05/09/2008
Justice et ramadan
Le Figaro du jour nous apprend qu'un procès relatif à une série de braquages commis à Rennes et à St-Malo en 2000 et 2001, est renvoyé au 19 janvier 2009, parce que le principal accusé respecte le ramadan.
Les avocats des parties civiles dénoncent une décision «aberrante».
L'ordonnance de renvoi ne mentionne pas explicitement le ramadan mais seulement "le souci d'une bonne administration de la justice" . Pourtant, selon plusieurs avocats rennais, ce renvoi est dû à l'observation par l'accusé du jeûne traditionnel musulman du ramadan.
Selon la demande de renvoi rédigée par les avocats du prévenu, «les contraintes diététiques et les obligations cultuelles qui s'imposent» à leur client musulman, qui aura «déjà vécu 14 jours de jeûne» au début de son procès - il doit se tenir le 16 septembre - l'empêcheraient de pouvoir se défendre correctement.
L'un des avocats, Me Yann Choucq, explique que «les contraintes du ramadan, d'un point de vue physiologique, mettent les gens en état de faiblesse physique». Mais, ajoute-t-il, «ce n'était pas le seul motif de renvoi». Le fait est que le juge leur a donné raison et a accepté le renvoi du procès.
A la fureur des avocats des parties civiles. Me Pierre Abegg, avocat de plusieurs d'entre elles, trouve ce renvoi «aberrant, c'est la première fois qu'on voit cela en France, nous ne sommes plus dans une République laïque». Même colère de Me Dominique Briand, pour qui cette décision «ouvre la porte à des choses qui ne sont pas souhaitables».
Le ramadan a commencé le 1er septembre, selon le Conseil français du culte musulman, qui définit cette date, basée sur le calendrier lunaire et souvent objet de controverses entre grandes mosquées. Il se terminera le 30 septembre.
De fait, on voit ici que la République accepte de tenir compte des obligations qui résulte, pour un croyant, de son respect pour la loi religieuse. Aurait-il été malade que le problème ne se serait pas posé. Mais dans la présente affaire ce qui peut troubler est en effet qu'une prescription juridique tirée d'un autre système normatif, en l'occurence le droit interne de l'Islam, puisse ainsi être opposé au droit français. On observera cependant que ce droit musulman est passé au crible du droit français et que ce n'est pas un juge musulman qui l'impose à la République, mais un juge républicain qui, dans le souci d'une bonne administration de la justice - cette mention est capitale - accepte de tenir compte d'une réalité qui justifie, à ses yeux, le renvoi du procès.
Où donc est alors le problème?
10:02 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (0)
27/06/2008
Le droit de porter des armes
La Cour suprême des Etats-Unis a pour la première fois confirmé le droit de chaque citoyen américain à disposer d'une arme pour son usage personnel et invalidé une loi qui en limite le port dans la capitale fédérale.
La municipalité de Washington a interdit la détention d'armes de poing et exige que les propriétaires de fusil conservent leurs armes déchargées, démontées ou neutralisées.
La plus haute juridiction du pays ne s'était pas penchée depuis 1939 sur le deuxième amendement de la Constitution, qui donne lieu à des lectures totalement divergentes. Elle n'avait pu alors trancher le débat constitutionnel.
Certains y voient la reconnaissance du droit de chaque individu à détenir une arme; les autres estiment qu'il s'agit d'un droit collectif qui ne peut être reconnu qu'en relation avec une affectation dans un service de police ou de garde.
Par cinq voix contre quatre, les magistrats ont estimé que le deuxième amendement protégeait le droit de chaque individu à posséder une arme et à en faire usage dans le cadre prévu par la loi.
Un individu peut ainsi utiliser son arme en cas de légitime défense dans sa maison, a expliqué le juge Antonin Scalia.
Il a toutefois précisé que ce droit, bien qu'étant constitutionnel, comportait certaines limites et a souligné que la décision de la Cour suprême ne remettait pas en cause les réglementations qui encadrent depuis longtemps la détention et le port d'arme.
C'est la première fois que la Cour suprême invalide une législation sur le port et la détention d'armes au motif qu'elle est contraire au deuxième amendement. Sa décision pourrait donner lieu à une série de recours contre les lois locales sur le contrôle des armes adoptées pour lutter contre la criminalité.
Sur cette question très sensible aux Etats-Unis, la majorité des magistrats, dont les deux juges nommés par le président George Bush, John Roberts et Samuel Alito, ont tranché en faveur de la ligne défendue par les libéraux-conservateurs.
"Nous sommes heureux que la Cour suprême ait affirmé que le deuxième amendement protège le droit des Américains à posséder et porter une arme", a déclaré le porte-parole de la Maison blanche Tony Fratto.
En revanche, l'un des quatre magistrats de la Cour suprême qui avait exprimé un avis contraire, a estimé que cette décision "menace de remettre en question la constitutionnalité des lois sur les armes dans tous les Etats-Unis".
