23/01/2008
Récession
Principales caractéristiques et conséquences de l'entrée en récession de l'économie américaine
- Extrait GEAB N°15 (15 mai 2007) -
Comme l'a souligné à maintes reprises l'équipe de LEAP/E2020 depuis plus d'un an, les évènements qui se déroulent actuellement s'intègrent dans le contexte de la première crise systémique globale de l'Histoire, et chacun d'entre eux est donc porteur d'un impact qualitativement supérieur à un événement identique dans un contexte classique. Ainsi, la récession américaine qui vient de débuter n'est pas juste " une récession de plus ", comme les Etats-Unis en ont connu plusieurs ces dernières décennies, mais elle est, comme l'a annoncé LEAP/E2020 début 2007, le déclencheur de la " Très Grande Dépression US 2007".
En effet, elle s'inscrit dans un moment historique bien particulier qui est caractérisé par une détérioration de la puissance des Etats-Unis dans toutes ses dimensions (politique, économique, financière, monétaire, militaire, stratégique, diplomatique). Son impact sera donc multiplié par autant de crises-miroirs, transformant notamment la récession en dépression. Dans ce numéro du GEAB, l'équipe LEAP/E2020 souhaite présenter les grandes lignes des enchaînements dépressionnaires qui vont dominer l'économie américaine et mondiale au cours des prochains mois. Dans le prochain numéro, nous reviendrons plus en détail sur les conséquences pour le secteur financier (notamment sur les hedge-funds, les grandes banques d'affaires et le Yen carry-trade)
1/ Aggravation de l'insolvabilité du consommateur US, chute des profits des sociétés dépendantes du marché américain et licenciements massifs aliment une boucle rétroactive négative
Dès Novembre 2006, dans le GEAB N°9, l'équipe de LEAP/E2020 annonçait que l'insolvabilité du consommateur américain serait l'une des grandes caractéristiques de 2007. Les récents chiffres (en baisse) des ventes de détail (1) illustrent qu'en effet le consommateur américain, malgré un endettement croissant (y compris désormais sous forme de crédit revolving ou d'encours en cartes de crédit, puisqu'il ne peut plus emprûnter sur la valeur de ses biens immobiliers) (2), est en train de déclarer forfait (3). Cette évolution est renforcée, au-delà du problème du marché immobilier et du crédit connexe (4), par le fait que désormais l'emploi est affecté et que les licenciements se multiplient déjà dans l'industrie manufacturière et le commerce de détail, après l'immobilier et le bâtiment, et avant de s'étendre aux services.
Evolution comparée du taux des prêts à risques non remboursés et du prix moyen des maisons / Etats-Unis - source Reuters
Sans le crédit et sans les salaires, la consommation des ménages aux Etats-Unis ne peut plus représenter un facteur porteur de croissance. Or, elle a représenté 70% de la croissance US de ces dernières années. Cette défection du consommateur explique bien entendu l'entrée en récession de l'économie des Etats-Unis, mais elle éclaire également l'évolution des prochains mois, à savoir une contagion récessionniste qui va s'étendre d'abord vers les sociétés au contact direct du consommateur (1° et 2° trimestre 2007), puis remonter vers les industries de biens d'équipement et les services aux entreprises (2° et 3° trimestre 2007) (5). Le secteur financier américain (et implanté aux Etats-Unis), déjà affecté par les conséquences et les ramifications de la crise des prêts à risques (6), sera au coeur de cette spirale récessionniste (7).
A partir de ce moment, la boucle de rétro-activité négative est enclenchée, nourrissant la baisse des profits qui alimente le chômage (comme l'illustrent déjà les licenciements massifs en cours et la faiblesse de la création d'emploi) (8), qui lui-même pèse sur la consommation, et donc les profits des entreprises principalement dépendantes du marché américain. Les entreprises qui sont également bien positionnées sur les marchés asiatiques et européens pourront au contraire jouer d'un double atout : une croissance maintenue dans ces zones, et un effet de change positif si leurs résultats sont en dollars US.
II- Accélération de la baisse du Dollar, inflation importée, hausse du déficit de la balance des paiements et tensions commerciales avec l'Asie et l'Europe provoquent l'implosion du consensus à la Réserve Fédérale et l'entrée dans la " Très Grande Dépression "
Le taux EURUSD est déjà sur la pente des 1,40 et à l'été des 1,50. La tendance est la même pour la Livre britannique et le Yuan chinois. La prise de conscience généralisée de l'entrée en récession de l'économie américaine va accélérer la baisse des flux de capitaux investis aux Etats-Unis, aggravant de ce fait le déficit de la balance des paiements du pays. Ce phénomène renforcera le déclin de la devise américaine par rapport à l'ensemble des grandes monnaies mondiales; et aura une double conséquence d'aggravation de l'inflation importée (notamment via une hausse quasi-automatique des prix du pétrole libellés en Dollars US) (9), et de renforcement des tensions commerciales entre les Etats-Unis et leurs partenaires commerciaux au premier rang desquels la Chine et le Japon qui seront simultanément exposés à une baisse de leurs recettes d'exportation (10) et à une réduction de la valeur de leurs réserves en Dollars US, mais aussi des pays européens. Pourtant le déficit commercial américain ne s'améliorera pas significativement dans les mois à venir faute de substitution possible aux importations.
