs droits par un avocat.
Cette initiative, dont la date limite était fixée au 15 mai 2007, a réuni plus de 100.000 suffrages et vient d’être déclarée valable par la Chancellerie fédérale. Elle propose l’insertion d’un article 80, al. 4 et 5 (nouveaux) dans le texte constitutionnel :
Art. 80 al. 4 - La Confédération édicte des dispositions sur la protection des animaux en tant qu'êtres vivants doués de sensations.
Art. 80 al. 5 - En cas de procédures pénales motivées par des mauvais traitements envers des animaux ou par d'autres violations de la législation sur la protection des animaux, un avocat de la protection des animaux défendra les intérêts des animaux maltraités. Plusieurs cantons peuvent désigner un avocat de la protection des animaux commun.
10:00 Publié dans Au nom du peuple | Lien permanent | Commentaires (0)
23/08/2007
Mano nera (II)
La mafia calabraise à la conquête de l'europe
La tuerie du 15 août, à Duisbourg, où six jeunes Calabrais ont été liquidés en pleine ville, a révélé à la fois la sauvagerie des vendettas entre clans de la 'Ndrangheta et l'internationalisation de la mafia calabraise qui a su adapter ses valeurs archaïques aux nécessités des sociétés industrielles avancées...
De notre correspondante à Rome, Marcelle Padovani
Surveillé, quadrillé, militarisé, San Luca attend la vendetta. Tous les mâles ont pris préventivement la fuite de ce patelin de 4 500 âmes au pied de l'Aspromonte, en plein coeur de la Calabre. Un silence irréel monte des maisons basses accrochées aux rues en pente. Un silence entrecoupé seulement des cris des femmes dont les fils sont tombés en Allemagne, à Duisbourg, le 15 août. On se croirait dans un film de guerre. Quiconque se hasarde à mettre le nez dehors scrute d'abord l'horizon avant de tenter l'aventure. A l'entrée de la petite ville, le panneau routier qui annonce San Luca est criblé de 16 balles. "C'est un patelin de vivants qui vivent comme des morts", dit le curé de Santa Maria délia Pietà.
San Luca attend donc la vendetta. Aujourd'hui, demain, dans six mois. "Le 2 septembre serait une bonne date, hasarde un carabinier. Parce que c'est la fête de la Madonna dei Polsi, vénérée par les mafiosi." Mais la vengeance n'aura pas forcément lieu en Calabre. Il n'y a plus de frontières pour les "'ndranghetisti" : pour venger l'assassinat, à Noël 2006, de Maria Strangio, son clan n'a-t-il pas attendu la mi-août et fait le déplacement jusqu'à Duisbourg pour y descendre six membres présumés du clan rival, les Vottari-Pelle ? "Les représailles pourraient avoir lieu au Canada, en Australie ou pourquoi pas ? - en France, à Nice par exemple, ou Saint-Etienne ou Clermont-Ferrand, où les clans calabrais ont énormément investi", dit Vincenzo Macri, magistrat à la Direction nationale Anti-Mafia. Cet enquêteur n'a pas été surpris par les événements de Duisbourg. Pour lui, il s'agit seulement de la chronique d'un massacre annoncé.
Mais revenons aux faits, à ce 15 août 2007, lorsque, vers 2h30 du matin, six jeunes Calabrais qui viennent de fêter les 18 ans de l'un d'eux, Tommaso Venturi, se dirigent dans Mülheimer Strasse vers leurs voitures, une Golf et une Opel. Sebastiano, 40 ans, cuisinier du Da Bruno, a fermé la porte en verre blindé de l'un des plus coûteux restaurants de la ville. Les six s'installent dans leurs voitures. Une gerbe de feu les fauche immédiatement. On trouvera sur le sol 70 douilles. Et le cadavre d'un délinquant appelé Marco Marmo, venu en Allemagne négocier un chargement d'armes à rapatrier en Calabre. Cet homme, étroitement surveillé par la police italienne, qui avait placé une puce électronique dans sa voiture et pensait le coffrer à son retour en Italie avec son chargement, était considéré à San Luca comme le responsable de l'assassinat de Maria Strangio à Noël.
