27/02/2010
Cent fautes allègres
Le cent-fautes de Claude Allègre
LE MONDE | 27.02.10 | 13h50
ans son dernier livre, L'Imposture climatique (Plon, 300 p., 19,90 €), un ouvrage d'entretiens avec le journaliste Dominique de Montvalon, le géochimiste et ancien ministre Claude Allègre formule des accusations d'une extrême gravité contre la communauté des sciences du climat. La cible principale de l'ouvrage est le GIEC, défini à tort par l'auteur comme le "Groupement international pour l'étude du climat" - il s'agit en réalité du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
M. Allègre évoque un "système mafieux" ayant conspiré pour faire passer, aux yeux de l'ensemble du monde, un "mythe" pour un fait scientifique. Très médiatisé, l'ouvrage comporte de nombreuses approximations et erreurs factuelles à même de tromper le public. En voici quelques-unes.
P. 22 "Une étude parue dans la revue Science suggère que l'augmentation de la température dans l'hémisphère Nord de 1970 à 2000 est peut-être due à l'élimination des poussières de charbon dans l'atmosphère, ce qui a facilité l'ensoleillement. L'augmentation (des températures) n'aurait donc rien à voir avec le CO2", écrit M. Allègre, citant une étude en effet publiée par Science, en mars 2007. Les deux premières phrases de cette publication démentent l'interprétation qui en est faite par l'ancien ministre. "Des tendances notables au réchauffement sont observées dans l'Arctique. Bien que les émissions humaines de gaz à effet de serre à longue durée de vie en soient certainement la cause principale, les polluants atmosphériques sont aussi importants."
P. 68 "Au total, l'Antarctique ne semble pas fondre. En tout cas, ce n'est pas perceptible." La réduction des glaces de l'Antarctique n'est pas due à une fonte mais au glissement des glaciers dans la mer. Elle est très perceptible. Grâce aux données satellitaires, les travaux d'Isabella Velicogna (université de Californie à Irvine, JPL) ont montré qu'entre 2002 et 2006, l'Antarctique a perdu, en moyenne, 104 milliards de tonnes (Gt) de glace par an. Entre 2006 et 2009, ce taux est passé à 246 Gt par an. Les pertes de glaces du Groenland et de l'Antarctique sont l'une des principales causes de l'augmentation du niveau marin.
P. 68 "Au Moyen Age, lorsque les Vikings ont découvert le Groenland, il y avait encore moins de glace qu'aujourd'hui. C'est pour cela qu'ils l'ont appelé le "pays vert"", écrit M. Allègre. L'étymologie proposée est correcte, mais les raisons avancées sont fausses. La Saga d'Erik Le Rouge, (datée du XIIIe siècle) témoigne qu'"Erik (le Rouge) partit pour coloniser le pays qu'il avait découvert et qu'il appelait le "Pays vert", parce que, disait-il, les gens auraient grande envie de venir dans un pays qui avait un si beau nom".
La période chaude du Moyen Age - au moins sur l'hémisphère Nord - est sans équivoque. Mais l'écrasante majorité des travaux de reconstructions paléoclimatiques suggèrent qu'elle était moins chaude que la période actuelle.
P. 73 A propos de l'influence du réchauffement sur les ouragans, "certains spécialistes comme Wester, Tech ou Kerry Emmanuel pensent" qu'elle est réelle, écrit l'auteur. "Wester" est Peter Webster. Quant à "Tech", ce nom n'existe pas. L'auteur a confondu le nom de l'institution de M. Webster (Georgia Tech, diminutif de Georgia Institute of Technology) avec celui d'une personne.
P. 78 L'auteur fait état de travaux montrant qu'il y a 125 000 ans, il faisait "6 °C de plus qu'aujourd'hui, et le CO2 de l'atmosphère était moins abondant". La référence donnée est celle des travaux de "Sine" et de ses collaborateurs, prétendument publiés dans Science en novembre 2007. Cette publication n'existe pas dans les archives de Science.
