17/07/2009
Et pourtant elle tremble
Potéger un bâtiment contre les tremblements de terre, en le rendant comme invisible : c'est la parade qu'ont imaginée des chercheurs de l'Institut Fresnel de Marseille (CNRS, université Paul-Cézanne, Ecole centrale, université de Provence), en collaboration avec l'université de Liverpool. Leurs travaux font la couverture de la revue Physical Review Letters du 10 juillet.
La confection d'une "cape d'invisibilité", familière aux amateurs de science-fiction et aux fans de Harry Potter, excite l'imagination de très sérieux scientifiques. La première expérience, réalisée en 2006 par le physicien britannique Sir John Pendry, de l'Imperial College de Londres, avait montré qu'il était possible de courber des rayons lumineux, pour les dévier de leur trajectoire, grâce à un écran de matériaux appropriés. Mais dans une longueur d'onde n'appartenant pas au domaine du visible. D'autres équipes se sont ensuite attaquées aux ondes visibles, en les infléchissant par des structures en nanomatériaux. Il reste toutefois beaucoup de chemin à parcourir, avant de pouvoir escamoter à la vue un objet ou une personne, en détournant la totalité du spectre de la lumière visible.
C'est de ce principe que se sont inspirés les chercheurs français, en le transposant des ondes électromagnétiques aux ondes sismiques. Ils ont conçu, décrit Stefan Enoch, l'un des auteurs de l'étude, un dispositif expérimental formé d'une plaque flexible, sur laquelle est fixé un cylindre de 1 cm de hauteur et de 25 cm de rayon. Le cylindre figure l'obstacle à éviter - c'est-à-dire la zone à sécuriser -, tandis que les vibrations imprimées à la plaque simulent les ondes sismiques.
UNE DOUVE DÉFENSIVE
Tout le secret tient dans le tissage de la cape d'invisibilité. Celle-ci est faite de métamatériaux, autrement dit de matériaux de synthèse n'existant pas dans la nature et dotés de propriétés particulières. Dans le cas présent, les chercheurs ont utilisé six sortes de polymères plastiques disposés, dans un ordre précis, en dix anneaux concentriques autour du cylindre. Cette ceinture a pour effet de rendre pour ainsi dire aveugles les ondes vibratoires, qui contournent la zone sensible en suivant une ligne tangentielle.
Plus le nombre d'enceintes plastiques est élevé et plus la gamme de longueurs d'onde détournées est large. Avec 40 anneaux concentriques, il est possible d'écarter les ondes dans une bande de fréquence allant de 50 à 1 000 hertz. L'occultation n'est cependant pas parfaite. Elle est inopérante - et les équations indiquent qu'il ne peut en être autrement - contre les ondes de compression (longitudinales) et les ondes de cisaillement (transversales) qui, lors d'un séisme, se propagent à l'intérieur du manteau terrestre. Elle est en revanche efficace contre les ondes de flexion, qui se déplacent en surface ou dans les couches superficielles du sol. Une chance, puisque ces dernières provoquent les dégâts les plus sérieux, en ébranlant horizontalement les fondations des édifices.
Car l'objectif est de passer du modèle de laboratoire aux protections parasismiques. Une cape d'invisibilité pourrait être déployée autour d'une maison, d'une école ou d'un hôpital, comme une douve défensive contre les secousses telluriques. Cette nouvelle étape, souligne Stefan Enoch, exige un travail en collaboration avec des spécialistes d'autres disciplines. Des géologues, d'abord, le comportement de la croûte terrestre étant autrement plus complexe que celui d'une plaque flexible. Des architectes, ensuite, pour intégrer le système aux fondations des bâtiments et élaborer les métamatériaux les mieux adaptés.
D'autres applications, à plus petite échelle, sont envisageables. Par exemple dans l'automobile et l'aéronautique, pour effacer les vibrations des moteurs de voiture, ou certaines contraintes mécaniques s'exerçant sur les avions et les hélicoptères.
Les chercheurs de l'Institut Fresnel avaient déjà conçu, en 2008, une cape d'invisibilité contre les vagues. Des plots rigides en aluminium, disposés en cercles concentriques dans un bassin d'eau animée d'un mouvement ondulatoire, permettent de créer, au centre, une zone sans turbulences. Ce système, qui va maintenant être testé en conditions réelles, pourrait être exploité en aquaculture, en facilitant l'implantation de bassins d'élevage en pleine mer, dont l'agitation serait ainsi neutralisée. Il pourrait encore servir à la protection d'installations marines comme les plateformes offshore, d'infrastructures portuaires ou de zones côtières sensibles. Voire même, un jour, déjouer les tsunamis.
Pierre Le Hir, Le Monde, 17 juillet 2009.
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