Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/02/2007

Pour en finir avec l'affaire Heidegger

Polémique

Par Patrice Bollon

Marianne, n° 507 Semaine du 06 janvier 2007 au 12 janvier 2007

Un ouvrage consacré à l'auteur d' "Etre et temps" dont la publication avait été annulée relance le débat sur celui qui fut à la fois l'un des plus grands philosophes du XXe siècle et un national-socialiste exalté.

C'est sans conteste le grand feuilleton de la philosophie contemporaine. Une controverse apparemment interminable, avec tous les ingrédients du genre, ses "révélations" successives, ses exclusives, ses procès d'intention, ses insultes: depuis 1945, partisans et adversaires de Martin Heidegger (1889-1976) rien finissent pas de s'affronter sur le sens à donner à son engagement (et, avant cela, sur son ampleur) dans le national-socilaisme. Si cette histoire fait naître tant de passion, c'est qu'elle ne concerne pas un philosophe parmi d'autres, un sans-grade, mais l'un des deux "grands" du XXe siècle, avec Wittgenstein, qui, chacun a sa manière, ont reorienté la philosophie, lui ont ouvert de nouveaux chemins. Un philosophe qui a exercé, en outre, une influence considérable sur des penseurs tels que Sartre, Foucault, Derrida, Levinas en France, Marcuse, Jonas ou encore Arendt aux Etats-Unis, etc. , qu'on ne peut guère classer, pour peu que ces, notions aient un sens en philosophie, à droite, dans le camp de la "réaction". Heidegger à plus forte raisonFayard, 2007., qui paraît ce mois-ci, est la dernière en date des péripéties du débat. Le livre a déjà toute une histoire derrière lui. Conçu comme une réplique aux attaques portées par Emmanuel paye dans son écrasant pamphlet de 600 pages Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophieAlbin Michel 2005., paru au printemps 2005, il s'agit d'un ensemble de "contributions", édité par un des meilleurs spécialistes français de l'auteur d'Etre et temps, François Fédier. Le recueil devait paraître en mars de l'année dernière chez Gallimard. Des épreuves en avaient même circulé dans les rédactions des journaux. Sa publication fut d'abord repoussée à la rentrée de septembre 2006, puis Fedier recevait, l'été dernier, une lettre recommandée annulant purement et simplement le contrat d'édition. Bien que Gallimard n'ait pas cru bon d'expliquer ce geste, on a pu comprendre que la maison qui a publié la majorité de l'oeuvre d'Heidegger, souvent traduite... sous l'égide de Fédier, reculait devant les menace s voilées des défenseurs de l'ouvrage de Faye, et de son auteur lui-même. Dans un entretien avec un journaliste du Monde, ce dernier déclinait toute responsabilité, tout en faisant. remarquer sournoisement que Fédier était plus ou moins coupable de négationnisme, puisqu'il défendait Jean Beaufret, l'introducteur en France de l'oeuvre d'Heidegger, qui avait défendu le droit à la liberté d'expression de Roben Faurisson en 1978!

Comme on le voit, la querelle est à son comble et fait feu de tombons. Les partisans d'Emmanuel Faye ne comptent d'ailleurs apparemment pas s'arrêter là. Lors de la publication de son livre, on avait déjà noté une étrange unanimité des commentateurs en sa faveur. Les rares critiques qui en avaient dénoncé les approximations ou les franches erreurs avaient même conduit une série d'intellectuels, dont l'historien Jean-Pierre Vernant, à signer une pétition pour soutenir le livre. Et, derrière cette pétition, s'annonçait une autre revendication, prolongeant les "conclusions" de Faye: l'oeuvre d'Heidegger devrait, selon certains, se voir tout simplement retirer des bibliothèques de philosophie pour être versée dans les fonds de documentation sur l'histoire du nazisme et de l'hitlérisme! L'éventualité d'un autodafé n'a pas encore été évoquée, mais on y viendra peut-être...