P. 94 Claude Allègre s'indigne de ce que les travaux de Jean-Pierre Chalon sur les nuages n'auraient pas été pris en compte par le GIEC. M. Allègre cite ce passage d'un livre de M. Chalon : "Ces processus sont encore assez mal compris. C'est une des difficultés majeures et une des principales sources d'imprécision que rencontrent les tentatives de prévision des évolutions du climat. " "Je m'interroge, poursuit M. Allègre. Pourquoi un tel expert n'a-t-il pas été davantage impliqué dans les processus du GIEC ? (...) Réponse : cela fait partie du "totalitarisme climatique". Emettre des nuances, c'est déjà être un adversaire du "climatiquement correct"."
Voici pourtant ce que l'on peut lire dans le résumé du dernier rapport du GIEC : "Pour l'heure, les rétroactions nuageuses constituent la principale source d'incertitude des estimations de la sensibilité du climat."
P. 109 Claude Allègre produit une figure montrant un lien étroit entre plusieurs courbes : celle donnant l'évolution de la température globale moyenne de la basse atmosphère terrestre au XXe siècle, celle de l'irradiance solaire, et deux autres, donnant les variations du magnétisme terrestre.
Cette figure a certes été publiée en 2005, puis en 2007, dans la revue Earth and Planetary Science Letters (EPSL). Mais elle a été clairement réfutée en décembre 2007, pour des erreurs d'attribution de données.
P. 138 Claude Allègre présente comme très forte l'opposition de la communauté scientifique aux conclusions du GIEC. Il écrit : "L'événement le plus significatif est peut-être le vote qui a eu lieu parmi les spécialistes américains du climat. (...) Le 19 octobre 2009, le Bulletin de la Société météorologique américaine en a rendu publics les résultats. Les voici : 50 % d'entre eux ne croient pas à l'influence de l'homme sur le climat, 27 % en doutent. Seuls 23 % croient aux prédictions du GIEC."
Interrogé, Paul Higgins, un responsable de l'American Meteorological Society, se souvient de cette enquête. A ceci près qu'elle ne concernait nullement les "spécialistes américains du climat", mais les présentateurs météo des chaînes de télévision américaines...
Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 28.02.10
La liste imaginaire des "cautions" scientifiques enrôlées par l'ancien ministre
LE MONDE | 27.02.10 | 13h50 • Mis à jour le 27.02.10 | 13h58
la page 132 de L'Imposture climatique, Claude Allègre écrit : "Il y a, dans divers pays, de nombreux spécialistes climatologues qui, souvent au péril de leur survie scientifique, ont combattu les théories du GIEC." "Je donne donc quelques noms parmi les plus prestigieux, et sans être exhaustif, poursuit-il. Les Scandinaves Svensmark et Christensen, Dudok de Wit, Richard Courtney, Martin Hertzberg, Denis Haucourt, Funkel et Solansky, Usoskiev, Hartmann, Wendler, Nir Shaviv, Syun-ichi-Akasofu."
L'Américano-Israélien Nir Shaviv et les Danois Henrik Svensmark et Eigil Friis-Christensen, spécialistes du Soleil, sont connus pour leurs travaux - très controversés - liant l'activité solaire et les variations climatiques au XXe siècle. Tous les physiciens solaires ne sont cependant pas sur cette ligne, tant s'en faut. Ainsi, Thierry Dudok de Wit (Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace), également "enrôlé", dit ainsi : "L'influence du Soleil sur le climat terrestre est incontestable et est toujours l'objet de nombreux travaux, mais, depuis le XXe siècle, il est clair que les gaz à effet de serre émis par les activités humaines ont une influence dominante. L'influence de la variabilité solaire est largement secondaire, au moins pour ce que nous en savons aujourd'hui."
Quant à Richard Courtney, également mentionné par M. Allègre, il n'est pas climatologue, mais "consultant indépendant en énergie et environnement", à en croire la page qui lui est consacrée sur le site Web du Heartland Institute - un think tank conservateur américain. Celle-ci précise notamment que "ses réussites ont été saluées par l'association pour la gestion des industries minières de Pologne".