Même si les médias ont eu l'impression de découvrir d'un coup la puissance de feu de la 'Ndrangheta et de ses ramifications internationales, les enquêteurs italiens, eux, ne sont pas étonnés par la vendetta de Duisbourg. Des écoutes téléphoniques récentes laissaient prévoir des événements dramatiques : "Tuons les tous", "Ces couillons de Vottari nous les cassent depuis des siècles". La police avait même découvert, en mars dernier, lors d'une perquisition dans une maison du clan Vottari à San Luca, un souterrain auquel on accédait grâce à un mécanisme hydraulique qui actionnait un ascenseur camouflé sous le carrelage de granit : quatre lits, un réfrigérateur bien fourni, des téléviseurs, des DVD, un pistolet-mitrailleur Skorpion, deux pistolets, 300 cartouches, un appareil radio calé sur les fréquences de la police et... un dépliant sur la trattoria Da Bruno à Duisbourg. L'empire allemand de la 'Ndrangheta avait même été soigneusement répertorié. Et de longue date. Pietro Grasso, procureur national anti-mafia, rappelle une vieille écoute téléphonique remontant à 1989 le jour de la chute du mur de Berlin. Un mafioso téléphonait à un autre : "Va à Berlin-Est et achète." "J'achète quoi ?", disait l'autre. "Tout. Bars, restaurants, immeubles." Aussitôt dit, aussitôt fait. La 'Ndrangheta s'empare alors de vieux palais à moitié détruits, d'édifices en tout genre, de restaurants. Pour une bouchée de pain. C'est donc avec la chute du Mur que commence l'épopée germanique des Calabrais, y compris ceux de San Luca. Ils investiront peu à peu les profits du trafic de drogue, à Bochum, à Munich, à Stuttgart. Un rapport du BND, les services secrets allemands, daté de novembre 2006, envisage même que les investissements mafiosi soient arrivés à la Bourse de Francfort, spécialement dans le secteur de l'énergie. Dans Gazprom par exemple où ils auraient 3% du capital. De leur côté, les Italiens avaient produit une carte détaillée, avec noms et prénoms, des familles calabraises présentes en Allemagne dans une quarantaine d'établissements de l'ex-République démocratique et une trentaine en Allemagne fédérale. Mais leur rapport n'eut pas de suite. Une malheureuse sous- évaluation de la part des collègues allemands ?
L'épopée internationale de la 'Ndrangheta ne s'arrête pas sur les bords du Rhin. Et on redécouvre aujourd'hui une vérité établie par le juge Giovanni Falcone : la puissance du modèle criminel enraciné dans la réalité locale; l'importance du dialecte comme barrière de protection; la force d'une petite communauté de langue et de sang. L'exportation intégrale de ce modèle en terre étrangère assure une imperméabilité et une fiabilité sans précédent aux Calabrais. Les Colombiens l'ont compris qui leur ont confié, semble-t-il, un tiers du trafic de la cocaïne dans le monde. Un rapport de la DIA (Direction des Investigations Anti-Mafia), daté de 2006, détaille le business mondial de la 'Ndrangheta : trafic de stupéfiants, trafic d'immigrés et immobilier en Allemagne. Idem aux Pays-Bas. En Suisse, ce sont les trafics d'armes et de haschisch qui dominent. En France, celui de la cocaïne et les investissements immobiliers (sur la Côte d'Azur). En Australie, le trafic d'armes et d'héroïne, ainsi que les jeux de hasard. En Afrique du Sud, le trafic de diamants, bien sûr, et au Canada, aux Etats- Unis et en Colombie, le trafic de drogue. En Russie, le trafic de drogue, l'immobilier et la contrefaçon de roubles et de dollars. Dès 1993, au moment où la Russie s'ouvrait aux capitaux étrangers, les magistrats de Locri (Calabre) découvraient ainsi un recyclage fabuleux entre Moscou et leur terre. Et des mafiosi qui étaient prêts à payer cash une aciérie et une usine chimique à Saint- Pétersbourg avec l'équivalent en roubles de 2 600 milliards de lires prélevées dans une banque allemande... Mais qu'est-ce qui fait le succès mondial de la 'Ndrangheta sur la scène du crime et de l'illégalité ?
Retour à l'histoire. Le 'ndranghetiste - du mot grec ndrangatos, qui signifie homme valeureux et courageux - a des origines lointaines. Thucydide et Plutarque parlent déjà de lui. C'est quelqu'un tout d'une pièce, sourcilleux sur son honneur, qui, lorsqu'il devient criminel, est un adversaire redoutable en raison de sa détermination et de sa férocité. Un officier français, Duret deTavel, envoyé par Murât en Calabre, écrit déjà en 1808 que "les Calabrais sont de stature moyenne, bien proportionnés et musclés. Ils ont une peau sombre, des traits marqués, des yeux vifs et brûlants. A cause des haines qui opposent les familles, ils sortent toujours armés de fusils, de poignards et d'une ceinture en forme de giberne qui contient des cartouches". Duret de Tavel savait aussi que la vraie force du Calabrais, et du 'ndranghetiste, lui vient de ses liens familiaux exclusifs (dans quelle autre région du monde existe-t-il une myriade d'organisations criminelles dont les membres appartiennent tous à une seule et même famille ?) et de son apparente arriération culturelle. L'archaïsme devient alors une défense et un atout. La 'Ndrangheta est ainsi une organisation horizontale (contrairement à la Cosa Nostra sicilienne, pyramidale et hiérarchisée), sans chef incontesté (mieux : avec des chefs interchangeables), qui contrôle à la perfection son territoire (en Calabre et ailleurs) et le conteste à l'Etat légal. Et qui organise scientifiquement ses trafics nationaux (pourcentages, travaux publics) et internationaux (drogue et armes). La 'Ndrangheta est un interlocuteur obéissant, fidèle, fiable, courageux. Et muet. Quelle meilleure garantie d'omerta que de n'avoir à rendre des comptes qu'à sa propre famille de sang ? C'est d'ailleurs pourquoi il n'y a pratiquement pas de "repentis" dans l'organisation calabraise. L'un d'eux, un certain Antonio Zagari, s'est contenté de raconter aux enquêteurs des événements mineurs, comme par exemple la légende qui accompagna sa propre naissance : "Peu après que j'ai vu le jour, mon père a placé dans mon berceau une clé et un couteau, comme le veut la coutume. Si j'avais touché en premier la clé, je serais devenu flic. Si j'avais touché le couteau (et je l'ai touché), je serais devenu 'ndranghetiste. Ehonneur de la famille était sauf."