Pour remettre un peu d'ordre dans ce débat confus, le mieux est de revenir aux faits les plus incontestables. Heidegger s'est bel et bien engagé aux côtés du national-socialisme. D'avril 1933 à février 1934, l'auteur d'Etre et temps, paru en 1927 et demeurant un des "monuments" de la philosophie du XXe siècle, a rempli la fonction éminente de recteur de l'université de Fribourg-en-Brisgau qui, bien que procédant d'une élection, était impossible à occuper sans l'aval des nouvelles autorités politiques (Hitler fut nommé chancelier du Reich par Hindetiburg le 30 janvier 1933). A ce poste, il multiplia les discours et les appels en faveur du régime national-socialiste naissant, ponctués de vive Hitler! et de Sieg Heil! , participa le bras tendu à des cérémonies officielles, et prit solennellement sa cane du Parti nazi (NSDAP) le 1ermai 1933, dont il s'acquitta des cotisations jusqu'en 1945! Un passé qui lui valut de comparaître en 1946 devant une commission de "dénazification", qui l'interdit d'enseignement pour trois ans.
A partir de ces faits publics, appréciations et commentaires, comme on s'en dôme, divergent. jusqu'à quel point Heidegger a-t-il adhéré au nazisme? Quelle en fut la raison? Et dans quelle mesure cette participation entame-t-elle la valeur de sa pensée, voire la ruine-t-elle? Des réponses fort diverses ont été apportées à ces interrogations. Après une accalmie dans les années 60-70, la polémique est repartie en 1987, avec la publication de l'ouvrage du Chilien Victor Parias, Heidegger et le nazismeAlbin Michel 2005.. Ancien élève d'Heidegger, Parias apportait un certain nombre d'informations, certaines avérées, d'autres exagérées, révélant toutefois un degré d'implication du penseur très au-delà de ce qu'il avait lui-même avoué. Parias était bien obligé de reconnaître qu'on ne trouve aucune expression de racisme ou d'antisémitisme sous la plume d'Heidegger. Il suggérait pourtant que ce dernier avait baigné depuis sa jeunesse dans tout un courant d'idées chauvin, et que certains éléments de sa pensée entraient en "consonance" avec l'idéologie nazie.

Contestable, le livre de Farias a eu néanmoins le mérite d'inciter à préciser la nature de l'engagement d'Heidegger. Car Heidegger ne s'est pas rallié au nazisme par adhésion politique au sens strict, et pas plus, comme beaucoup, par opportunisme, pour faire carrière. Il a cru en la perspective d'une "révolution" portée par le "mouvement" qui a accompagné la montée d'Hitler. Proche des cercles d'étudiants dominés par les SA de Rhöhm, soit de la fraction prolétarienne-populiste du NSDAP ce maximaliste a vu dans la prise du pouvoir par le Führer l'opportunité d'un bouleversement spirituel complet, la possibilité pour l'Allemagne et les Allemands d'accéder à un "surcoît d'étant" , à un "devenir-manifeste de l'être": la réalisation, autrement dit, dans la société allemande de ce qu'il prônait au niveau individuel, quand il critiquait le règne du "on", de l'opinion, et lui opposait la notion d'"authenticité".

Pareil objectif n'allait pas, chez lui, sans un certain cynisme ou, du moins, pas mal de recul. A ses amis, surpris par son brusque amour pour le "petit caporal" Hitler, on sait ainsi qu'il avait coutume de répondre: "A bûche grossière, hache grossière!" Bref, Heidegger n'était pas un prohitlérien banal: c'était un exalté, qui a cru, naïvement, qu'il lui serait possible de ployer le nazisme vers ses propres fins, lesquelles en étaient fort éloignées, voire, à bien des égards, totalement opposées. Ce que montre sans ambiguïté le célèbre discours, tant commenté, de rectorat de mai 1933. Contre l'instrumentalisation idéologique que devait y introduire la phase de "mise au pas" hitlérienne de la société allemande, il y appelait en effet au maintien de l'université allemande en tant que telle, soit à la défense de son autonomie.
Heidegger appartenait, autrement dit, au courant multiforme, dont participait pour une paît le nazisme, de la "révolution conservatrice", de ceux qui, comme Ernst Jünger, militaient pour un ressourcement spirituel du peuple allemand et l'appelaient à renouer avec ses "origines". Si ce n'est que, pour Heidegger, celles-ci ne résidaient pas, comme pour l'idéologie hitlérienne officielle, dans un passé aryen fondé sur la race, mais dans la pensée grecque. Malgré les convergences avec l'hitlérisme, cela n'en fait donc pas un "nazi" au sens courant du terme. On peut être en désaccord avec lui sur l'opportunité et les fins d'une "révolution" telle qu'il l'envisageait; rien ne permet d'en induire qu'il a anticipé, et encore moins soutenu, la destruction des juifs.