Martin Hertzberg n'est pas non plus un "spécialiste climatologue", mais "consultant en science et technologie" - c'est en tout cas ce qu'il indique en préambule d'un article (sans apport de résultats scientifiques) publié récemment dans Energy & Environment.
ETUDES INTROUVABLES
Autre caution supposée prestigieuse de M. Allègre, "Denis Haucourt" : ce nom est absent des bases de données de la littérature scientifique. Ce spécialiste présumé du climat semble ne pas exister, à moins que l'orthographe de son nom ne soit erronée. De même, interroger l'index de Google Scholar avec le nom d'auteur "Funkel" renvoie à 17 études. Elles portent sur des travaux en dermatologie, en sciences de l'informatique, sur le traitement des appendicites chez des patients atteints de tuberculose... mais aucune ne traite du climat ou même des sciences de la Terre. On cherche aussi en vain les études publiées par un certain "Usoskiev". Elles sont introuvables.
"Solansky" n'existe pas non plus. Mais on reconnaît là Sami Solanki, l'un des plus grands spécialistes mondiaux de physique solaire (Institut Max-Planck de recherche sur le système solaire, Allemagne). Interrogé par Le Monde, M. Solanki réfute avec vigueur les idées qui lui sont attribuées par M. Allègre. "Je ne suis pas opposé aux principales conclusions du GIEC, c'est-à-dire que la Terre s'est globalement réchauffée de 0,8 ° C dans le dernier siècle environ, et qu'une large fraction de cela est due aux gaz à effet de serre émis par l'homme, explique-t-il. En particulier, la forte augmentation de température sur les derniers 40 ans n'est définitivement pas due à la variabilité solaire, mais le plus vraisemblablement, à l'effet dominant des gaz à effet de serre."
Dans la longue liste égrenée par M. Allègre, on trouve aussi Dennis Hartmann, professeur à l'université de Washington. Mais lui aussi réfute son "enrôlement". "Je pense que l'ensemble de preuves présenté par les scientifiques travaillant sur les rapports du GIEC est très convaincant sur le fait que la Terre se réchauffe en conséquence directe des activités humaines, explique-t-il. Et que si nous continuons à augmenter la quantité de CO2 dans l'atmosphère, la Terre continuera à se réchauffer pendant ce siècle."
Egalement sollicité par Le Monde, Gerd Wendler, directeur du Centre de recherche climatique de l'université d'Alaska, autre enlisté de M. Allègre, explique : "Je pense que les changements anthropiques (les gaz à effet de serre et les modifications de paysages) mais aussi les changements naturels détermineront le climat du futur." Et, s'il dément être un opposant farouche au GIEC, M. Wendler ajoute : "Ignorer les changements naturels comme l'a fait le rapport du GIEC est incomplet."
Ailleurs dans son livre, M. Allègre étaye son opinion, très négative, sur les modèles numériques de prévision du climat en convoquant la prestigieuse caution de Carl Wunsch, l'un des plus grands océanographes vivants, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT). M. Allègre cite ainsi un extrait d'une allocution récemment donnée par M. Wunsch : "Notre insuffisante connaissance de l'océan met toute prédiction du climat à long ou moyen terme hors du champ de la science." Contacté par Le Monde, M. Wunsch se reconnaît dans cette opinion. Mais il tient à ajouter : "Je pense que les modèles ne sont pas pertinents pour prédire le climat, mais qu'ils montrent de manière plausible les conséquences du réchauffement climatique, c'est-à-dire les risques que nous encourons. Et je trouve que ces risques sont extrêmement inquiétants."
S. Fo.
Article paru dans l'édition du 28.02.10
21:01 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Et ajoutons qu'on commence aussi à trouver des études sociologiques sur la manière dont certains lobbies industriels et économiques entretiennent ce scepticisme climatique (études signalées par exemple par : http://yannickrumpala.wordpress.com/2008/11/19/les-sources-du-scepticisme-environnemental/ ).
Écrit par : CA | 12/03/2010
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