La confédération mafieuse calabraise a ainsi réussi à constituer un réseau qui couvre le monde entier et qui est quasiment imperméable à la répression, car si un affilié est arrêté, il n'ouvre guère la bouche et se trouve aussitôt remplacé par son "clone", comme dit Vincenzo Macri. Selon lui, la 'Ndrangheta a tiré "avantage du préjugé qui voulait qu'une organisation criminelle archaïque et grossière ne pouvait pas négocier avec les cartels internationaux".
"Qui aurait pu croire il y a vingt ans, continue Macri, qu'un patelin de bergers apparemment analphabètes comme San Luca pouvait devenir la capitale du monde des affaires illégales ? Que ce coin perdu de l'Europe occidentale deviendrait l'un des principaux centres du trafic international de la drogue ?" Car il l'est devenu. Les trafiquants colombiens ont fait sa fortune. Reconnaissant la fiabilité financière et "mo rale" des Calabrais, dès les années 1980, lorsque Cosa Nostra commence à décliner, sous les coups de la répression, et finit par abandonner la gestion directe de la drogue. Les Calabrais venaient de mettre un terme à leur expérience des séquestrations de personnes (157 !), qui n'avaient rapporté que dans les 220 milliards de lires. Tandis que la "coke", vendue 50 à 100 euros la dose sur les places européennes, rapportait cent fois plus."Il n'y a plus un gramme de cocaïne qui ne soit sur les marchés du Vieux Continent sans la bénédiction de la 'Ndrangheta", dit un enquêteur. Pour ce faire, les Calabrais ont établi en Colombie des rapports directs et exclusifs avec les Forces armées révolutionnaires (Farc) et les Forces unies d'Autodéfense (AUC) de Salvador Miguel Mancuso, dit El Mono, qui serait d'origine italienne, et qui fait l'objet de 23 mandats d'arrêt internationaux.
Alors ceux qui voient dans la tuerie de Duisbourg le dernier, ou avant-dernier, acte d'une faida (" suite de vengeances ") ancestrale entre deux familles de la Calabre profonde, une espèce de folklore résiduel de populations méridionales arriérées, doivent impérativement réviser leur copie. Si tout semble né un 14 février 1991 avec un lancement d'oeufs inopportun un jour de carnaval, entraînant 20 morts en seize ans dans les deux familles adverses, il faut pour comprendre la situation actuelle dépasser les clichés sur le culte rétrograde de l'honneur dans la Calabre sous-développée. La 'Ndrangheta a "prouvé de longue date qu'elle savait adapter ses valeurs archaïques aux nécessités d'une société industrielle avancée", comme dit Gian Maria Fara, directeur de l'Institut Eurispes. Car la 'Ndrangheta sait être à la fois traditionnelle et innovante, médiévale et moderne, avec son chiffre d'affaires qui approche les 40 milliards d'euros. Capable d'intervenir partout dans le monde, en tout cas là où elle a un locale, un honorable et enraciné représentant de la famille. Il risque donc d'y avoir d'autres Duisbourg...
Mais dans ce tableau inquiétant de la puissance mafieuse calabraise, un point noir demeure : ce n'est jamais bon signe lorsqu'une organisation criminelle passe à la guerre en éliminant ses rivaux "intérieurs". "La guerre mafieuse est un indice de vulnérabilité, dit Macri. Elle ouvre la porte à la répression, car même le simple nom des morts est un indice précieux pour la police." Il y a gros à parier que les enquêteurs allemands qui travaillent sur le massacre de Duisbourg aimeraient partager cet optimisme.
Marcelle Padovani
Le Nouvel Observateur
Semaine du 23 août 2007
08:30 | Lien permanent | Commentaires (0)