Au demeurant, il dut très vite déchanter. Car les technocrates ont eu tôt fait d'évincer les activistes dans son genre, et d'évacuer peu à peu toute possibilité d'une " révolution spirituelle" ou "métaphysique" telle qu'il l'escomptait, D'ou sa démission du rectorat, en quelque sorte par "révolutionnarisme déçu", quelques mois seulement avant la Nuit des longs couteaux, du 29 au 30 juin 1934, soit l'élimination de tous ceux qui rêvaient, comme lui, de "poursuivre la révolution".

Contrairement à ce qu'il affirma devant la commission de dénazification de 1946 puis dans son entretien posthume paru dans l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, Heidegger continua d'entretenir des liens avec le régime. Il ne fut jamais vraiment "mis à l'écart", ainsi que le soutiennent ses supporteurs les plus enflammés. S'il fut critiqué par certains nazis pour son "nihilisme", il bénéficiait, semble-t-il, de solides soutiens au sein d'une partie de l'appareil idéologique du IIIe Reich, qui était loin d'être unitaire. Son discours de rectorat ne cessa ainsi d'être réédité. Et il fut pressenti, un temps, pour diriger une école de formation des professeurs du Reich à Berlin, soit pour devenir l'idéologue des futurs Idéologues. Il reste qu'après cet intermède il n'exerça plus aucune influence politique majeure. Bien que resté fidèle à Hitler, il retournera à partir de 1934 à ses cours sur Nietzsche et Hôlderlin, et prendra de plus en plus de distance à l'égard du nazisme.

Voilà où on en était il y a un peu moins de deux ans, avant la publication du livre de Faye. Celui-ci soutient que dès Etre et temps la pensée même d'Heidegger aurait été prénazie, puis serait même devenue ultérieurement "négationniste" ou, plutôt, puisque le terme n'existe que depuis les années 70, "prénégationniste"! Les contributeurs rassemblés par Fédier n'ont, en réalité, guère de mal à déjouer les amalgames grossiers pratiqués par Faye, ses citations tronquées et ses contresens à répétition. Il faut, disons-le tout net, être assez familier avec la pensée d'Heidegger, et avoir fait de solides études d'allemand, pour suivre en détail les argumentations de ces réponses. Beaucoup mettent en effet enjeu des questions épineuses de traduction, à propos de termes tels que völkisch ("populaire", mais aussi "national") ou Boden ("sol"), courants en allemand, mais auxquels le IIIe Reich. expert en détournement linguistique, avait conféré un sens nouveau, trompeur. Contrairement à ce qu'insinue Faye, il est donc tout à fait possible de déplorer, avec Heidegger, le "manque de sol de la pensée", sans que cela révèle une quelconque collusion avec l'idéologie nazie du Blut und Boden, "du sang et du sol".
Si Heidegger à plus forte raison apporte nombre de précisions utiles, il n'est pas certain, en revanche, qu'il ramène toute la clarté souhaitable dans le débat de fond que soulève l'" affaire Heidegger". Car une fois admis que sa pensée n'entretient que des relations lointaines, comme une sorte d'"esprit du temps" commun, avec le nazisme, une fois même reconnu qu'elle lui est sur bien des points contradictoire (notamment par sa dénonciation du caractère antiphilosophique de la notion de Weltanschauung, de "vision" ou de "conception du monde", centrale dans le nazisme, qu'Heidegger devait critiquer dès 1938), il reste à comprendre ce qui a pu le conduire à interpréter l'hitlérisme comme une possible réalisation de ses thèses, ou un premier pas en sa direction. L'absence d'une théorie politique en bonne et due forme dans son oeuvre est un premier élément d'explication.

Heidegger croyait en effet que la philosophie devait, dans les moments exceptionnels, se rendre "maîtresse de son temps". En dépit de son entreprise de "destruction de la métaphysique", de dénonciation d'un discours "mort" pour retrouver par en dessous une pensée vivante, il continuait d'attribuer à la réflexion une fonction de pouvoir. Méprisant le sens commun, tel Platon, il privilégiait les apports de la théorie sur l'opinion, et n'hésitait jamais à pousser au bout ses raisonnements. En cela, Heidegger s'est fourvoyé autant par radicalisme que parce qu'il faisait de "la vérité" un absolu. En quoi l'"affaire Heidegger" offre l'opportunité d'un examen en profondeur des fondements de la pensée occidentale sur ce point, de ses présupposés platoniciens, tant sur le plan philosophique que politique.