Evolution des exportations américaines / Estimation jusqu'à Août 2007 - Source : Forecasts.org
Cette situation promet d'alimenter copieusement les conflits commerciaux entre les Etats-Unis et ses partenaires (11), tout en condamnant définitivement la moindre chance de relance du cycle de libéralisation des échanges de l'OMC et en renforçant les synergies régionales (Chine-Japon-Asean d'une part (12), UE dont Royaume-Uni/Euroland d'autre part). Et en ce qui concerne la Chine, ce sera un test décisif de sa capacité à affronter une telle réduction de ses exportations, entraînant notamment l'explosion de la " bulle spéculative boursière " du pays (13).
La Réserve fédérale américaine va désormais être au coeur de la tourmente politique, médiatique, économique, monétaire et financière, car ce qui n'est qu'une interrogation aujourd'hui va se transformer en accusation dans les prochaines semaines : pourquoi avoir tant tardé à baisser les taux d'intérêts et avoir condamné l'économie américaine à entrer en récession ? (14) Et la Fed ne pourra pas répondre publiquement la seule réponse valide : pour éviter un effondrement pur et simple de la devise US. Car en effet, comme l'équipe LEAP/E2020 l'a déjà longuement explicité dans les précédents numéros, la valeur de la devise américaine (déjà bien affaiblie) ne tient plus qu'à deux fils : le niveau favorable des taux d'intérêts américains et la croyance dans la valeur intrinsèque de l'économie des Etats-Unis. La prise de conscience de l'entrée en récession de cette même économie ayant coupé un fil, il ne reste plus que les taux d'intérêts pour éviter que la monnaie ne s'effondre. Mais évidemment, une telle déclaration est impossible à faire pour la Fed, car elle déclencherait aussitôt une fuite hors de la monnaie US. Alors parlons d'inflation maîtrisée, à maîtriser, maîtrisable, ... et préparons le terrain pour une baisse des taux forcément en demi-mesure (probablement 0,5%) d'ici l'été, tout en ayant l'air de maintenir une politique ferme et de ne pas céder à la panique. La panique viendra à l'automne du côté des politiques, au Congrès comme à la Maison Blanche, qui exigeront de l'action afin d'éviter la déroute électorale à l'automne 2008. Mais à ce moment là, ils devront choisir entre sauver le Dollar (15), ou sauver l'emploi de l'ouvrier Ryan, sur fond de vaste crise sociale (16).
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Notes:
(1) Source : MqarketWatch/DowJones, 11/05/2007
(2) Source : Mish's Global Economic Trend Analysis, 11/05/2007
(3) Source : Deloitte, 16/04/2007
(4) A Détroit, certaines maisons sont désormais moins chères qu'une voiture. Source : Reuters, 19/03/2007
(5) Ainsi, par exemple, l'immobilier commercial (hôtels, bureaux, magasins, ...) commence également à être affecté par la crise qui a touché l'immobilier d'habitation. Source : New York Times, 02/05/2007
(6) Comme déjà analysé dans le précédent GEAB, la crise du crédit aux Etats-Unis ne se limite plus aux prêts à risque (subprime). A lire : Bloomberg, 25/04/2007.
(7) Le cas de General Motors dont les profits au 1° trimestre se sont évanouis du fait des pertes de sa filiale financière GMAC, est particulièrement symbolique. Source : Yahoo, 02/05/2007
(8) Source : EpochTimes, 01/05/2007
(9) A lire: CnnMoney, 07/05/2007
(10) Au Japon, les premiers effets de l'entrée en récession de l'économie américaine se font déjà sentir via l'accumulation des stocks. Source : International Herald Tribune, 03/05/2007
(11) Le cas britannique est très symbolique en la matière. Source : Financial Times, 13/05/2007
(12) Le Japon, dont l'excédent commercial a augmenté de 80% au 1° trimestre 2007, réalise un chiffre croissant de son commerce extérieur avec la Chine, qui confirme son rôle de premier partenaire commercial. Source : YahooBiz/LaTribune, 25/04/2007
(13) A lire : MarketWatch/DowJones, 06/05/2007
(14) A Wall Street, certains opérateurs et spécialistes ont d'ailleurs déjà commencé à anticiper un futur " règlement de compte ". Source : Bloomberg, 30/04/2007
(15) Il est assez ironique de constater qu'un magazine américain aussi institutionnel que Foreign Affairs publie un article qui décrit la " fin des monnaies nationales " et appelle l'Amérique latine à rejoindre le Dollar US ... notamment pour le sauver face à l'Euro et une future monnaie commune asiatique. Foreign Affairs, 05/2007
(16) LEAP/E2020 a déjà commenté cet aspect dans les précédents numéros du GEAB et y reviendra dans l'avenir. Pour information, la crise de l'immobilier et du crédit commence à affecter durement les " babyboomers " américains qui se préparent à quitter la vie active. Source : MSNBC, 26/04/2007. Le tissu social de zones entières des métropoles américaines est déjà durement affecté par la crise immobilière en cours et les saisies qu'elle induit. Source : City Mayors, 14/04/2007 et CnnMoney, 07/05/2007
Mardi 08 Janvier 2008
22:11 | Lien permanent | Commentaires (0)
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