Le candidat du Parti républicain à l'élection présidentielle, John McCain, s'est réjoui de la décision de la Cour suprême.
"A la différence d'une certaine conception élitiste qui considère que les Américains s'accrochent aux armes par amertume, ce jugement reconnaît que posséder une arme est un droit fondamental, sacré, toute comme la liberté d'expression et de réunion", a déclaré le sénateur de l'Arizona, faisant référence aux propos tenus par son rival démocrate Barack Obama. Pendant la campagne des primaires, le sénateur de l'Illinois a déclaré que les habitants des petites villes, amers, se raccrochaient aux armes et à la religion.
Les Etats-Unis détiennent le record du nombre d'habitants possédant une arme à feu. Les armes à feu font chaque jour 80 morts en moyenne aux Etats-Unis, selon les statistiques des Centers for Disease Control. Sur les 80 décès, il s'agit dans 34 cas d'un homicide.
Ecrit il y a plus de 200 ans, le deuxième amendement de la constitution américaine déclare: "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé".
Reuters, jeudi 26 juin 2008, Jeremy Pelofsky, version française Jean-Philippe Lefief et Gwénaëlle Barzic
06:44 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (4)
13/01/2006
Callicles
Il y a un dialogue de Platon qui s’appelle Gorgias, et que chacun peut lire. On y trouvera l’essentiel de ce qu’il y a dans Nietzsche, et la réplique du bon sens aussi, telle qu’on pourrait la faire maintenant, si l’on voulait réchauffer ceux que Nietzsche a gelés. Ces gens-là pensaient comme nous et parlaient mieux.
Donc on y voit un Calliclès qui se moque de la justice et qui chante une espèce d’hymne à la force. Car, dit-il, ce sont les poltrons qui ont inventé la justice, afin d’avoir la paix ; et ce sont les niais qui adorent cette peur à figure de justice. En réalité, aucune justice ne nous oblige à rien. Il n’y a que lâcheté et faiblesse qui nous obligent : c’est pourquoi celui qui a courage et force a droit aussi par cela seul. Que de Calliclès aujourd’hui nous chantent la même chanson ! – et que l’ouvrier n’a aucun droit tant qu’il n’a pas la force ; et que le patron et ses alliés ont tous les droits tant qu’ils ont une force indiscutable ; et qu’un état social n’est ainsi ni meilleur ni pire qu’un autre, mais toujours avantageux aux plus forts, qui, pour cela, l’appelle juste, et toujours dur pour les faibles, qui, à cause de cela, l’appellent injuste. Ainsi parlait Calliclès ; je change à peine quelques mots.
Quand il eut terminé ce foudroyant discours, tous firent comme vous feriez maintenant, si de semblables entretiens revenaient à la mode. Tous portèrent les yeux sur Socrate, parce que l’on soupçonnait assez qu’il se faisait une toute autre idée de la justice ; et aussi, sans doute, parce qu’on l’avait vu faire « non » de la tête à certains endroits. Lui se tut un bon moment, et trouva ceci à dire : « Tu oublies une chose, mon cher, c’est que la géométrie a une grande puissance chez les dieux et chez les hommes. » Et là-dessus je dirai, comme les joueurs d’échecs : « Bravo ! c’est le coup juste. »
Toute la question est là. Dès que l’on a éveillé sa raison, par la géométrie et autre chose du même genre, on ne peut plus vivre ni penser comme si on ne l’avait pas éveillée. On doit des égards à sa raison, tout comme à son ventre. Et ce n’est pas parce que le ventre exige le pain du voisin, le mange, et dort content, que la raison doit être satisfaite. Même, chose remarquable, quand le ventre a mangé, la Raison ne s’endort point pour cela ; tout au contraire, la voilà plus lucide que jamais, pendant que les désirs dorment les uns sur les autres comme une meute fatiguée. La voilà qui s’applique à comprendre ce que c’est qu’un homme et une société d’hommes, des échanges justes ou injustes, et ainsi de suite ; et aussi ce que sagesse et paix avec soi-même, et si cela peut être autre chose qu’une certaine modération des désirs par la raison gouvernante. à la suite de quoi elle se représente volontiers des échanges convenables et des désirs équilibrés, un idéal enfin, qui n’est autre que le droit et le juste. Par où il est inévitable que la raison des riches vienne à pousser dans le même sens que le désir des pauvres. C’est là le plus grand fait humain peut-être. Quant à ceux qui répliquent là-dessus que la raison vient de l’expérience, comme le reste, et de l’intérêt, comme le reste, ils ne font toujours pas que la raison agisse comme le ventre agit. Car l’œil n’est pas le bras, quoiqu’ils soient tous deux fils de la terre.
19 janvier 1935Alain, Propos, t.I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1956.
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