De cette indispensable réflexion sur la place et le rôle de la pensée dans la vie de la cité et ses liens avec le sens commun politique, que mènera justement plus tard, en panant d'Heidegger, Hannah Arendt, on ne trouve, hélas! pas la moindre trace dans l'ouvrage édité par Fédier, qui se contente de répondre, pièce par pièce, aux accusations des "antiheideggeriens". En réduisant ainsi le débat à un conflit entre "pro" et "anti", on peut même se demander s'il ne contribue pas à l'enferrer encore plus. Car la "faute" d'Heidegger n'a pas une dimension que morale, mais proprement théorique; ce qu'elle met en jeu, c'est la conception même de la démocratie, ses conditions de possibilité. Si l'on veut cesser de penser en rond autour de cette affaire, il devient, en bref, urgent de s'en saisir d'un point de vue philosophique. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pourra espérer sortir, un jour, de la vaine polémique, en tirer un vrai profit et rétablir à sa juste valeur, limites comprises, une des oeuvres parmi les plus profondes et les plus fécondes de la philosophie occidentale.

 

Commentaires

peut-être serait-il bon de se poser à propos de Heidegger, la question de sa pérrénité dans le temps ... que penseront de son oeuvre les êtres humains du 40 eme siecle ... La réponse donnera sans doute la juste valeur de son travail, comme le 20 eme donne la juste mesure de Platon ou d'aristote ...

