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11/01/2006

Leo Strauss et la crise de la rationalité contemporaine

Corine Pelluchon , Leo Strauss une autre raison, d'autres lumières : Essai sur la crise de la rationalité contemporaine, Vrin 2005.

 

S'interroger sur l'héritage des Lumières modernes, c'est prendre la mesure de la crise de la rationalité contemporaine. Le communisme, le nazisme et les dérives de la démocratie ont déclenché la remise en cause d'un projet de civilisation lié à un idéal de maîtrise de l'homme et de la nature qui conduit à une nouvelle forme de tyrannie. Strauss pense que la crise de notre temps vient du fait que la question de la fin de l'homme a été exclue de la politique. Il procède à un examen de la modernité sur la base d'une reconstruction des Lumières qui montre où se situe la rupture entre les Anciens et les Modernes. Cet angle d'attaque explique son intérêt pour Jacobi et sa focalisation sur Spinoza et Hobbes dont les Lumières radicales reposent sur une définition de la raison et de l'homme qui est contestable. Elle souligne ce que les Modernes ont perdu dans leur combat contre la tradition. Mais la notion de Loi comme totalité religieuse, sociale et politique qui est commune aux philosophes grecs et aux auteurs juifs et arabes du Moyen Age complique la querelle entre Anciens et Modernes : pour Strauss, les Modernes sont chrétiens. Il s'agit donc de réactualiser le rationalisme classique et de penser la tension entre Jérusalem et Athènes qui est liée aux véritables Lumières. Celles-ci constituent une contribution positive à la philosophie politique, dont la propédeutique est la décomposition de la conscience religieuse et politique moderne. En analysant les présupposés qui nous empêchent d'échapper à la dialectique destructrice de la modernité, serons-nous enfin éclairés ? Quel est donc le testament de ce philosophe qui croise, sur le chemin du retour à la tradition, Rosenzweig et Scholem, débat avec Schmitt et Kojève, ne suit ni Kant ni Hegel, mais souhaite dépasser le nihilisme en restant fidèle à Maïmonide ?

 

 

Les maux du libéralisme

Nicolas Weill, LE MONDE DES LIVRES | 08.09.05

A propos de l’ouvrage de Corine Pelluchon

Comment s'attaquer à l'individualisme démocratique sans sombrer dans le nihilisme ni le fondamentalisme, et en évitant les pièges d'une pensée régressive, nostalgique d'un ordre révolu ? L'étude minutieuse que Corine Pelluchon propose de la philosophie de Leo Strauss (1899-1973) dévoile quelques-uns des chemins étroits de la critique constructive.

Ce philosophe juif allemand, émigré depuis 1937 aux Etats-Unis, ne constitue pourtant pas un cas facile. Revendiqué par une partie des "faucons" de l'actuelle administration américaine comme père spirituel, Strauss est aussi attaqué par les adversaires des néoconservateurs, pour son "élitisme" forcené et son éloge supposé du "noble mensonge" (au peuple), considérés comme autant de preuves d'un penchant secret pour la "tyrannie".

L'originalité de cet essai consiste à montrer que ces deux lectures résultent d'un contresens sur la notion de "Lumières" chez Strauss. Parce que ce dernier situe au XVIIe siècle la source du relativisme moderne, il serait à ranger dans le camp des rétrogrades, voire des réactionnaires, hostiles au libéralisme contemporain que les auteurs de ce temps auraient préfiguré.

Or rien n'est plus inexact que ce tableau, montre de façon convaincante Corine Pelluchon. Si Strauss est assurément un conservateur, il se présente avant tout comme un pédagogue qui excelle à diagnostiquer les maux du libéralisme mais sans sortir de ses limites et sans jamais indiquer d'alternative. Ce qui reste de lui, ce serait donc une inquiétude pour la liberté et non sa remise en cause.

Strauss reproche en effet aux Lumières modernes d'avoir dissocié la religion de la politique, et, par contrecoup, d'avoir fait de la foi une simple affaire de morale individuelle. Ce geste qui définit selon lui les "Lumières" dites "radicales" parce qu'elles évacuent, avec la dimension théologique, de la politique la question du bien-vivre dans la cité. Sans bien commun, le prosaïsme triomphe. Quand la nostalgie de l'héroïsme s'allie comme en Allemagne à une tradition fortement imprégnée de militarisme, cela donne le nazisme, que Strauss a dû fuir.

Cette modernité qui pour nous va de soi doit donc être restituée pour ce qu'elle est : l'objet d'un choix opéré à partir de Hobbes et de Spinoza, confondant la justice avec les droits d'un individu, épuisé dans son autonomie.

LA RÉVÉLATION ET LA RAISON

Le second pas nous entraîne à la découverte d'"autres Lumières", en l'occurrence le rationalisme médiéval incarné par les philosophes arabes comme le platonisant arabe Al-Farabi ou le juif aristotélicien Maimonide. Leurs oeuvres, en maintenant intacte la tension entre la révélation et la raison, font signe dans une autre direction.

Cet essai prouve en tout cas qu'il existe désormais une école straussienne européenne qui se montre plus attentive qu'on ne l'est aux Etats-Unis aux sources allemandes et juives de Strauss. Reprendre la querelle des Anciens et des Modernes, tel serait donc le remède aux maux de la modernité ? La rouvrir, en tout cas pour Strauss, signifie peut-être s'abstenir de la trancher.

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