Écrit par : faggiani | 11/02/2007

Je n'ai pas de parti-pris dans cette polémique et je me contente jusqu'à présent de faire circuler les pièces du débat. Ce que j'ai pu lire m'amène cependant à un constat et à une interrogation qui rejoint ton propos.
-Le constat tout d'abord:
Les universitaires patentés qui défendent Heidegger sont pour la plupart des érudits qui ne veulent pas voir leur objet d'étude et de passion sali par des accusations infamantes (les plus infamantes qui soient dans le contexte d'aujourd'hui). Ils réagissent de manière "corporatiste" et développent un argumentaire "classique" de contre exégèse. Ils n'ont pas l'initiative du débat et se retrouvent à chaque fois coincés par un climat général d'hystérie qui confère au soupçon un ascendant stratégique qui condamne leurs démonstrations, aussi érudite soient-elles. Ils agissent dans le cadre borné de leur discipline sans se rendre compte que l'horizon de la querelle est d'un tout autre ordre. Ils me rappellent ce faisant tous ces grands historiens droitiers que j'ai connus, forts attachés à la déontologie de leur métier, et indubitablement "supérieurs" quant au savoir concernant leur spécialité, mais toujours battus à plat de couture quand il fallait argumenter face aux écoles marxistes qui tenaient à l'époque le haut du pavé. Je note qu'en histoire ce sont toujours d'anciens membres du Parti ayant viré leur cuti qui ont fini par ridiculiser
les tenants des thèses "marxistes". C'est particulièrement évident en ce qui concerne l'historiographie de la Révolution française et de ses suites avec des François Furet et des Mona Ozouf,
par exemple. Leur apprentissage "révolutionnaire" leur avait enseigné les ficelles de la "mise en perspective" dialectique qui recadre la "monographie" dans un contexte offensif et ouvre la recherche pointilleuse sur un dehors en prise avec l'actualité. C'est ce genre de démarche qui permit à Annie Kriegel, par exemple, ancienne "commissaire politique" des étudiants communistes français, d'aborder l'histoire du PCF d'une façon totalement renouvelée qui devait s'avérer payante, non seulement en terme de savoir, mais du point de vue de la "désacralisation" de la geste héroïque du Parti.
Contrairement à ceux qui défendent le pré-carré heideggerien, ceux qui l'attaquent (les Faye et autres) "font la guerre" et situent leur "combat" dans une perspective stratégique qui dépasse largement l'horizon universitaire. Ils sont équipés "tout terrain" et développent des tactiques qui embrassent divers fronts dont celui, évidemment capital, des médias, que le grand universitaire classique "à l'ancienne" a tendance à mépriser. D'où son retranchement dans une spéculation "honnête" qui obéit à des codes dépassés. Il m'étonnerait qu'un Fédier ait réellement compris ce que signifient les attaques croisées contre Heidegger, Schmitt etc... Il n'a pas la culture subversive adéquate pour intégrer cette donne. Il n'y a pas en lui cette "méchanceté" qui fabrique le dissident véritable toujours appelé à dépasser son champ d'expertise pour concevoir l'ensemble du champ de bataille et décider d'une riposte tout azimut . Un Fédier ne voit dans ses adversaires que des gens "malhonnêtes" au mieux, que de simples maîtres de conférence au pire, qui ne maîtrisent pas les connaissances nécessaires pour se prononcer "ex-cathédra" . Bref le raisonnement habituel du sorbonnicole imbu des hiérarchie officielles et des patentes qu'elles distribuent. C'est la conscience de cette faiblesse congénitale, tant sur le plan globale de la théorie que sur le plan de la "praxis", qui avait accouché de la Nouvelle droite naissante (avec toutes ses faiblesses). AdB, surtout, a cherché à corriger à droite d'abord puis dans une relative solitude cette impuissance à intégrer le concept de "guerre des dieux" selon la métaphore de Jünger. Nos adversaires sont les desservants de cette guerre des dieux et ils n'ont malheureusement face à eux que des "spécialistes" c'est à dire dans le monde tel qu'il est des caciques cacochymes. Apprendre aux gens de "droite" (j'utilise ici ce terme par pure convention), même quand ils sont intellectuellement capable, à être "vicelard" est une tâche quasiment impossible...
-L'interrogation maintenant:
Il est bien évident que l'accusation portée à l'encontre de Heidegger le dévalue dans les mêmes proportions qu'elle réévalue le "nazisme" compte tenu, comme tu le dis si justement de la place du philosophe dans le "ciel de la pensée". Etant donné qu'à travers le terme valise de "nazisme" c'est tout un ensemble de concepts qui n'ont rien de spécifiquement "nazis" qui se trouvent visés. (C'est même une grande part de la culture et de la réflexion européenne que l'on tente, subrepticement, de biffer d'un trait de plume. Trait de plume qui trouve sa légitimité dans l'impact affectif que sollicitent chaque jour que Dieu fait le sort des victimes les plus sacrées. Heidegger lui même avait subodoré ce qu'il en serait au juste de l'instrumentalisation de l'épouvantail nazi dès 1946. Et Fédier a très opportunément ouvert son recueil avec "Mis à l'écart" d'où j'extrais les citations qui suivent. "La mise à l'écart dont je fais l'objet n'a au fond rien à voir avec le nazisme. On subodore dans la manière dont je pense quelque chose de gênant, sinon même d'inquiétant, dont on aimerait bien être débarrassé... quant aux Russes, plus exactement le technicisme européen sous son visage communiste... ils attaquent ma pensée avec la même rage que met la technocratie anglo-américaine à y voir un ennemi déclaré." Si nous ne baignions pas dans la doxa de l'antifascisme (motif retrospectif, certes, mais bien contemporain dans ses effets de sidération) l'offensive en règle dont fait l'objet cette "pensée dangereuse" serait à peine concevable. "Succès posthume de la stratégie "antifasciste" mise en route par Staline en 1934, est-on tenté de penser ? Mais Staline n'avait pas, à vrai dire, les mêmes buts que les héritiers contemporains du messianisme juif.
Donc, nous faisons le pari de ne pas être aux cotés des défenseurs acharnés du maître de Fribourg et nous disons oui, indubitablement, il a cru non au nazisme en tant que tel, mais à la grandeur intrinsèque que portait le "mouvement" de renaissance nationale. Il y a cru d'autant mieux qu'il n'était pas fermé aux sirènes "volkisch" et qu'il voyait dans l'égalitarisme fraternel de
la SA la force nécessaire à la recomposition d'une "communauté du peuple". Soit. Ces notions et bien d'autres peuvent elles de ce fait se trouver ennoblies par l'adhésion du grand penseur. Son incontestable supériorité dans l'exercice de la pensée et son installation dans un firmament difficile à contester sont elles susceptibles de permettre des réévaluations de ce genre? Je n'en sais rien. Mais je doute que le pouvoir d'hallucination acquis par la référence au nazisme et son instrumentalisation par des forces très hétérogènes (pas seulement "l'axe judéo-ricain") puisse se trouver ébranlé par une activité "intellectuelle", aussi habile soit-elle, surtout quand on sait ce qu'est devenu le statut du savoir et de l'université dans le contexte de la société de frivolité occidentale. Seuls des reclassements mondiaux de grande ampleur peuvent affaiblir cet axe et ôter à ses penseurs organiques les moyens et le prestige dont ils jouissent. Mais ne risquons nous pas de disparaître nous mêmes dans ces bouleversements géopolitiques?

Écrit par : Coclès | 18/02/2007

Les commentaires sont fermés.